Par Le National
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Sexe et liberté de parole : fin des tabous totalitaires en ex-URSS

MOSCOU (AFP) - Sexe en direct à la télévision, liberté d'expression et ouverture des frontières: la chute de l'URSS a sonné le glas des tabous et des interdits totalitaires, laissant les ex-Soviétiques s'enivrer de liberté, jusqu'à tomber dans ses excès.

Des millions de téléspectateurs suivent en direct les amours et les dialogues parfois crus de six jeunes, enfermés dans un appartement pour le compte d'une émission à succès "Derrière la vitre", version russe de Big Brother.

Chose inimaginable il y a dix ans dans un pays où une Soviétique avait lancé lors d'un des premiers duplex télévisés russo-américains: "En URSS, il n'y a pas de sexe".

Une phrase restée historique qui reflétait à la fois la pudeur et l'hypocrisie omni-présente.

Dans un pays prétendument puritain, des maris infidèles dénoncés par leurs femmes comparaissaient devant les camarades du parti communiste pour subir des interrogatoires sur le thème "comment cela s'est passé" avec la maîtresse.

Outre un tabou absolu - la critique du régime -, "la société soviétique avait plein d'interdits symboliques: on pouvait faire des choses mais sans en parler, parler mais sans tout dire...", note le politologue Boris Kagarlitski.

"Si parfois quelqu'un quelque part ne veut pas vivre honnêtement..." chantaient les policiers d'un feuilleton télévisé populaire sur la lutte contre la corruption.

Ce système de restrictions a paradoxalement stimulé le processus créatif.

"Dans le domaine artistique il fallait faire semblant de ne pas être en conflit avec le réalisme socialiste, l'esthétique officielle du régime, c'était un jeu très fin", raconte M. Kagarlitski.

"Un petit groupe d'artistes dont je faisais partie avait le droit de faire plus que les autres", se vante le metteur en scène Anatoli Vassiliev dont les actrices ne portaient pas de soutiens-gorge malgré l'interdiction formelle du ministère de la Culture.

C'est le totalitarisme qui a formé les "bards" (chansonniers russes) comme Vladimir Vyssotski et Boulat Okoudjava, capables de tout dire "entre les lignes", ou des comiques imbattables comme Arkadi Raïkine ou Mikhaïl Jvanetski, des grands cinéastes et metteurs en scène de théâtre.

La démocratie a apporté aux Russes la littérature et la musique de toutes les tendances mais aussi de tous les niveaux.

A tel point que certains artistes ayant souffert sous le communisme prônent la réintroduction de la censure, pour lutter contre le sexe, la violence et les révélations douteuses dont se nourrit la presse populaire.

"Nous sommes comme les adolescents de 14 ans, corps mûr mais cerveau d'enfant, qui ne comprennent pas trop ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas faire", estime l'écrivain et présentateur d'une émission humoristique Viktor Chenderovitch.

Ce sont les enfants du brejnévisme, marqués par les interdits et les pénuries, qui sont devenus dans les années 90 ces femmes portant mini-mini-jupes et décolletés profonds en toute occasion et ces "nouveaux Russes" dont les goûts de luxe frisent le ridicule.

Dans les années 70, il fallait du courage pour mettre collants noirs ou jeans, "cédant à l'influence délétère de l'Occident".

Aujourd'hui les Russes rient de ce genre de formules, mais les valeurs libérales suscitent toujours des réactions variées chez ceux qui ont longtemps vécu en URSS.

Même si la classe moyenne des grandes villes a choisi le mode de vie à l'occidentale, "la division entre les nôtres et les étrangers reste très ancrée dans les esprits", note le sociologue Iouri Levada, directeur de l'institut VTSIOM.

Quant aux jeunes de 20 ans, ils "ne connaissent aucun interdit, mais n'ayant pas lutté pour être libres, ils ne savent pas non plus se servir de cette liberté", conclut-il.