Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Témoignage: Le SIDA, un problème, des épreuves...

Par Pascal Lebel (France)

J'avais 28 ans quand j'ai appris que j'étais séropositif. Franchement sur le coup, ça ne m'a rien fait du tout. Puis, je me suis décidé à en parler à mes amis, et ensuite à ma famille, redoutant leurs réactions. Certains m'ont soutenu, d'autres m'ont lâché.

J'ai commencé une vie avec des préservatifs. C'était l'une des seules choses que l'on savait. J'ai rarement fait des impasses, avec la complicité de mon partenaire. Je ne peux pas expliquer ce geste. Il arrive que tu te laisses porter par la magie de l'acte et tu disjonctes. Je trouve que les partenaires des gens séropositifs doivent comprendre le mécanisme et redoubler de prudence.

Quelqu'un qui porte la séropositivité vit constamment dans l'auto - censure. La pression est toujours présente, les rapports "humains" sont difficiles dans cette société où l'hypocrisie est de mise. C'est une roulette russe. J'ai souvent pensé que c'était injuste, n'ayant pas eu de nombreux partenaires, de me trouver "plombé" ainsi pour la vie. Alors que d'autres qui ont eu une vie plus débordante non rien ramassé (tant mieux pour eux).


Pascal Lebel

Pourquoi moi, et pas les autres ?

Pendant des années, je suis allé à l'hôpital faire des bilans systématiques. J'étais ce qu'on appelle porteur asymptomatique. Je me trouvais donc en bonne santé, comme toute personne de mon âge qui a une vie régulière et des activités débordantes.

Tout autour de moi, mes amis sont tombés malades, eux n'ont pas eu la force de résister et de lutter. A l'instant ou j'écris ce texte, du groupe d'amis que nous étions, nous ne sommes plus que deux. Lui est séronégatif, moi je suis sidéen. C'est dur de se retrouver avec un carnet d'adresses qui se transforme en carnet nécrologique.

C'est aussi douloureux de les voir dépérir alors que tu es en pleine forme. L'accompagnement des malades jusqu'à la phase terminale est difficile à supporter. Rester seul donne parfois envie de les rejoindre. Enfin c'est comme ça, à l'époque la médecine ne pouvait pas grand chose, les traitements étaient lourds et peu efficaces.

Après le décès d'un être qui m'était très cher. La névrose a pris le pas sur mon énergie. Je me suis retrouvé un beau jour, étalé dans le jardin sans connaissance. Un voisin m'a trouvé par hasard et m'a conduit à l'hôpital, et là j'ai reçu une comme une grande gifle, j'avais déclaré un sida (toxoplasmose cérébrale)

Depuis, j'ai vécu cette période avec le sentiment de mort, toujours présent à chaque instant, allant jusqu'à sentir son souffle glacial durant la nuit.

Je vivais une période d'autodestruction, j'étais devenu complètement inactif, moi qui ne restais pas en place cinq minutes de suite. Effondrement total, heureusement que de nouveaux amis m'ont soutenu, probablement que sans eux, je ne sais pas où je serais maintenant ou plutôt si !

Beaucoup de personnes dans ma situation ont besoin de parler, d'être écoutées, et je dis bien être écoutées et pas être entendues. Il manque des structures d'accueil surtout en province pour les séropositifs, les malades et surtout ceux qui passent en phase terminale et qui terminent généralement leurs jours en hôpital psychiatrique.

De plus la presse de l'époque donnait une durée de vie moyenne de dix ans aux personnes séropositives. Comment faire pour espérer, garder le moral, faire des projets ?

Les hôpitaux je les connais bien, tu t'y sens hors de ton univers, tu y es perdu. Tu vis l'angoisse de l'hospitalisation au jour le jour, à la pensées des multiples examens que tu vas subir et surtout à l'angoisse du résultat.

Petit à petit mais sûrement, mon système immunitaire s'est effondré jusqu'à l'option zéro, des pathologies multiples se sont déclarées, à croire qu'elles guettaient la chute de mes CD 4. A ce moment j'ai vraiment eu l'impression que c'était la fin de ma courte vie.

Je suis resté dans le néant, durant plusieurs jours à n'entendre que des bruits, assortis d'échos lointains qui n'en finissaient pas, ne voyant presque plus, si ce n'est les images de ma vie qui défilaient sous forme de flash, je sentais le peu d'énergie vitale qui me restait s'écouler hors de moi. Je me rappelle quand même qu'une infirmière m'avait demandé, si je voulais l'assistance d'un prêtre. Je ne sais pas ce que je lui ai répondu, pour moi cela ne devait plus avoir d'importance.

Jusqu'à l'instant ou je n'ai plus eu peur, rien ne se passait. Ce fut le noir complet. A la grande surprise de l'équipe médicale qui m'entourait, le lendemain matin, j'allais mieux, probablement que le moment de vous dire adieu n'était pas venu.

La trithérapie m'a été salutaire, doucement je réapprends à vivre, à communiquer, à être enfin moi -même, mais à quel prix ? Que de douleurs, de souffrances, d'incertitudes. Combien de temps le traitement thérapeutique résistera t - il au V.I.H ?

Cette question, je me la pose au quotidien !

Pour conclure cette petite causerie sans prétention littéraire, je voudrais terminer de la sorte. Il ne faut plus cacher cette pandémie qui ravage le globe, nous devons arrêter de nous masquer la face.

Il n'y a pas de groupes à risques mais plutôt des pratiques à risques. La seule thérapie efficace de nos jours reste la prévention. Préservatifs mais aussi seringues stériles.

Ce texte à été écrit et publié en France en janvier 1998, à l'occasion des journées universitaires de la santé, mais où en sommes nous maintenant ?

A l'heure actuelle je me porte bien, cliniquement parlant, si ce n'est les séquelles provoquées par les différentes maladies opportunistes que j'ai contractées, qui m'ont affaibli et qui m'empêchent de reprendre une vie normale.

Certes la médecine fait ses preuves et de nouveau traitements ont vu le jour, malgrés les réticences des labos et la nonchalance des différents gouvernements. Le sida ne serait - il plus rentable à leurs yeux ?

Ou faudra -t- il encore attendre une hécatombe comme celle des années noires (1985 et 1986) où les carnets d'adresses se transformaient en rubrique nécrologique ?

Va - t - on encore laisser faire le dictat du profit à celui du bien être des malades, on peut déjà se rendre compte sans trop chercher que beaucoup des malades rescapés grâces aux trithérapies se trouvent à l'heure actuelle en état d'échappement thérapeutique. Et quel avenir envisage - t - on pour ceux qui résistent à ce fléau.

Il est aussi assurément vrai que le message ne passe plus dans le public et l'on peut constater une recrudescence des pratiques à risques, avec comme alibi, les nouveaux traitements. Mais combien de temps resteront - ils efficaces et quels dommages causeront - ils à l'organisme qui s'en trouve néanmoins affaibli et pensez - vous vraiment que de devoir avaler une trentaine de pilules part jour soit le summum du plaisir ?

Voilà tout ce que j'ai à vous dire, Mesdames, Messieurs.

Vous savez maintenant l'essentiel. Je crois très sincèrement que chacun doit prendre ses responsabilités et agir comme en toute Humanité envers autrui et envers lui - même pour le plus grand bien de tous.

Pour terminer mon petit laïus :

Je me permets de vous le rappeler, qu'une fois contaminé, c'est pour la vie, il n'y a pas de retour à la case départ, et à mon humble avis, traiter le sida de sujet éculé est une absurdité !

P.L. malade du sida depuis 1985