Par Le National
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Sida: la Birmanie menacée de catastrophe.

RANGOUN, 16 nov (AFP) - La Birmanie sera le prochain pays d'Asie à subir une épidémie dévastatrice de VIH/SIDA si la junte militaire au pouvoir continue d'ignorer l'ampleur du problème, avertissent les experts occidentaux.

L'état actuel de la pandémie en Birmanie, alimentée par de l'héroïne bon marché et une prostitution en plein essor, est l'objet de polémiques virulentes entre les autorités de Rangoun et les organisations internationales.

La querelle autour des chiffres est à cet égard significative. Le gouvernement s'en tient à 40.000 séropositifs depuis 1985, alors que l'ONU cite un bilan au moins dix fois plus élevé.

Frank Smithuis, de Médecins Sans Frontières-Hollande, basé à Rangoun depuis plus de six ans, parle prudemment d'un "chiffre situé quelque part entre 200. 000 et un million". L'ONUSIDA à Bangkok de 530.000 cas. Pour une population de 48 millions.

A titre de comparaison, l'Inde voisine compte près de 5 millions de patients, la Thaïlande 1 million, le Cambodge 170.000 (sur une population de 12 millions) et le Vietnam 100.000 (pour 80 millions).

Pour le vice-ministre de la Santé, Mya Oo, les chiffres de Birmanie sont délibérément exagérés par les "éléments réactionnaires" opposés au régime, et les pays occidentaux qui les soutiennent, pour des "raisons politiques".

M. Mya Oo accuse les organisations internationales d'"extrapoler" à partir de poches spécifiques, là où l'on se drogue et se prostitue le plus, le long de la frontière thaïlandaise et à Rangoun et Mandalay, les deux métropoles.

Il se retranche aussi derrière les "valeurs birmanes". "Le sexe en dehors du mariage est rare ici et pour les femmes, notre valeur culturelle c'est la virginité", explique-t-il à l'AFP. Ce qui est sans doute vrai à Rangoun, dans la petite bourgeoisie, mais pas forcément ailleurs, répond le représentant de MSF.

En outre, déplore la junte, les sanctions des pays occidentaux --qui punissent les violations des droits de l'homme-- aggravent le sous-développement du pays, un des plus pauvres de la planète, même si en principe elles n'affectent pas l'aide humanitaire.

La junte ne décolère pas depuis que l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a placé "injustement" la Birmanie à l'avant-dernier rang (190ème) dans son classement par pays des meilleurs soins de santé dans le monde. "On nous insulte", se fâche le vice-ministre.

Au delà de la controverse, "le plus préoccupant est que les chiffres sont élevés, qu'ils augmentent, et que personne (au gouvernement) ne fait grand-chose", estime le médecin néerlandais à Rangoun.

"De tous les pays d'Asie du Sud-Est, la Birmanie est celui qui agit le moins pour répondre au VIH," accuse Chris Beyrer, directeur du programme d'éducation anti-SIDA de l'institution américaine Johns Hopkins.

Outre les junkies et les prostituées, les groupes les plus exposés sont les soldats et leurs compagnes, les ouvriers des mines de rubis, de saphir et de jade, dans le nord --dont on dit qu'ils se piquent avant de travailler--, les camionneurs, les marins et autres migrants.

Les experts occidentaux s'accordent néanmoins à détecter un récent changement d'attitude "encourageant" des autorités à l'égard du SIDA --"quelques signes positifs".

Les autorités ont ainsi mis en place 22 "sites sentinelles" dans les régions sensibles afin de surveiller la propagation de l'épidémie, qui est au troisième rang des priorités médicales du pays (derrière le paludisme et la tuberculose).

"Il y a une tendance positive, mais il faut aller beaucoup plus vite", plaide M. Smithuis. "Ils (les généraux) ont conscience qu'il y a un problème mais ils ne veulent pas que le reste du monde le sache".

La dirigeante de l'opposition démocratique, Aung San Suu Kyi, a appelé elle même à ouvrir un débat public sur la montée du SIDA et, de fait, la menace grandissante et la nécessité de la combattre pourraient être l'un des rarissimes sujets de consensus en Birmanie.