Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Jugement contre Dunkin Donuts: Harcèlement contre une lesbienne!

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE LONGUEUIL
N° : 505-53-000002-011
DATE : 17 septembre 2002
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MICHÈLE RIVET

AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURS : Me Marie-Claude Rioux et Me Julien Savoie
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COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, organisme public constitué en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C‑12) ayant son siège au 360, rue Saint-Jacques Ouest à Montréal (Québec), H2Y 1P5, agissant en faveur de la plaignante, madame B

  Partie demanderesse

140998 CANADA INC, personne morale de droit public faisant affaire sous le nom de Dunkin’Donuts et ayant un établissement au 1255, Chemin Chambly, Longueuil (Québec) J4J 3W9

c.

FRANCIS YOUAKIM, gérant principal et co-propriétaire de la franchise Dunkin’ Donuts et actionnaire de 140998 Canada inc., exerçant sa profession au 1255, Chemin Chambly, Longueuil (Québec) J4J 3W9

Partie défenderesse

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JUGEMENT

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[11] , la Cour a statué que la loi albertaine sur les droits de la personne devait recevoir une interprétation large afin d’inclure l’orientation sexuelle comme motif illicite de discrimination même s'il n'y était pas expressément prévu. La Cour concluait que l’omission du législateur d’inclure ce motif constituait une exclusion inacceptable des homosexuels. À cette occasion, le juge Cory s’exprimait comme suit:

 

Il est facile de louer l’égalité comme le fondement d’une société juste qui permet à chacun de vivre dans la dignité et l’harmonie au sein de la collectivité.  La difficulté consiste à la réaliser concrètement. Si difficile soit-il, cet objectif mérite qu’on livre une rude bataille pour l’atteindre. Ce n’est que dans un contexte d’égalité réelle que la fraternité et l’harmonie peuvent exister. C’est alors que chacun peut véritablement vivre dans la dignité.

 

[53]   Plus loin, il écrivait:

 

L’exclusion envoie à tous les Albertains le message qu’il est permis et, peut-être même, acceptable d’exercer une discrimination à l’égard d’une personne sur le fondement de son orientation sexuelle. On ne saurait sous-estimer l’ampleur des répercussions d’un tel message sur les homosexuels. Sur le plan pratique, ce message leur dit qu’ils ne sont pas protégés contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Privés de tout recours légal, ils doivent accepter la discrimination et craindre constamment d’en être victimes. Il s’agit là de fardeaux que n’ont pas à porter les hétérosexuels.

 

La souffrance psychologique est peut-être le préjudice le plus important dans de telles circonstances. La crainte d’être victime de discrimination mènera logiquement à la dissimulation de son identité véritable, ce qui nuit certainement à la confiance en soi et à l’estime de soi. S’ajoute à cet effet le message tacite découlant de l’exclusion, à savoir que les homosexuels, contrairement aux autres personnes, ne méritent aucune protection. Il s’agit clairement d’une distinction qui avilit la personne et qui renforce et perpétue l’idée voulant que les homosexuels soient des personnes moins dignes de protection au sein de la société canadienne. L’atteinte potentielle à la dignité des homosexuels et à la valeur qu’on leur reconnaît constitue une forme particulièrement cruelle de discrimination.

 

[54]     Dans l’arrêt M. c H. [12] , la Cour suprême a conclu que la loi ontarienne sur le droit de la famille comportait une définition discriminatoire du mot «conjoint», portant ainsi atteinte à la dignité humaine des personnes formant une union avec un personne du même sexe. Le juge Cory précisait:

 

L’on ne saurait trop insister sur la portée sociétale de l’avantage conféré par la loi.  L’exclusion des partenaires de même sexe du bénéfice de l’art. 29 de la LDF conduit à penser que M, et en général les personnes formant des unions avec une personne du même sexe, sont moins dignes de reconnaissance et de protection. C’est laisser entendre qu’elles sont jugées incapables de former des unions intimes marquées par l’interdépendance financière par rapport aux couples de sexe différent, indépendamment de leur situation réelle. Comme l’intervenante EGALE l’a soutenu, une telle exclusion perpétue les désavantages que subissent les personnes formant une union avec une personne du même sexe et contribue à les rendre invisibles.

 

[55]     Dans l’affaire Little Sisters Book and Art Emporium [13] , un libraire a obtenu gain de cause à la suite d’une plainte de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle en raison des agissements des inspecteurs douaniers concernant l’importation de matériel érotique. Le juge Binnie, parlant au nom de la majorité des juges de la Cour Suprême du Canada, écrivait:

 

Il y avait amplement d’éléments de preuve étayant la conclusion du juge de première instance que le traitement préjudiciable réservé par Douanes Canada aux appelants et, par l’intermédiaire de ceux-ci, à la communauté gaie et lesbienne de Vancouver, a porté atteinte à l’estime de soi et à la dignité humaine légitimes des appelants. Les Douanes ont traité les appelants de façon arbitraire et ont montré de l’indifférence envers leur droit de recevoir du matériel expressif licite, qu’ils avaient parfaitement le droit d’importer.  Lorsque les fonctionnaires des douanes prohibent et de ce fait censurent du matériel érotique licite destiné aux gais et aux lesbiennes, ils se prononcent sur la culture gaie et lesbienne, et cette intervention a raisonnablement été interprétée par les appelants comme ayant pour effet de rabaisser les valeurs gaies et lesbiennes. Le message était que les préoccupations des gais et des lesbiennes étaient moins dignes d’attention et de respect que celles de leurs homologues hétérosexuels.

 

[56]   Au Québec, l’article 10 de la Charte garantit à toute personne le droit d'être traitée en pleine égalité, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur les caractéristiques personnelles qui y sont expressément énumérées. L'orientation sexuelle figure expressément parmi les motifs interdits de discrimination depuis le 19 décembre 1977, ce qui dissipe tout doute sur l'intention du législateur à cet  égard.

 

[57]   Depuis, le Tribunal a eu l’occasion de traiter de la portée de ce motif de discrimination dans quelques affaires [14] . Tel que souligné dans l'affaire Martin, «il appartient à chaque individu de faire le choix de son partenaire et ce choix doit être respecté par la société et les personnes qui la composent» [15] .

 

[58]   Dans l'affaire Michaud, le Tribunal notait ce qui suit au sujet de la relation entre l'orientation sexuelle d'une personne et son droit au respect de sa vie privée:

 

Cette notion constitue une valeur essentielle à laquelle le législateur a accordé une protection particulière. Le droit à la vie privée réfère généralement à ce domaine de la vie personnelle qui bénéficie d'une confidentialité que nul ne peut violer. À cet égard, la protection que l'on accorde à la vie privée peut se définir comme «la barrière que ne franchissent pas certaines informations, séparant les intéressés des autres».

(...)

Les questions relatives à l'orientation sexuelle font partie intégrante de la vie privée des individus. Il appartient à chacun de déterminer quelles informations de sa vie privée demeureront confidentielles et quelles autres il divulguera. Ainsi, un individu pourra librement décider de révéler qu'il est homosexuel à un futur employeur ou à un futur locateur. Il est aussi libre de ne pas en faire état. Le respect de la vie privée, qu'énonce l'article 5 de la Charte, protège les individus contre toute ingérence dans l'exercice de ce droit. [16]

 

[59]   Il faut ajouter, bien sûr, que le droit au respect de la vie privée n'est pas absolu puisque l'article 9.1 prévoit les limitations qui peuvent validement être apportées à son exercice.

 

[60]   Plus récemment, dans l’affaire Poulin, le Tribunal a examiné la question de l’orientation sexuelle sous l’angle de la reconnaissance des droits prévus à l’article 4 de la Charte, précisant du même coup que les divers droits énumérés dans cette disposition doivent être interprétés les uns par rapport aux autres, tout en recevant une valeur et une portée spécifiques. Le Tribunal rappelait que l’honneur, la réputation et la dignité «bien qu’apparentés et devant être interprétés les uns par rapport aux autres, sont des droits distincts et leur définition respective ne peut prendre un sens concret qu’à la lumière de chaque cas particulier» [17] .

 

[61]   Comme le signalait aussi le Tribunal dans la même affaire, il y a lieu de se demander en quoi consiste la notion de dignité qui, en plus d’être un principe interprétatif de l’ensemble des droits et libertés protégés par la Charte, est en même temps reconnue comme un droit fondamental à l’article 4. Sur le sens de la notion «dignité humaine», il convient toujours de reprendre les propos que la Cour suprême a formulés dans l’arrêt Law:

 

La dignité humaine signifie qu'une personne ou un groupe ressent du respect et de l'estime de soi. Elle relève de l'intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelle qui n'ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous-jacent à leurs différences. La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne. Au sens de la garantie d'égalité, la dignité humaine n'a rien à voir avec le statut ou la position d'une personne dans la société en soi, mais elle a plutôt trait à la façon dont il est raisonnable qu'une personne se sente face à une loi donnée. La loi traite-t-elle la personne injustement, si on tient compte de l'ensemble des circonstances concernant les personnes touchées et exclues par la loi? [18]

 

2.2      L’éclairage du Code civil

 

[62]   Dans un autre ordre d'idées, il est intéressant de considérer certaines règles particulières prévues, en matière de contrat de travail, dans le Code civil du Québec dont la disposition préliminaire prévoit que:

 

Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.

 

[63]   Au moment où les événements se sont produits, les parties étaient liées par un contrat de travail. Les dispositions du Code civil plus particulièrement pertinentes quant aux faits en l'espèce se lisent comme suit:

 

Art. 2085 Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

 

Art. 2087 L’employeur, outre qu’il est tenu de permettre l’exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié.

 

[64]   Comme on peut le constater à la lecture de l’article 2085, en concluant un contrat de travail, l’employé s’oblige, «pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur». L’une des composantes du contrat de travail est le lien de subordination qui s’établit entre l’employé et son employeur. En pratique, la partie patronale gère son personnel autant sur le plan organisationnel que sur le plan de la discipline interne dans l’entreprise.

 

[65]   Toutefois, les droits de gestion de l’employeur ne sont pas illimités. Entre autres limites, il découle des dispositions du Code civil qu’un employeur est tenu de fournir à son employé le travail convenu. Comme le mentionnent certains auteurs:

 

[...] l’employeur ne peut modifier de façon significative le travail convenu entre les parties sans donner un délai de congé raisonnable, puisqu’il s’agira d’un congédiement dit par induction (déguisé). L’insertion des expressions «prestation de travail convenue» et «rémunération fixée» (à l’article 2087 C.c.Q.) codifie en effet l’obligation de l’employeur de ne pas modifier unilatéralement sans cause juste et suffisante ... les tâches du salarié. L’employeur qui suspend sans rémunération un salarié qui bénéficie de la présomption de bonne foi fera ainsi défaut à son obligation de fournir le travail et d’en permettre l’exécution. [19]

 

[66] Or il est intéressant de noter que si les modifications unilatérales apportées, par l'employeur, au contrat de travail font l'objet d'une prohibition particulière dans le Code civil, elles se voient tout autant interdites par la Charte québécoise lorsqu'elles peuvent être assimilées à des mesures discriminatoires reliées à un critère interdit.

 

[67]   L’employeur a également l’obligation, en vertu du Code civil, de prendre «les mesures appropriées à la nature du travail» en vue de protéger la santé, la sécurité et la «dignité du salarié». À son tour, ce devoir de protéger la dignité de l’employé participe de la même finalité que celle résultant de la conjugaison des articles 4, 10 et 16 de la Charte, en vertu desquels la discrimination illicite dans l'emploi entraîne une atteinte discriminatoire au droit d'un employé à la sauvegarde de sa dignité, ainsi qu'une atteinte discriminatoire au droit, conformément à la loi, de toute personne qui travaille «à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique» [20] .

 

[68]   En ce qui concerne plus particulièrement l’obligation de l’employeur de protéger la dignité de l’employé, les mêmes auteurs ajoutent ce qui suit:

 

L’employeur a donc une double obligation en matière de dignité: il doit éviter d’attenter lui-même à la dignité du salarié et il doit s’assurer que le lieu et le milieu de travail du salarié soient exempts de tout manquement à une telle obligation. [21]

 

 

3.      L’APPLICATION DU DROIT AUX FAITS

 

[69]   Compte tenu de l’ensemble des faits mis en preuve, le Tribunal accueille la demande introductive d’instance présentée au nom de la plaignante, madame B, selon les motifs et les conclusions qui suivent.

 

[70]   D’abord, il apparaît de la preuve que la plaignante, madame B, était une bonne employée. Ce fait a été confirmé par le propriétaire du Dunkin’ Donuts, monsieur Youakim, ainsi que par la gérante, madame Labrecque.

 

[71]   La preuve révèle, par ailleurs, que les faits litigieux de la présente affaire sont survenus après que madame R, une collègue de travail à qui la plaignante croyait pouvoir faire confiance, ait appris que la plaignante vivait une relation homosexuelle avec sa conjointe. Les faits relatés par les divers témoins des parties ne sont pas contradictoires à ce sujet.

 

[72]   Une fois informée de l'orientation sexuelle de la plaignante, madame R a dévoilé les renseignements confidentiels relevant de la vie privée de la plaignante aux autres employés du Dunkin’ Donuts ainsi qu’aux clients. Par la suite, la plaignante a effectivement été importunée par les autres employés de même que par certains clients. Il va sans dire que les propos prononcés par le chauffeur de taxi étaient tout à fait inopportuns dans les circonstances. En somme, madame B s’est vite sentie exclue de son milieu de travail et non respectée dans l'un de ses choix personnels fondamentaux.

 

[73]   Par ailleurs, dès qu’ils ont appris la situation de la plaignante et en ont constaté les répercussions immédiates sur certains clients et sur les autres employés, les membres de la direction du Dunkin’ Donuts ont, de diverses manières, agi de manière discriminatoire envers la plaignante en prenant des moyens concrets qui ont eu pour effet de l'exclure de son milieu de travail.

 

[74]   La preuve démontre ainsi que l’horaire de travail de madame B a été modifié à la baisse de manière significative, passant de plus de 30 heures par semaine à environ 6 heures. De plus, la preuve établit de manière prépondérante que c’est bien à la demande des membres de la direction que la plaignante a été dans l’obligation de prendre un congé sans solde. À son retour, elle n’a jamais pu retrouver son horaire habituel en raison de la réduction considérable de ses heures travaillées.

 

[75]   Monsieur Youakim et madame Labrecque affirment qu’il n’a jamais été question de demander à la plaignante de prendre un congé sans solde, mais leur témoignage n’est pas convaincant compte tenu de l’ensemble des circonstances. De plus, il n’ont pas nié l’absence de la plaignante pendant la période en cause.  Le Tribunal retient donc la version de la plaignante.

 

[76]   D’abord, le témoignage rendu par la plaignante est catégorique sur cette question alors qu’elle affirme sans hésitation qu’elle a été obligée de prendre un congé afin «de faire retomber la poussière». Le Tribunal peut difficilement croire comment l’employeur aurait pu tolérer une telle absence d’une semaine alors que les membres de la direction ont affirmé avoir envisagé de la congédier à la suite de son absence pour la seule journée du 4 mars 1997.

 

[77]   Finalement, le Tribunal estime que la politique avouée de la direction d’éloigner les employées qui ne s’entendent pas constitue un élément qui vient plutôt renforcer la version de la plaignante. Il en est de même de la réduction des heures de travail que la plaignante a subie à son retour et  que l’employeur a expliquée par les mêmes motifs.

 

[78]   En vertu des règles applicables au contrat de travail prévues dans le Code civil, l’employeur était tenu de fournir à la plaignante le travail convenu, ce qu’il n’a manifestement pas fait en raison du congé sans solde et de la réduction de ses heures de travail qu'il lui a imposés. Dans ce contexte, la plaignante n’avait d’autre choix que de quitter un emploi qui ne lui permettait plus de subvenir à ses besoins. Il est d'autant plus difficile de comprendre pourquoi la plaignante a dû subir l’odieux de la situation alors qu’elle n’était aucunement responsable des événements et qu'elle fournissait une excellente prestation de travail. Alors qu'il aurait dû exercer son droit de gérance de manière raisonnable en prenant des mesures concrètes pour assurer le respect des droits de la plaignante, l’employeur a plutôt choisi des moyens discriminatoires qui ont eu pour effet, au motif de son orientation sexuelle, de la priver de l'exercice, en pleine égalité, de ses droits à la sauvegarde de sa dignité, au respect de sa vie privée, et à des conditions de travail exemptes de discrimination.

 

[79]   Au cours de son témoignage, madame B a témoigné que la conduite du défendeur avait eu un impact important tant sur le plan psychologique que moral. En fait, les événements ont provoqué chez elle de l’anxiété et de l’angoisse. Elle pleurait, elle était déprimée et elle se tenait couchée en boule. Encore aujourd’hui, cette mauvaise expérience de travail se répercute dans ses relations de travail. Bien qu’elle occupe présentement le même emploi depuis un an et demi, elle n’ose  parler de sa vie personnelle à ses collègues ou à ses patrons et elle ne participe pas aux activités sociales du bureau de peur de mettre son emploi en péril et de revivre son expérience passée. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, le Tribunal accorde à la plaignante les 3 000 $ (trois mille dollars) qu’elle réclame à titre de dommages moraux.

 

[80]   La preuve a également révélé que la plaignante a été tenue de prendre un congé sans solde d’une semaine, qu’à son retour ses heures de travail ont été réduites et que par la suite, elle n’a eu d’autre choix que de quitter son emploi car celui-ci ne lui permettait pas de subvenir à ses besoins. Par ailleurs, les événements l’ont déstabilisée au point qu’elle a été incapable, pendant au moins deux mois, de reprendre une vie normale et d’effectuer des recherches fructueuses pour se trouver un emploi. Compte tenu de ces éléments de preuve, le Tribunal conclut que les dommages matériels réclamés par la Commission à titre de perte de salaire et pourboires, lesquels représentent un manque à gagner de 12 semaines de travail, sont tout à fait justifiés.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

 

ORDONNE la non-divulgation de l’identité de la plaignante, madame B, ou celle de sa conjointe, madame Z;

 

ORDONNE la non-divulgation de l’identité de la collègue de travail, madame R;

 

ORDONNE que le dossier ne soit consulté qu'en présence de l'un des avocats;

 

ACCUEILLE la demande introductive d’instance telle qu’amendée;

 

CONDAMNE les défendeurs solidairement à verser à la victime et plaignante, Madame B, une somme de 5 979 $ répartie comme suit:

 

                        3 000,00 $ à titre de dommages moraux;

 

                        2 979,00 $ à titre de dommages matériels pour perte de revenu;

 

LE TOUT avec intérêts depuis la signification de la proposition de mesures de redressement, soit le 29 juin 2001, au taux fixé suivant l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., c. M-31), ainsi que le permet l'article 1619 C.c.Q. et les dépens.

 

 

 

 

 

 

 

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Michèle Rivet

 

 

 

 

Me Athanassia Bitzakidis

Commission des droits de la personne

et des droits de la jeunesse

360, rue St-Jacques Ouest, 2e étage

Montréal (Québec)

 

 

Me Stéphane Sigouin

Bernard Brassard s.e.n.c., avocats

Place Montérégie

101, boul. Roland-Therrien

Longueuil (Québec) J4H 4B9

 

 

 

Date d’audience :

Audition tenue au Palais de justice de Longueuil, le 17 avril 2002.

 


AUTORITÉS DE LA PARTIE DEMANDERESSE

telles que citées par la partie demanderesse

 

Jurisprudence

 

CDPDJ c. Poulin, JE 2001-1071 (T.D.P.).

 

CDPDJ c. Bouffard, T.D.P. St-François, no 450-53-000001-988, 30 avril 1999, j. Rivet. JE 2001-1071.

 

CDPDJ c. Michaud, (1998) 34. C.H.R.R. D/123 (T.D.P.Q).

 

CDPDJ c. Martin, (1997) 33 C.H.R.R. D/487 (T.D.P.).

 

CDPDJ c. S. (G.) (1994) 21 C.H.R.R., D/146 (T.D.P.Q.)

 

Toonen c. Australie, Comm. no 488/92, NU AG D.P. Comm. D.H., 49e sess., suppl. no 40, vol. II p. 226, NU Doc. A/49/40 (1994).

 

 

Doctrine

 

Pierre CARIGNAN, «L'égalité dans le droit: une méthode d'approche appliquée à l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne», dans De la Charte québécoise des droits et libertés: origine, nature et défis. Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1987, p. 101.


AUTORITÉS DU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

autres que celles citées par les parties

 

Législation

 

Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12.

 

 

Doctrine

 

G. Audet, R. Bonhomme, C. Gascon et M. Cournoyer Proulx, Le congédiement en droit québécois, 3ième éd., (feuilles mobiles), Cowansville, Les Éditions Yvon Blais.

 

 

Jurisprudence

 

            Bertrand c. Hôpital Juif, (T.D.P.Q.) Montréal, 500-53-000020-931, 17 mai 1994, juge S. Brossard.

 

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Dubé et Gosselin) c. Martin, (1997) 33 C.H.R.R. D/487 (T.D.P.Q.).

 

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Litalien) c. Michaud, (1998) 34 C.H.R.R. D/123, (T.D.P.Q.).

 

Commission des droits de la personne du Québec (Trudel et autres) c. Camping & Plage Gilles Fortier inc., T.D.P. 200 53 000004 940, 13 décembre 1994, juge S. Brossard.

 

Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513.

 

Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497.

 

Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120.

 

     M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3.

 

            Pacte international relatif aux droits civils et politiques [1976) 999 R.T.N.U. 171.

 

Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 666.

 



[1]    Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12.

[2]    Le texte de l'article 121 de la Charte se lit comme suit: Le Tribunal peut, d'office ou sur demande et dans l'intérêt général ou pour un motif d'ordre public, interdire ou restreindre la divulgation, la publication ou la diffusion d'un renseignement ou d'un document qu'il indique, pour protéger la source de tel renseignement ou document ou pour respecter les droits et libertés d'une personne.

[3] Coutu c. Commission des droits de la personne du Québec, [1992] R.J.Q. 537, 554 (T.D.P.); Espinoza c. Bureau d'enregistrement Immobilier de Montréal et al., (T.D.P.), Montréal, 500-53-000019-933, j. Rivet, le 12 novembre 1993, à la p. 9.

[4] Blencoe c. C.B. (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307.

[5] Id., p. 373.

[6]    [2000] 1 R.C.S. 665.

[7]    Toonen c. Australie, Comm. No 488/1992, U.N. GAOR Hum. Rts Comm., 49th Sess., Supp. No. 40, vol. II at 226, U.N. Doc A/49/40 (1994).

[8]    (1976) 999 R.T.N.U. 171.

[9]    Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513.

[10] Idem, 528.

[11] [1998] 1 R.C.S. 493.

[12] M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3.

[13] Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada(Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120.

[14] Voir: Bertrand c. Hôpital Juif, (T.D.P.Q.) Montréal, 500-53-000020-931, 17 mai 1994, juge S. Brossard; Commission des droits de la personne du Québec (Trudel et autres) c. Camping & Plage Gilles Fortier inc., T.D.P. 200 53 000004 940, 13 décembre 1994, juge S. Brossard; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Dubé et Gosselin) c. Martin, (1997) 33 C.H.R.R. D/487 (T.D.P.Q.); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Litalien) c. Michaud, (1998) 34 C.H.R.R. D/123, (T.D.P.Q.); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Roy) c. Poulin, T.D.P. 200 53 000016-001, juge S. Brossard, 14 mars 2001.

[15] Affaire Martin, précitée, D/490.

[16] Affaire Michaud, précitée, D/125-6.

[17]         Affaire Poulin, précitée, paragraphe 43.

[18] Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, par. 53 (j. Iacobucci).

[19] G. Audet, R. Bonhomme, C. Gascon et M. Cournoyer Proulx, Le congédiement en droit québécois, 3ième éd., (feuilles mobiles), Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, p. I-23.

[20] Article 46 de la Charte québécoise.

[21] G. Audet et al., op. cit., p. I-23.Idem.

 

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