Par Le National
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Le calvaire de Yasutomo, homosexuel et malade du sida au Japon

TOKYO, 11 fév (AFP) - Yasutomo Nakamae est homosexuel et atteint du virus de l'immunodéficience humaine (VIH). En plus de combattre la maladie, il doit puiser dans ses faibles réserves pour lutter contre l'ignorance et les préjugés liés au sida au Japon.

"Je me sens vidé après avoir traversé cet enfer", témoigne l'ancien étudiant en médecine dentaire de 32 ans. "Mon expérience dépasse ce qu'un homme peut endurer. Les blessures mentales que j'ai subies durant mes études ne me quitteront jamais".

Les tourments de Nakamae ont débuté plusieurs années avant de contracter le virus, alors qu'il étudiait à l'université dentaire de Kagoshima, dans le sud de l'archipel, à la fin des années 80.

Ce furent d'abord des appels anonymes reçus en pleine nuit demandant que tous les homosexuels quittent le campus. "J'ai perdu mes amis. Ceux qui me parlaient étaient soupçonnés d'être homosexuels. Je me suis rapidement retrouvé seul", raconte-t-il.

Pour briser cette solitude, il fréquente les communautés gay des grandes villes, comme Tokyo ou Osaka, plus tolérantes.

En janvier 1994, il apprend qu'il est VIH positif. "Par un acte sexuel", précise-t-il.

Nakamae se confie rapidement à un professeur et lui fait part de son désir de poursuivre ses études.

Mais la nouvelle de sa maladie se propage rapidement sur le campus, renforçant son isolement. "Sur mes 81 camarades de classe, seule une fille a continué à me parler", se souvient-il.

Nakamae est effondré lorsqu'il apprend que son médecin traitant a dévoilé son état de santé à son professeur sans son accord.

"Je ne pouvais pas y croire. Je ne pouvais plus faire confiance à personne", se rappelle-t-il. Il tombe alors en dépression et quitte finalement l'université en 1996.

Un an plus tard, il porte plainte contre l'Etat japonais, l'hôpital et l'université étant des établissements publics, pour violation du secret médical. Il réclame dix millions de yens de dommages et intérêts.

La justice rejette la plainte, estimant que le médecin et le professeur ont fait preuve de bon sens pour prévenir tout risque d'infection, notamment au cours d'une éventuelle intervention dentaire conduite par Nakamae. Son appel est rejeté par la Cour suprême en octobre 2000.

Après cette bataille judiciaire, le jeune homme choisit de vivre dans la discrétion. Malgré cela, il doit endurer, jour après jour, les préjugés d'un des pays les moins touchés par le sida.

"Un homme m'a déclaré qu'il était terrifié à l'idée de me parler. Un autre m'a demandé de ne pas propager le virus", témoigne-t-il.

"Au Japon, on a tendance à se méfier des différences. Avant, les lépreux et les tuberculeux étaient victimes d'ostracisme. Aujourd'hui, ce sont les malades du sida", se révolte-t-il.

L'avocat Shinichi Sugiyama, qui a défendu avec succès un policier licencié parce qu'il était porteur du virus VIH, estime que "les Japonais considèrent le sida comme une maladie ne touchant que les homosexuels". "Il leur manque une information de base sur cette maladie", selon lui.

Au 31 décembre 2000, le Japon comptait 5.313 personnes atteintes du virus HIV et 2.542 ayant développé le sida. 80% sont des hommes.