Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Les orphelins africains du sida filmés par Kiarostami ou "la vie continue"

 

PARIS, 21 oct (AFP) - Abbas Kiarostami, le réalisateur iranien de la Palme d'Or "Le goût de la cerise", a mis sa caméra au service des millions d'orphelins africains du sida, filmés en Ouganda dans "A.B.C. Africa", un documentaire présenté hors compétition au dernier festival de Cannes.

A 61 ans, le vétéran du cinéma iranien, a répondu à la demande du Fonds international pour le développement agricole (FIDA) et s'est rendu en Ouganda, l'un des pays les plus touchés par le fléau, sur un continent qui compte plus de 25 millions de malades ou de porteurs du virus VIH.

Il est parti avec, pour la première fois, une caméra numérique, pour une courte enquête de dix jours. Ces "notes imagées" sont devenues un film, à la fois impressionniste et documenté, tourné vers la vie, malgré la souffrance et la maladie.

La vieille Banadetta a 72 ans. Elle avait onze enfants. Tous sont morts aujourd'hui. Mais elle a 35 neveux et petits enfants à sa charge. Une autre veuve de 60 ans a perdu six enfants. Il lui en reste six et quatre petits enfants. Dans un village, la plupart des hommes âgés de 15 à 45 ans sont morts, les mères et les grand-mères, sous l'égide d'une organisation créée par des femmes ougandaises, s'organisent en groupes pour survivre.

Dans un centre de soins de la région de Masaka, épicentre du sida en Ouganda, le réalisateur filme des enfants inertes sur leur lit, des regards inoubliables, un petit corps frêle empaqueté dans un carton qu'un homme emporte sur le porte-bagages de son vélo...

"Attaché aux vivants"

Pourtant, "A.B.C. Africa", distribué par MK2, n'est pas un document triste et il aurait pu emprunter le titre d'un autre film de Kiarostami consacré aux enfants "Et la vie continue". Evoquant les visages souriants d'enfants, qui chantent en frappant des mains et dansent devant sa caméra, le réalisateur a précisé, au cours d'une conférence de presse à Cannes, qu'il s'était "attaché aux vivants. Comment peut-on penser aux morts quand on a les vivants sous les yeux ?".

Il a toutefois rappelé que sur 22 millions d'habitants en Ouganda, deux millions sont morts du sida, deux millions sont séropositifs et 1,6 million orphelins de l'un ou des deux parents.

Au fil de ce voyage, Abbas Kiarostami a aussi filmé des photos du Pape, vestiges de sa visite en Ouganda, et des affichettes disant "restez vierge", "la virginité est la meilleure protection contre le sida". Un Ougandais qui l'accompagne rappelle la position de l'Eglise catholique, opposée à l'utilisation des préservatifs: "Faire la promotion des capotes, c'est faire l'apologie de la débauche".

Parmi ses rencontres: un couple d'Autrichiens qui vient d'adopter un petit bout de chou qui tient à peine sur ses jambes et un couple de professeurs ougandais le jour de leur mariage. Il a perdu sa femme, elle a perdu son mari, tous les deux victimes du sida. Ils ont chacun un enfant.

Abbas Kiarostami, qui a l'art de filmer les enfants et le frémissement du vent dans les arbres, a, là aussi, capté des instants d'émotion, de beauté et de couleurs, la latérite rouge sous le ciel bleu, les teintes vives des robes. Evoquant son tournage en caméra numérique, le réalisateur a précisé qu'il "aurait du mal, maintenant, à accepter le retour aux contraintes du 35 mm" et à la lourdeur d'une équipe traditionnelle".

Le cinéaste expose en même temps les photos réalisés sur ce thème, à partir du 25 octobre et jusqu'au 24 novembre, à la Galerie de France (54, rue de la Verrerie, 75004).