Par Le National
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Le sida demeure un sujet tabou dans le monde arabe

LE CAIRE (AP) -- En Egypte comme dans le reste du monde arabe, le sida reste une maladie honteuse, synonyme d'exclusion, et donc un sujet tabou: le silence est de mise pour les malades qui seraient beaucoup plus nombreux que ne le laissent entrevoir les statistiques officielles.

Dans des sociétés où la sexualité est très rigoureusement encadrée et officiellement impossible en dehors des liens du mariage, le monde musulman devrait être une enclave protégée du virus par ses garde-fous sociaux. Mais la morale est une ligne Maginot, une défense faussement protectrice.

Témoignage: il y a sept mois, un Egyptien de 38 ans que l'on appellera Ali, ingénieur de son état, avait une idée très stéréotypée du sida: ''Tout ce que je savais là-dessus c'était que ça tuait le patient en un jour ou deux au maximum, que l'Egypte n'était pas touchée et que seuls les étrangers pouvaient souffrir du sida''. Ca, c'était avant que ne tombe un diagnostic terrible de la bouche d'un médecin: ''Vous avez le sida''. Ali, qui aujourd'hui a terriblement maigri, tout en se défendant d'être homosexuel, pense avoir été contaminé lors de rapports sexuels à l'armée.

Il préfèrerait se tuer plutôt que d'avouer sa maladie. C'est la raison pour laquelle il ne veut pas être cité nommément de peur d'être rejeté par sa famille et ses amis. La plupart des gens en Egypte et dans les pays arabes associent cette maladie à une punition légitime frappant qui a péché. Le silence demeure donc de rigueur dans cette partie du monde contrairement à l'Afrique et à l'Asie par exemple où l'on a fini par ne plus nier l'évidence. Il est hors de question dans le monde arabe de débattre publiquement des questions ayant trait à la sexualité, encore moins à l'homosexualité. Quant à l'éducation sexuelle pour les jeunes, elle est inexistante.

Ali explique que s'il avait connu les modes de transmission du sida, il aurait été plus prudent. Nasr el-Sayed, directeur du Programme de contrôle du sida, une agence gouvernementale, dit que cette ignorance est monnaie courante. Même certains médecins ne croient pas que le sida concerne l'Egypte qui, avec ses 65 millions d'habitants, est le pays arabe le plus peuplé.

''Certaines personnes refusent même d'écouter les informations sur la maladie. ''Nous sommes des gens bons et religieux, qu'est-ce qu'on en a à faire du sida? C'est pour les autres, disent-ils'', rapporte Nasr el-Sayed, dont l'agence a été mise sur pied en 1986, l'année de l'apparition du premier cas de sida en Egypte. Celle-ci fait un travail d'information qui porte encore insuffisamment ses fruits. Il existe un numéro de téléphone spécial pour informer la population qui reçoit un millier d'appels par mois.

Si l'on en croit les statistiques, il y a 928 séropositifs en Egypte. Mais comme de nombreux cas ne sont pas signalés, le chiffre réel était de 8.100 cas à la fin 1999, selon l'ONUSIDA. Un pays comme l'Arabie saoudite n'a même pas de statistique officielle sur la malade. En Jordanie, il existe bien une politique de prévention mais celle-ci se garde bien d'évoquer ou de promouvoir les pratiques sexuelles sans danger.

Le danger vient aussi du fait que les Egyptiens refusent d'admettre que, comme ailleurs, l'homosexualité ou la prostitution existent dans leur pays, explique Sana Nassif, qui dirige le programme sida de l'organisation humanitaire Caritas. Cette dernière a renoncé à mettre sur pied un groupe de soutien aux homosexuels de crainte d'être accusée d'encourager l'homosexualité. Avec pour conséquence, explique Sana Nassif, que les groupes ou personnes ayant les pratiques les plus risquées demeurent hors d'atteinte.

Sans parler des femmes qui savent pertinemment que leur mari les trompe et qui ne peuvent même pas exiger de celui-ci qu'il prenne des précautions. ''Il est vraiment tragique de voir comment les femmes sont incapables de négocier leur propre protection dans et en dehors du mariage'', dit Jihane Tawilah, de l'Organisation mondiale de la santé.

Ali quant à lui, qui vit avec sa mère et ses frère et soeur, dit qu'il ''prie pour que Dieu mette un terme à (sa) vie le plus vite possible avant que les symptômes ne s'aggravent: je ne veux pas créer de problèmes à ma famille''. Tenue dans l'ignorance de son état, celle-ci ne comprend pas pourquoi il refuse obstinément de se marier.