Par Le National
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Quelle ouverture à l'ONU ?

En avril dernier, les droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles et transsexuelles (LGBT) faisaient l'objet d'un débat exceptionnel à Genève, devant des experts onusiens. Mais cette avancée est toute relative.

En témoigne le récent refus, à New York, d'accorder à l'ILGA un statut consultatif auprès de cette même ONU. Un blocage orchestré par des Etats qui bafouent les droits humains. Depuis l'impact produit par la première déclaration faite à l'ONU par un juriste canadien ouvertement gay, il aura fallu attendre presque dix ans pour qu'un débat d'importance, dans ce même cadre, attire l'attention sur les droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles et transsexuelles (LGBT).

Le 8 avril dernier, c'était en effet la première fois que des experts de l'ONU se joignaient à des personnes représentant d'organisations non gouvernementales de tout premier plan ­ LGBT ou non - pour dénoncer les discriminations ou persécutions basées sur l'orientation ou l'identité sexuelles. Le matin même, on avait déjà pu entendre, lors d'une conférence de presse organisée par la Coalition de Genève, la représentante de l'ILGA pour l'Amérique du Nord, l'avocate québécoise et directrice générale de la Coalition gaie et lesbienne du Québec,Claudine Ouellet, un délégué de l'association transgenre britannique Press for Change, Alex Whinnom, et un avocat indien spécialisé dans les questions sida, Aditya Bondyopadhyay.

Me Claudine Ouellet

A l'intérieur de l'ONU, le panel était complété par deux des sept experts de la Commission des Droits de l'Homme ­ dont c'était la 58e cession : Mme Radhika Coomaraswamy, rapporteuse spéciale sur les violences faites aux femmes et Mme Asma Jahangir, rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, ainsi que Jan Doerfel, assistant du rapporteur spécial sur la Torture.

Côté ONG, mis à part Pink Cross, organisateur de l'événement, étaient présents Ignacio Saiz, conseiller juridique d'Amnesty International, Helmut Graupner, venu de Vienne pour représenter l'association de juristes et avocat-e-s homosexuel-le-s ILGLaw, et le représentant d'IGLHRC, Scott Long. Les deux rapporteuses spéciales ­ dont le mandat consiste spécifiquement à rapporter les violations des droits humains constatées lors de leurs missions à l'étranger ­ ont souligné le nombre important de personnes discriminées et persécutées du fait de leur orientation ou identité sexuelles : menaces de mort, exécutions, etc.

Or ces violations des droits humains ont souvent lieu dans des pays qui, officiellement, disent ne compter aucun membre des communautés homosexuelle ou transsexuelle. Le Président du groupe de travail de la CDH sur la détention arbitraire, Louis Joinet a également expliqué à l'AFP que son groupe était "de plus en plus fréquemment saisi" de cas de personnes détenues en raison de leur orientation sexuelle : "C'est un problème difficile, car il n'est pas prévu directement dans notre mandat. Celui-ci concerne en effet la détention arbitraire de personnes emprisonnées en raison de leurs opinions.

Or, l'orientation sexuelle n'est pas une opinion. Actuellement, nous faisons tout un travail de réflexion avec les ONG et certains Etats pour voir comment étendre la protection à ces formes de persécutions." En recrudescence dans certains pays, la détention et la torture de personnes transsexuelles ont été relevés, notamment par Amnesty et Press for Change, de même que le cas des eunuques en Inde, souvent privés de leur droits et discriminés, comme l'a mentionné Aditya Bondyopadhyay. Parmi les cas les plus fréquemment cités par les experts, celui des 52 Egyptiens jugés au Caire.

L'emprisonnement de ces hommes présumés homosexuels avait déjà soulevé un tollé sur le plan international (voir 360° No 19), et avait suscité de nombreuses manifestations dans plusieurs villes dans le monde, dont Genève. @Blocage à New York L'attention portée par les experts onusiens sur les droits LGBT ne doit pas faire oublier le fort lobbying que des Etats musulmans, catholiques et africains, en première ligne des pays qui ne respectent pas la liberté de leurs citoyens en matière d'orientation sexuelle, exercent à l'ONU pour empêcher toute avancée. Le 30 avril dernier, à New York, l'International Lesbian and Gay Association (ILGA) en a fait les frais.

Candidate à un statut consultatif auprès de l'ONU, l'ILGA a vu son essai échouer suite au veto de plusieurs de ces Etats musulmans. En pratique, cela signifie que l'ILGA est exclue de forums importants, dont la Commission des droit de l'Homme. Cet échec n'est pas une véritable surprise, car, comme le relève la déléguée de l'ILGA à l'ONU, Me Claudine Ouellet, les deux tiers des Etats ­ avec l'Egypte comme chef de campagne ­ qui ont pris la décision de rejeter sa candidature de l'ILGA, possèdent des lois interdisant les rapports sexuels entre hommes, ou entre femmes, ou les deux.

Parmi ceux-ci, l'Iran et le Soudan (peine maximale: la peine de mort), l'Ouganda, où le président Yoweri Museveni avait, en 1999, ordonné l'arrestation des homosexuels, le Zimbabwe, où le president Mugabe avait constamment attaqué les gays et lesbiennes, les jugeant notamment " pire que des chiens ou des cochons ", ou encore le Qatar, où, en 1997, la police a procédé à des arrestations de travailleurs étrangers gays pour les déporter à l'étranger. Et ce sont ces mêmes Etats, qui, régulièrement, sont brocardés par les experts de l'ONU, les organisations non gouvernementales pour non respect des droits humains. Le front de ces Etats s'est orchestré autour d'une perverse accusation, prétendant que des associations membres de l'ILGA encouragent la pédophilie.

En 1994, l'ILGA avait certes dû expulser trois de ses quelque 300 associations membres, cela pour des liens avec les milieux pédophiles. Mais depuis, comme l'a souligné Me Ouellet lors des débats, l'ILGA a adopté dans sa Constitution, les principes édictés par la Convention de l'ONU sur les droits de l'Enfant, condamnant toute pratique criminelle contre les enfants. Elle avait également adopté une résolution stipulant que " tout enfant a le droit d'être protégé de tout abus ou exploitation sexuels ".

Depuis donc près de dix ans, l'ILGA ne compte donc pas d'association pro-pédophile parmi ses membres. Face aux accusations, des pays comme les USA, l'Australie, et, en Europe, tout particulièrement la France, les Pays-Bas et l'Allemagne ou le Royaume-Uni, ne s'y sont pas trompés : ils ont soutenu l'ILGA tout au long de ces procédures. Le vote a donc aussi permis de faire l'inventaire des pays amis. Si certains se sont abstenus (Brésil, Guatemala, Mexico, Pérou, République de Corée, l'Afrique du sud et l'Ukraine), l'Espagne, elle, s'est particulièrement distinguée en votant contre l'ILGA. Johanna Wirt-Steiner

Le privilége de réplique