Par Le National
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Sida: une poignée de Kenyanes s'opposent à l'héritage des veuves

MUMIAS (Kenya), 4 mai (AFP) - A la mort de son mari, Mariam Salim aurait dû, selon la tradition, devenir automatiquement l'épouse d'un autre membre de la famille. Mais, comme une poignée d'autres femmes séropositives, elle s'est opposée à cette coutume ancestrale, vecteur de transmission du sida.

"L'héritage des veuves" reste largement pratiqué dans l'ouest du Kenya, aux abords du Lac Victoria, dans des régions où la polygamie est monnaie courante et où plus de 30 % des adultes sont porteurs du virus du sida, selon les statistiques officielles.

La femme, pour laquelle une importante dot a dû être versée, reste dans sa belle-famille à la mort de son mari et est automatiquement "héritée" par un beau-frère ou un oncle.

A Mumias, chez les Wangas, un sous-groupe de la tribu des Luhyas à laquelle appartient Mariam, cet héritage signifie principalement que l'homme - souvent déjà marié - peut venir manger et dormir avec elle à sa guise.

"Mon mari s'était marié à une deuxième femme, dont le premier mari était lui-même mort du sida. Tous sont morts, j'ai 34 ans et six enfants, ça suffit, le cycle doit s'arrêter, je ne veux apporter la mort à personne, je refuse d'être héritée", explique à l'AFP Mariam, qui se sait séropositive depuis 1990.

Depuis 1997, elle est soumise aux pressions de sa belle-famille, qui vit à quelques mètres à peine de sa petite maison, dans la communauté musulmane de la périphérie de Mumias.

"Si une veuve n'est pas héritée, on dit que ses enfants deviennent anormaux, on la rend responsable de tout ce qui ne va pas dans la famille, on l'accuse de porter le mauvais oeil et on refuse de l'enterrer à sa mort", raconte la jeune femme, qui gagne sa vie en vendant des tissus qu'elle achète à Nairobi et en cultivant un petit lopin de terre.

"C'est une tradition qui ne nous apporte rien. L'homme vient nous voir, il veut juste nous accompagner au lit", explique-t-elle. "Mais c'est principalement le sida qui nous a fait refuser", ajoute-t-elle.

Même en connaissant son statut de femme séropositive, ses beaux-parents, incrédules, continuent d'insister.

"Ils ne me croient pas, ils pensent que j'invente pour ne pas être héritée", poursuit-elle.

Sous l'égide de la Société des femmes vivant avec le sida au Kenya (SWAK), Mariam a créé à l'hôpital catholique de Mumias un groupe d'accueil où se retrouvent une fois par semaine une demi-douzaine de veuves.

Autour de deux machines à coudre, ces petites commerçantes qui vendent qui des mangues, qui des tomates, qui du savon, tentent de confectionner des vêtements pour avoir un peu d'argent et pour s'entraider, notamment face à leurs difficultés à payer les frais de scolarité de leurs enfants.

Toutes affirment ne pas avoir été "héritées", même si elles admettent que certaines peuvent transiger avec leurs belles-familles, acceptant d'avoir un rapport - avec préservatif - avec un beau-frère pour être à nouveau admises dans le cercle familial.

Pour celles qui continueront à refuser, la tradition prévoit que la famille peut faire appel à un homme - souvent l'idiot du village - payé pour avoir un rapport sexuel avec leur cadavre. Elle sera alors considérée comme "hérité" et donc digne d'être enterrée, racontent-elles.

"Cela se fait couramment", confirme Ann Wanalo, travailleur social chargée d'informer et de soutenir les séropositifs dans les villages.

Selon elle, l'incrédulité et la superstition demeurent les principaux obstacles à la lutte contre le sida, dans cette région de culture de cannes à sucre peuplée essentiellement de travailleurs agricoles.

"Les gens n'ont pas encore accepté qu'il y a le sida, malgré les morts. Si une femme refuse d'être héritée, personne ne lui serrera la main", affirme-t-elle.

"Le certificat de décès indique que le mari est mort de tuberculose, de diarrhée, d'anémie ou d'autres maladies provoquées par le VIH, mais il n'indique pas qu'il s'agit du sida, alors les gens pensent que ces femmes mentent, surtout si elles ne sont pas encore trop maigres", ajoute-t-elle.

"Les anciens, les chefs, les hommes d'églises, les médecins, ils n'insistent pas assez. Et pourtant, dans les villages, les gens meurent, il y a des enterrements tout le temps", regrette-t-elle.