Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Un sondage du Réseau Juridique Canadien VIH/SIDA datant de deux ans démontre clairement les avantages de la trithérapie pour les patients atteints du VIH/SIDA qui souhaitent reprendre une vie normale.

Historique

Depuis deux ans, de nouveaux traitements offrent un nouvel espoir aux personnes vivant avec le VIH/sida. Bien qu'ils ne soient pas efficaces pour tous les patients, on constate chez certains une amélioration de la santé et la réduction de facteurs qui font obstacle à la capacité de travailler. Les dernières statistiques québécoises et canadiennes montrent qu'au cours de la dernière année le taux de décès lié au sida a diminué. D’ailleurs, les résidents des maisons d'hébergement remarquent une amélioration de leur santé et l'on constate un allègement des listes d’attente de ces établissements.

Parmi les personnes pour lesquelles le régime de la trithérapie fonctionne, on observe une augmentation de l’espérance de vie, une diminution du taux de décès et un changement radical de leurs besoins. En effet, les intervenants d'organismes communautaires de lutte contre le sida (OCLS) constatent que leur clientèle éprouve un nouveau besoin: le retour au travail.

Dans une étude américaine menée à Chicago auprès de 55 personnes vivant avec le VIH/sida, 82% des répondants disent avoir discuté d’une possibilité de retour au travail avec leur conseiller et 58% avec leur médecin.[1] De ces répondants, 66% semblent enclins à un retour au travail et certains ont même pris des actions en ce sens, 77% pensent pouvoir travailler pour une période de temps indéfinie, 72% veulent effectuer un retour progressif au travail, 93% croient pouvoir travailler efficacement avec les autres, 82% ne pensent pas pouvoir retourner à leur ancien emploi (de ces derniers, 51% identifient comme facteur d’inhibition la nécessité de dévoiler des informations personnelles et 60% ne savent pas comment expliquer le vide dans leur curriculum vitae).

Dans une autre étude américaine, auprès de 389 travailleurs séropositifs gais ou bisexuels, plus de la moitié (52%) des répondants ont dévoilé leur orientation sexuelle à leur employeur.[2] Cependant, ce dévoilement se fait plus facilement quand l’employeur est lui-même gai, tandis que le dévoilement de la séropositivité se fait après que l’employé ait quitté son milieu de travail. Parmi les répondants qui ont dévoilé leur séropositivité à l'employeur (35%), 4 on tété congédiés et 8 ont dû changer de type de travail.

Devant l’évolution de la problématique du sida, un sondage a été élaboré et diffusé à travers le réseau des OCLS du Québec et dans deux médias gais (B@B Magazine et Fugues) au mois de septembre 1997. Un deuxième envoi sera effectué en janvier 1998 dans le réseau de la santé et des services sociaux à l’aide du bulletin Information sur les Traitements de l’Immunodéficience (ITI), et parmi ses abonnés, afin d'obtenir le point de vue de gens touchés mais qui ne fréquentent pas les OCLS ou les milieux gais. Le questionnaire auto-administré est rempli de façon anonyme et confidentielle, et ne renferme aucune question susceptible d’identifier le répondant, son type d’emploi ou son lieu de travail. Le questionnaire comporte 16 questions. Les répondants pouvaient faire parvenir leur questionnaire de quatre façons: par courrier, par télécopie, par l’organisme communautaire ou par Internet. L’enquête a permis de recueillir 418 questionnaires (361 hommes et 57 femmes). Les résultats qui suivent sont issus de la première vague d’envoi et correspondent à la clientèle des OCLS ou aux milieux gais.

Résultats

Dans notre échantillon, 86% des répondants sont des hommes, 82% ont moins de 45 ans, 69% résident sur l’île de Montréal, 35% ont une séropositivité datant de 5-10 ans, 70% sont sous le régime de la trithérapie (dont la moitié depuis plus d’un an) et 5% ont abandonné la trithérapie, 14% sont sur le marché du travail, 65% touchent des prestations de sécurité du revenu, 34% désirent retourner sur le marché du travail, 71% bénéficient de l’assurance-médicaments du gouvernement du Québec, 56% n’ont aucune difficulté à payer leurs médicaments, 87% affirment que les employeurs devraient offrir à leurs employés une formation sur le sida en milieu de travail et 82% ne connaissent pas le programme Sida en milieu de travail.

De façon générale, les répondants de moins de 45 ans sont davantage portés à vouloir retourner sur le marché du travail. En revanche, les répondants âgés de plus de 45 ans ne le désirent pas ou sont incertains. En effet, plus le temps de séropositivité est long et moins les répondants sont enclins à vouloir retourner sur le marché du travail. Les obstacles évoqués par les répondants face à un retour éventuel sur le marché du travail se divisent selon sept grandes catégories: sociale, familiale, formation, santé, milieu de travail, économique et individuelle. Cependant, l’obstacle principal demeure l’état de santé.

Dans notre échantillon, les femmes sont plus jeunes que les hommes, résident à Montréal, sont séropositives depuis 1 à 3 ans, absentes du marché du travail (seulement 5 de ces femmes sont sur le marché du travail), n’ont pas d’assurance collective, désirent davantage que les hommes retourner sur le marché du travail et ont plus de difficulté à payer leurs médicaments. Les facteurs les plus souvent mentionnés sont les suivants: être monoparentale, avoir des enfants en bas âge ou avoir un enfant séropositif. Ces résultats viennent confirmer la précarité d’emploi et la situation de pauvreté de ces femmes.

Des répondants qui sont sur le marché du travail (n=59), 54% habitent à Montréal, 85% ont moins de 45 ans (51% sont dans la catégorie des 36-45 ans), 73% ont une séropositivité datant de moins de 10 ans (39% sont séropositifs depuis 5 à 10 ans), 75% sont sous le régime de la trithérapie, 41% le sont depuis plus d’un an et aucun n’a abandonné son traitement, 54% bénéficient d’une assurance collective et 37% bénéficient de l’assurance-médicaments du gouvernement du Québec, 34% ont des difficultés à payer leurs médicaments, 66% fréquentent un OCLS, 73% ne sont pas syndiqués, 22% affirment que l’entreprise possède une politique de sida en milieu de travail, 78% sont en faveur d’une formation sur le sida pour les employés et 49% ont dévoilé leur séropositivité à leur employeur. De ceux qui ont dévoilé leur séropositivité, une personne sur cinq éprouve des problèmes avec son employeur. La présence ou l’absence de syndicat ne semble pas être un facteur associé au dévoilement de sa séropositivité.

Les répondants qui ne prennent pas de médicaments (11%) évoquent les raisons suivantes: peur d'être identifié dans son milieu de travail, peur face à la compagnie d’assurance (surtout à cause du bris de confidentialité possible), peur de perdre son emploi, peur de la trithérapie (préfèrent attendre que l'on en connaisse mieux les effets).

Les répondants qui ont le plus de difficultés à payer leurs médicaments sont les individus qui bénéficient de l’assurance-emploi et ceux qui sont aux études ou en recherche d’emploi. De plus, le montant à débourser avant le remboursement par la compagnie d’assurance, la prime associée à l’assurance-médicaments et l’achat de certains produits comme les vitamines, les suppléments alimentaires et les médicaments de confort augmentent la difficulté de payer les médicaments.

Conclusion et perspectives

Les résultats de cette enquête nous permettent de soulever les problèmes suivants, en milieu de travail, pour les personnes vivant avec le VIH/sida:

• En milieu de travail, il existe trois types de "silence": le silence sur son orientation sexuelle, le silence sur sa séropositivité et le silence sur la prise de médicaments. Ces silences engendrent le stress et la peur, et ils influencent la décision de suivre ou non un traitement.

• Le maintien en milieu de travail ne semble pas acquis et le dévoilement de la séropositivité à l’employeur mène encore à des congédiements.

• L’état de santé est leur préoccupation principale. La trithérapie augmente l’espérance de vie de certaines personnes sans toutefois améliorer nécessairement leur qualité de vie. En effet, la quantité de médicaments absorbés, l’horaire strict de la prise des médicaments, l'importance de la fidélité aux traitements et les effets secondaires sont les obstacles dont les personnes doivent tenir compte lors d’un éventuel retour au travail.

• Pour la plupart, on ne désire pas retourner à l'ancien emploi, soit à cause du niveau de stress, soit à cause de la discrimination ou de l’attitude de l’employeur. On préfère aller vers des milieux de travail où il y a une plus grande ouverture face à l’orientation sexuelle, la séropositivité et la trithérapie. Le milieu favorisé est le secteur communautaire. En effet, selon certains répondants, le milieu communautaire favorise le retour au travail par une intégration souple et respectueuse de leur état de santé. Toutefois, le bénévolat n’est pas source de revenu.

• L’obligation de l’accommodement raisonnable par les employeurs est la composante la plus difficile à faire accepter. Notamment, comment une personne qui vit avec le VIH/sida et qui désire retourner au travail peut-elle se voir accorder une flexibilité d'horaire (en raison de son état de santé, de la prise de médicaments, de rendez-vous chez le médecin et pour des tests ou des traitements), ainsi qu'un nombre d’heures et une description de tâche qui tiennent compte de son état de santé? L'employeur est-il prêt à adapter ses attentes quant à la productivité et à l'assiduité? L'environnement de travail réduit-il l’exposition aux microbes?

• Comment s’explique, dans un curriculum vitae, une absence de travail de plus d’un an?

• Il faut souligner l’apport positif de l’assurance-médicaments du Québec pour les personnes vivant avec le VIH/sida. Toutefois, le gouvernement devrait réviser sa politique sur l’adhésion obligatoire à l’assurance collective afin de permettre à ces personnes de bénéficier de l’assurance-médicaments sans devoir dévoiler leur séropositivité et de pouvoir trouver un travail sans être préoccupées par la divulgation.

• La formation des employés et l’adoption d’une politique de sida en milieu de travail devraient, selon nous, faire partie de l’agenda de toute entreprise.

- Yves Jalbert