Par Le National
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Une campagne anti-SIDA fait des remous au Kenya

NAIROBI, Kenya (AP) - Dans le très conservateur et pudibond Kenya, parler du SIDA et du préservatif reste tabou. Une ONG a pourtant osé lancer la première campagne vraiment explicite sur le sujet, provoquant l'embarras des adolescents et la colère des adultes.

Un spot publicitaire encourageant l'usage du préservatif est diffusé régulièrement à la télévision, suscitant la gêne et l'irritation dans les bars, boutiques, restaurants et foyers de ce pays d'Afrique orientale où le SIDA tue chaque jour 700 personnes.

La campagne de l'organisation non-gouvernementale "Population Services International" apparaît également, en version légèrement édulcorée, sur des affiches et panneaux publicitaires le long des grands axes routiers. L'ONG veut faire la promotion de ses préservatifs Trust, vendus à très bas prix.

Dans le spot télévisé, on voit une jeune femme, assise dans une gare, regarder avec intérêt un jeune étranger séduisant qui vient de retirer sa chemise pour avoir moins chaud. A son approche, elle laisse tomber sa bouteille d'eau en plastique.

Alors que la jeune femme se lèche les lèvres, le jeune homme aux dreadlocks ramasse la bouteille, sort un préservatif de la poche de son jean, le glisse sur la bouteille et la tend avec un sourire à la jeune femme. "La vie est belle avec les préservatifs Trust", est-il alors écrit sur l'écran en kiswahili, langue véhiculaire du Kenya.

Depuis le lancement de cette campagne le mois dernier, les pages "courrier des lecteurs" des journaux regorgent de lettres indignées affirmant que ces spots et affiches incitent à la "promiscuité".

"Je ne crois pas que ce spot parvienne à faire passer un message, et il est encore plus embarrasant lorsque vous le regardez en présence de vos parents ou d'autres jeunes", confesse James Njunga, un disque-jockey de 21 ans.

Le président kényan Daniel arap Moi, âgé de 78 ans, a reconnu l'an dernier que parler de ce genre de sujets l'embarrassait. Il a suggéré à la population de s'abstenir de relations sexuelles "pendant deux ans" pour éviter d'attraper le SIDA.

Contrairement à son voisin l'Ouganda, où une intense campagne publique a permis d'obtenir des résultats dans la lutte contre l'épidémie, le Kenya ne fait pas grand chose pour combattre le SIDA.

Avant le lancement de la campagne Trust, les préservatifs étaient surtout visibles dans la capitale Nairobi, et même là, on a pu voir divers groupes religieux, y compris l'Eglise catholique, brûler l'immoral capuchon en caoutchouc.

Toutefois, l'ONG catholique américaine "Catholics For A Free Choice" avait récemment publié des encarts publicitaires, il est vrai moins explicites, dans les journaux kényans. "Les catholiques se sentent concernés. Et nos évêques? Interdire les préservatifs tue", pouvait-on lire dans ces encarts.

Bernard Waithaka, de "Population Services International", explique que les spots télévisés de son ONG visent les 20-24 ans, le groupe le plus exposé au VIH. Selon des études menées par l'organisation, 70% des Kényans de cette tranche d'âge sont soit déjà séropositifs soit fortement exposés au virus. Les moins de 25 ans représentent 60% de la population kényane.

"Nous pensons que l'épidémie a atteint un stade tel qu'il faut s'y attaquer de front", souligne M. Waithaka. "Les opposants à cette campagne sont les mêmes qui s'opposent aux cours d'éducation sexuelle à l'école." AP

Le privilége de réplique