Par Le National
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Les homosexuels américains ne vivent plus avec la peur du sida

NEW YORK, 4 juin (AFP) - Vingt ans après l'apparition du sida, la communauté homosexuelle aux Etats-Unis ne vit plus principalement avec la peur de la maladie et cherche surtout à s'intégrer dans la société et obtenir sa part du pouvoir.

Si New York continue d'être pour beaucoup un "paradis homosexuel", "ni le mouvement homosexuel, ni les homosexuels qui y demeurent, ne sont les mêmes après vingt ans de sida", relève Francis Parrish, qui a participé dans les années 80 aux manifestations destinées à faire connaître la maladie.

"A cette époque, l'urgence nous mobilisait. Le virus voulait dire la mort. Pour cela, nous avons participé à des rassemblements et à des défilés, après avoir dansé dans une discothèque ou passé des nuits blanches", ajoute cet avocat qui a enterré des dizaines d'amis et d'amoureux et fini à plusieurs reprises derrière les barreaux à l'issue de manifestations.

"Aujourd'hui, malheureusement, il n'y a plus autant de peur. De nouveaux traitements ont été développés, au succès relatif, permettant aux jeunes homosexuels de ne pas enterrer autant d'amis et d'amants. Ils manquent, à cause de cela, de la principale motivation pour être des militants: la peur".

"Maintenant, on dit que le sida est une maladie avec laquelle on peut vivre. Mais c'est un mensonge. Le sida provoque un véritable holocauste, il tue des millions de personnes, des milliards vont en mourir. Et il y a de quoi avoir peur", estime-t-il.

A New York, le virus touche actuellement surtout la communauté homosexuelle et bisexuelle noire et latine, selon cet avocat.

Une étude du département de la Santé de la ville considère que 33% des homosexuels ou bisexuels noirs âgés de 23 à 29 ans sont infectés contre 2% de blancs des mêmes groupes et de la même tranche d'âge.

14% des hispaniques sont séropositifs, selon cette étude.

Le mouvement homosexuel "s'est affaibli" au cours des dix dernières années mais ses objectifs "restent à réaliser", considère Joe Graybar, directeur adjoint de Empire State Pride Agenda, une organisation de défense des homosexuels.

"Il y a 20 ans, le mouvement homosexuel était partie intégrante du combat en faveur des droits civils, qui s'est délité. Malheureusement, le «sauve qui peut+ prévaut maintenant", regrette-t-il.

Il reconnaît que la faiblesse du mouvement homosexuel est due en partie aux nouveaux traitements contre le sida qui ont supprimé "le sentiment de crise" qui pesait sur la communauté homosexuelle dans les années 80 après les premières informations sur l'apparition d'une maladie mystérieuse et mortelle, touchant surtout les hommes.

Les homosexuels aujourd'hui sont plus intégrés dans la culture américaine qu'il y a vingt ou dix ans, note-t-il. "Dans leur grande majorité, leur priorité est d'intégrer la société que nous dénoncions" il y a vingt ans. A titre d'exemple, "les homosexuels luttent pour être acceptés dans l'armée, pour pouvoir se marier".

"Beaucoup cherchent aussi à avoir leur part de pouvoir, agissant au sein même des institutions politiques, pour faire progresser les droits des homosexuels ou pour pouvoir faire pression sur les candidats lors d'élections pour qu'ils défendent leurs droits", indique Joe Graybar, qui fut lui-même dans le passé un parlementaire du Connecticut, revendiquant son homosexualité.

Beaucoup d'homosexuels ont oublié que "le sida est une question de vie et de mort dans les communautés pauvres aux Etats-Unis et à travers le monde", déplore-t-il. "Nous devons ranimer un sentiment de crise pour lutter réellement contre le virus", estime-t-il.