Par Le National
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Les tabous face au sida éclatent au grand jour à l'ONU

NEW YORK (Nations Unies), 25 juin (AFP) - L'opposition de pays islamiques à la participation lundi d'une représentante de la communauté homosexuelle à une conférence de l'ONU sur le sida illustre la persistance des différences socio-culturelles face à une maladie marquée au sceau de la sexualité et de ses tabous.

La conférence, qui s'était ouverte lundi matin par un appel à la tolérance du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, a dû être suspendue pendant plus de deux heures et demie dans l'après-midi, lorsqu'un groupe de pays musulmans a refusé qu'une représentante de la communauté homosexuelle puisse s'exprimer durant les débats.

Le Canada, la Norvège et la Suède ont alors introduit un amendement visant à rétablir la participation, à une table ronde sur le thème du sida et des droits de l'homme, de Karyn Kaplan, membre de l'International Gay and Lesbian Human Rights Commission (IGLHRC, commission internationale des droits de l'hommes des gays et lesbiennes). Cette organisation non-gouvernementale (ONG) défend les droits des homosexuels.

Un groupe de onze pays islamiques, dont le Soudan, la Syrie, le Pakistan, la Malaisie, l'Egypte, la Libye, l'Arabie Saoudite et le Maroc, s'était opposé la semaine dernière à la participation prévue de Mme Kaplan, sans fournir de justifications à ce refus.

Mme Kaplan, une des 700 membres d'ONG admis à participer à cette conférence de l'ONU, est la seule représentante de la communauté homosexuelle, pourtant particulièrement touchée par le sida, à avoir été invitée à s'exprimer officiellement lors d'une des quatre tables rondes prévues.

"Les Nations Unies restent les otages de l'homophobie de quelques pays", avait dénoncé avant les débats Scott Long, directeur de l'IGLHRC. "Il reste à voir si la raison prévaudra sur la haine et le préjugé drapés dans les habits de la moralité".

Au nom des pays musulmans, l'Egypte a introduit sa propre motion afin de tenter de bloquer l'adoption de l'amendement canadien, norvégien et suédois, ce qui a donné lieu à de vifs échanges avec les représentants des pays occidentaux.

L'amendement égyptien ayant été rejeté par 63 pays contre 46 et 19 abstentions, les pays musulmans ont ensuite mis en cause l'intégrité du vote, affirmant que le quorum n'était pas réuni.

Regardant sa montre à plusieurs reprises, et visiblement exaspéré par le retard pris dans les travaux, le président de l'Assemblée générale, le Finlandais Harri Holkeri, a dû jouer plusieurs fois du maillet pour rappeler les délégués à l'ordre.

L'IGLHRC a dénoncé les pays musulmans à l'origine de l'incident qui ont, selon elle, "un bilan de persécution contre les minorités sexuelles". En Iran, l'homosexualité est illégale et passible de la peine de mort, a rappelé l'organisation.

L"ambassadeur sud-africain à l'ONU, Dumisani Kumalo, a lancé un vibrant plaidoyer contre toute forme de discrimination. "Ceci est une conférence consacrée aux gens qui meurent du sida. Les gens qui en meurent sont des blancs, des noirs, des homosexuels, des hétérosexuels, tout le monde", a-t-il dit.

Finalement, au bout de deux heures et demie de débats, l'amendement canadien, norvégien et suédois a été adopté par 62 pays contre zéro et 30 abstentions, le groupe musulman ayant indiqué préalablement qu'il ne prendrait pas part au vote.

Avant même celui-ci, Mme Kaplan avait déploré le barrage des pays musulmans à son encontre. "Empêcher un groupe de défense des homosexuels de participer à une rencontre de l'ONU consacrée au sida et les droits de l'homme fait du but même de cette conférence une moquerie", a-t-elle estimé.

"Nous avons besoin de solutions réelles à cette épidémie et cela commence par parler aux gens qui ont besoin d'aide. Les pays qui veulent nous exclure persécutent les homosexuels et encouragent la stigmatisation qui permet au sida de se propager", a-t-elle dit.