Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Cancer localisé de la prostate : alternatives thérapeutiques

(D'après RGL-Maginfo)

Le cancer de la prostate suscite de nombreuses controverses et le débat est sans cesse relancé : faut-il le dépister systématiquement ? Le traiter absolument ? Quel est le meilleur traitement du cancer localisé ?

Les traitements classiques (radiothérapie externe et prostatectomie totale) sont grevés de complications difficilement acceptables : digestives, vésicales, et surtout incontinence et impuissance.

Sous la pression des patients et des médias, on cherche des traitements moins agressifs.

Si certains ont fait l'objet d'études randomisées, d'autres déclenchent des engouements éphémères ou ne bénéficient pas d'assez de recul. L'Institut Curie a fait le point sur ces nouvelles techniques (Séminaire de l'Institut Curie - Paris - intitulé " Evolutions récentes dans le cancer de la prostate ", organisé en collaboration avec l'hôpital Cochin - mars 1999 - sous la direction du Pr Jean-Marc Cosset - Institut Curie).

Radiothérapie conformationnelle :
améliorer le contrôle local
et réduire la toxicité

La radiothérapie conformationnelle utilisée dans le cancer de la prostate est une irradiation externe fractionnée (2 Gy par séance, cinq séances par semaine, pendant sept à huit semaines), délivrée par un accélérateur linéaire de particules. Elle a les mêmes indications que la radiothérapie conventionnelle. Elle s'en différencie lors de sa préparation et de sa réalisation, par un meilleur plan de traitement et un meilleur contrôle de qualité. Elle permet de délivrer à la tumeur des doses plus élevées (15%), tout en diminuant l'irradiation du rectum et de la vessie. L'amélioration du contrôle local qui en résulte devrait réduire le risque métastatique secondaire et améliorer la survie des patients.

La première étape est l'acquisition de données anatomiques par le scanner, après un repérage exact de la position du malade. Le plan de traitement est élaboré par stimulation virtuelle après avoir délimité la prostate, les vésicules séminales, le rectum, la vessie, les têtes fémorales et, si besoin, les aires ganglionnaires. Le volume ciblé traité prend en compte l'extension infraclinique de la maladie, les mouvements possibles des organes et les incertitudes quantifiées de l'ensemble de la procédure.

Un logiciel de dosimétrie tridimensionnelle permet de définir les faisceaux d'irradiation dont :

  • le nombre (supérieur à quatre),
  • l'orientation (incidences obliques)
  • et la forme sont adaptés (d'où le terme " conformationnel " de l'anglais " to conform " signifiant " adapter ") au volume cible et aux organes critiques voisins.

    Des histogrammes dose-volume documentent la répartition de la dose et permettent de l'optimiser. Ultérieurement, ces données sont corrélées aux résultats cliniques, permettant une évaluation plus rigoureuse des échecs locaux et des risques de complications.

Débutée en 1995 à l'Institut Curie, à la dose conventionnelle de 68 Gy, l'irradiation conformationnelle du cancer de la prostate a été porté en 1997 à 76 Gy, sans accroître les signes d'intolérance immédiate ni les complications à court et moyen termes.
Ces observations préliminaires concordent avec les données des séries américaines qui ont fait également la preuve d'une amélioration du contrôle local à cinq ans (contrôle biologique par le PSA et contrôle biopsique).

Une nouvelle génération d'accélérateurs linéaires de particules, dotés d'un collimateur multilames et d'un système d'imagerie numérique en temps réel, facilite la réalisation de ce traitement. L'utilisation de cette technique est actuellement limitée par son coût économique, humain et matériel (d'après une communication du Dr Dominique Pontvert - Institut Curie).

Curiethérapie prometteuse

La curiethérapie connaît un regain d'intérêt, en particulier grâce à l'amélioration des techniques échographiques et de dosimétrie. Cette appellation recouvre en fait des techniques différentes selon la source utilisée - grains d'iode 125 le plus souvent ou palladium - et selon qu'elle est effectuée avec ou sans " préplanning ". Elle peut être associée à une radiothérapie externe (possibilité d'un surdosage prostatique épargnant les organes voisins) ou à une hormonothérapie.

La curiethérapie s'adresse aux cancers circonscrits à la prostate, T1 et T2, sans symptômes obstructifs majeurs, le caractère localisé de la maladie étant vérifié par IRM endorectale, avec un PSA inférieur à 15 nanogrammes par millilitre et une scintigraphie osseuse négative.

Le traitement comporte deux étapes :

- le " préplanning " nécessite une hospitalisation de vingt-quatre heures; un logiciel recueille des données échographiques très précises (coupes tous les cinq millimètres), avec un repérage suffisamment exact de la position du patient pour qu'on puisse la retrouver un mois et demi plus tard; le programme de dosimétrie prévisionnelle détermine alors la position optimale des grains d'iode 125 sur toutes les coupes en 2D ou en 3D, afin d'assurer la meilleure couverture possible de la prostate avec le moins possible de grains et d'aiguilles (l'isidose 160 Gy doit couvrir plus de 99% de la prostate);

- l'implantation a lieu quelques semaines plus tard; effectuée sous anesthésie générale, elle dure deux heures et se termine par une cytoscopie pour vérifier qu'il n'y a pas de grains d'iode 125 à l'intérieur de la vessie et de l'urètre; actuellement l'hospitalisation dure trois jours; une dosimétrie postimplantatoire est effectuée après repérage des grains au scanner.

Cette technique utilise l'iode 125 dont la période est de 125 mois. Chaque grain délivre 0,4 millicurie. On utilise en moyenne cent grains. La dose totale optimale, entre 140 à 160 Gy en monothérapie, n'est pas encore déterminée.

Les complications sont celles de l'anesthésie générale ou de l'implantation : prostatites, hématurie, troubles microtionnels pendant deux à six mois, nécessitant une semaine d'anti-inflammatoires et des alphabloquants pendant quelques mois. L'incontinence est très rare (moins de 1% si ces patients n'ont pas été opérés au préalable), le taux d'impuissance à six ans est compris entre 15 et 20%.

Les résultats sont difficiles à comparer en raison de la diversité des techniques employées, de la sélection des patients, de l'existence ou non d'un traitement hormonal adjuvant ou des critères de réussite (contrôles par dosimétrie, biopsies ou taux de PSA ?). On dispose néanmoins d'un certain recul et une étude a montré un pourcentage de survie de 98% à 10 ans, le taux de PSA avant traitement étant le facteur prédictif prépondérant.

La curiethérapie, par ses résultats et sa morbidité minime, est une technique très intéressante, à condition de sélectionner rigoureusement les patients.

Ses implications sont limitées :

  • elle nécessite un matériel sophistiqué,
  • un personnel très qualifié
  • et une étroite collaboration entre urologue et radiologue.
      Le montant du traitement - chacun des cent grains d'iode 125 coûte à lui seul 300 francs - n'est actuellement pas remboursé, mais pris en charge par les hôpitaux ou les instituts qui pratiquent cette technique. Une procédure pour la mise en place d'une cotation est en cours de négociation avec les caisses (d'après une communication du Pr Thierry Flam - Hôpital Cochin - Paris & du Dr Laurent Chauveine - Institut Curie).

Des techniques chirurgicales
en cours d'évaluation

De nouvelles techniques chirurgicales du cancer de la prostate font actuellement l'objet d'études. Elles visent à réduire la durée d'hospitalisation, à diminuer la douleur post-opératoire, à raccourcir la période d'incontinence urinaire et à préserver au maximum la fonction érectile. Ces différentes méthodes ne doivent pas, pour l'instant du moins, être considérées comme un traitement standard du cancer de la prostate.

  • Certains pratiques la prostatectomie rétropubienne par minilaparotomie (incision de six à sept millimètres), technique superposable à la prostatectomie classique.
  • Depuis un an, des équipes recourent à la prostatectomie totale par laparoscopie. Elle nécessite la mise en place de cinq trocarts. La durée de l'intervention est supérieure de trente à quatre-vingt-dix minutes à celle de l'intervention chirurgicale classique. Il semble que la récupération se fasse plus vite : 60% des patients sortent deux à quatre jours après l'intervention. La douleur est beaucoup moins marquée. Dans les plus grandes séries, le PSA post-opératoire est inférieur à 0,1% dans 90% des cas, mais il est encore trop tôt pour évaluer la récupération des érections.
  • Le traitement du cancer localisé par les ultrasons focalisés transrectaux (Ablatherm -reposant sur la destruction thermique des tissus par un faisceau d'ultrasons convergents. La sonde d'échographie et la tête de tir sont introduites dans l'ampoule rectale en regard de la prostate) s'adresse aux patients de plus de 67 ans et non candidats à la prostatectomie. Cette intervention se fait sous rachianesthésie et dure environ une heure et demie. Chaque lobe prostatique est traité séparément à trente jours d'intervalle. Les ultrasons entraînent des lésions de nécrose et de fibrose. Actuellement, 50% des patients ont des taux de PSA indétectables. En cas d'échec, on peut recourir à la radiothérapie externe. Les complications sont relativement fréquentes, puisque signalées dans environ 30% des cas.
  • La cryochirurgie percutanée retrouve un regain d'intérêt, notamment aux Etats-Unis, grâce aux techniques de l'échographie transrectale, de l'instrumentation percutanée et d'une régularisation plus précise du système de refroidissement et de réchauffement. Elle peut être proposée comme traitement de première intention ou s'adresser aux échecs de la curiethérapie ou de la radiothérapie externe.
    Elle se pratique sous anesthésie loco-régionale. Cinq sondes sont mises en place dans la prostate par voie percutanée sous contrôle échographique.
    Le refroidissement se fait jusqu'à moins 196° C. Les principales complications sont les lésions rectales ou urétrales engendrées par le refroidissement. Il est donc impératif de ne la pratiquer que dans des centres qui en ont une grande expérience.
    Il n'existe aucun traitement codifié du cancer localisé de la prostate. On ne peut que proposer différentes options thérapeutiques, voire l'abstention, comme dans certains pays, en tenant compte de l'évolutivité du cancer (qui serait moindre pour les cancers bien différenciés), de l'âge du patient, de son espérance de vie, des troubles de l'érection existants ou à prévoir et de l'importance qu'il y attache (d'après une communication du Dr Francis Firmin - Institut Curie).

Quelles place pour le traitement médical ?

L'hormonodépendance du cancer de la prostate est connue depuis longtemps, puisque les premières castrations thérapeutiques ont été réalisées en 1941. Ces dernières années, les antiandrogènes non stéroïdiens ou les antagonistes de la LH-RH ont supplanté les estrogènes. Ils n'ont pas fait la preuve d'une efficacité plus grande, mais la morbidité est nettement inférieure.

Comparée à la castration isolée, l'association orchidectomie + antiandrogènes se révèle très décevante, quelle que soit l'importance de l'extension métastatique, qu'on retienne pour critère la survie sans progression tumorale, le blocage hormonale ou la survie globale.

L'hormonothérapie a prouvé son intérêt en tant qu'adjuvant, comme l'ont montré des résultats significatifs de l'association radiothérapie + hormonothérapie par rapport à la radiothérapie seule dans les stades localement avancés (stades C).

Dans les formes métastatiques, une hormonorésistance se développe toujours à plus ou moins long terme. La chimiothérapie est réservée à ces stades d'échappement hormonal, alors que la survie n'est plus que de six mois à un an (mais le taux de réponse est inférieur à 10%).

Globalement, la chimiothérapie est inefficace. Des essais sont en cours avec de nouvelles drogues (type vinorelbine, gemcitabine), seules ou en association, mais les résultats sont très décevants. Aucun critère de sélection ne permet jusqu'à présent de prévoir une réponse thérapeutique aux cytotoxiques, sauf, peut-être, pour les tumeurs à forte composante neuro-endocrine.

Quelles ouvertures pour l'avenir ?

Un traitement par un anti-corps monoclonal humanisé vient d'être agréé par la FDA pour le cancer du sein métatstatique. Son action : le blocage d'un récepteur membranaire de facteur de croissance (HER2). La surexpression de ce gène HER2 existerait dans 28% des cancers de la prostate. Elle peut être recherchée en immuno-histochimie. Les premiers essais de ce traitement dans les cancers du sein ont montré une bonne tolérance et des résultats significatifs, en particulier en association avec la chimiothérapie. Des essais vont concerner d'autres tumeurs.

Des vaccinations antitumorales sont à l'étude. Le cancer de la prostate représente un excellent modèle. Après prostatectomie totale, les seules cellules qui expriment le PSA sont les cellules tumorales : il est donc théoriquement possible de les cibler et de vérifier l'efficacité par le dosage de ce marqueur très sensible. On a aussi mis en évidence un gène codant pour une mucine (MUC1), anormale dans 90% des cancers du sein mais aussi dans les cancers de la prostate, qui pourrait faire l'objet d'une vaccination.

On peut donc raisonnablement penser que, l'an prochain, en Europe, des essais de vaccination viseront les cancers de la prostate en échappement hormonal, après prostatectomie ou radiothérapie.

En collaboration avec le Dr Marie Lacoume