Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Les grands compositeurs classiques homosexuels et leurs oeuvres

Quoi de plus fascinant que de préparer un dossier traitant d'un sujet aussi poignant que les oeuvres musicales issues de la vie homosexuelle de compositeurs célèbres. L'histoire a été plutôt généreuse bien que la documentation sur le sujet n'ait véritablement jamais été dévoilée avant la fin des années 50. Le sujet étant vraisemblablement trop chaud pour les moeurs d'avant-guerre. Ce que l'histoire ne nous dit pas, c'est que de nombreuses femmes lesbiennes composaient sous des pseudonymes laissant croire à des origines masculines. La presque totalité des oeuvres n'a jamais été diffusée car les musiciennes, lorsque convoquées par les prélats ou des hauts responsables de la cour afin de présenter leurs oeuvres, n'osaient jamais se présenter de peur d'êtres rejetés. Nous ne traiterons dans ce texte que des compositeurs masculins, faute de trouver quelque documentation que ce soit sur les grandes lesbiennes compositeurs.

SCHUBERT (Franz-Peter), né en 1797 et mort en 1828, est un exemple évident et incontesté de compositeur homosexuel. Très tôt, le jeune Franz fut en contact avec le milieu dans le cadre du Conservatoire ou de ses nombreuses relations avec certains poètes, danseurs, dramaturges ou juristes connus de l'époque. Tous affichaient leur choix de vie et donnèrent l'occasion au musicien de fréquenter et de vivre des relations amoureuses avec le sexe de son choix. L'oeuvre de Schubert est importante dans son style plutôt que dans sa quantité. Il mourut bien jeune à l'âge de 31 ans mais il avait déjà eu tout le temps d'imposer sa vision de la musique et d'aller influencer jusqu'aux officiels précepteurs de la cour dont le célèbre Saliéri, ennemi juré de Mozart. Parmi les nombreuses compositions musicales que Schubert composa lors des périodes tristes de sa vie notons la Symphonie Inachevée.

Les plus romantiques des historiens se plaisent à expliquer que le compositeur n'a jamais eu le temps nécessaire avant de mourir pour terminer son oeuvre mais la bibliographie et les notes personnelles du compositeur sont plutôt éloquentes à ce sujet et l'explication la plus probable de cet état de fait est plutôt reliée au caractère de Franz. Trop souvent, les idées se chevauchaient dans sa tête et il lui arrivait continuellement de remettre ce qu'il avait déjà commencé à plus tard, pour travailler sur d'autres thèmes musicaux. La conjoncture et les événements ne lui donnèrent jamais l'occasion de terminer son oeuvre mais ce n'est certes pas la mort qui l'en empêcha puisque l'oeuvre elle-même fut commencée plusieurs années auparavant. Schubert, que tout le monde aimait bien, vivait quand même dans une certaine misère. Son plus grand souhait était de vivre l'amour de façon passionnée. Comme ses contemporains VS le SIDA, il alla jusqu'à risquer sa vie pour vivre la jouissance du corps. Par un soir de pluie, il alla rejoindre ses amis au bistro et c'est à cette occasion qu'il fit la rencontre d'un prostitué mâle. Il l'emmena chez lui et garda comme souvenir de cette nuit une maladie vénérienne qui le fit mourir trop jeune.

L'Opéra pensé par Wagner

Wagner (Richard), né en 1813 et mort en 1883 est un cas bien particulier dans le cadre de ce dossier. En fait, il n'a jamais été démontré hors de tout doute que celui-ci eut quelques tendances homosexuelles mais son histoire parle d'elle même. De nombreuses fréquentations féminines suivies d'un mariage prolifique en descendance ne sont pas pour faire oublier les liens privilégier qu'il entretenait avec le jeune Roi Louis II de Bavière. Wagner a fortement influencé son époque et même la nôtre. De ce second point de vue, il représente un formidable coup de charrue dans les terrains un peu trop jardinés du drame lyrique traditionnel. Pour l'Allemagne, il signifie l'aboutissement d'un effort social, d'une tourmente métaphysique, d'une révolution décisive dans la conception du langage musical. Pour l'Europe, il signifie un phénomène de dépaysement, sinon de viol, mais aussi de découverte et de fécondation, le plus caractéristique qui se soit jamais présenté, peut-être, puisque nous en subissons aujourd'hui les ressacs.

L'histoire récente est même remplie d'exemples d'utilisation des oeuvres du maître à des fins autres que la simple écoute musicale. Pensons à Adolf Hitler qui adorait assister aux représentations des opéras de Wagner et qui associait volontiers sa musique à la grandeur de la Rome antique. N'oublions pas que même les Américains, dans le cadre de certaines opérations délicates de bombardement au Vietnam diffusaient à partir de haut-parleurs la musique de la Walkyrie afin d'effrayer les soldats ennemis. Dans les deux cas et ce, malgré notre opinion de pacifistes intellectuels, il faudra avouer que la stratégie était excellente. Les oeuvres de Richard Wagner sont effectivement très intenses dramatiquement et pour ceux qui souhaiteraient assister à ses opéras, soyez avisé que ses opéras ont une durée allant de 2h30 à 7h30 l'unité. Sa relation avec le Souverain de Bavière était basée sur le secret absolu. Nous savons que Louis II était homosexuel et qu'il vouait à Wagner, plus mature de plusieurs années, un culte sans bornes. Tout ce que demandait le compositeur, le Roi lui donnait au point de ruiner le pays en entier avec des dépenses d'un raisonnable douteux. Vers le dernier quart de sa vie, Wagner fit construire, aux frais du bon Roi, une salle réservée uniquement à la représentation de ses oeuvres. En 1872, on posa la première pierre du <<Festspielhaus>> de Bayreuth qui aujourd'hui encore reste exclusivement destinée à la représentation des oeuvres du maître. Le Roi dû abdiquer à cause du terrible état des finances publiques dans lequel il jeta le royaume et quant à Wagner, souffrant depuis longtemps d'une hypertrophie du coeur, il mourut d'une crise cardiaque à Venise.

Tchaikovsky (Piotr-Illitch), né en 1840 et mort en 1893 fut, sans l'ombre d'un doute, le plus célèbre des compositeurs homosexuels de tous les temps. Il a su influencer et même modifier l'image des gais jusqu'à aujourd'hui grâce à ses oeuvres très populaires auprès du public. Sa vie n'a été qu'une recherche constante du bonheur dans une Russie qui n'acceptait et ne tolérait pas cette "forme de déviance". Malgré son mariage en 1877 qui ne dura que quelques semaines, il ne put s'empêcher d'avoir en tête son goût pour les jeunes garçons << Quelques jours de plus et j'étais fou >>.
En outre, sa sensibilité a quelque chose de <<pleurnicheur>> (le mot est de lui), de complaisamment étalé qui évoque irrésistiblement le romantisme allemand dans ses manifestations les plus copieusement sentimentales. Il est vrai qu'un drame physiologique dont le secret ne laisse pas d'être assez transparent suffit à expliquer bien des choses, sa tristesse incurable et surtout ce goût féminin de livrer son être intime à l'indiscrète contemplation des foules. Tout ce qui sort de sa plume prend l'allure d'un épanchement sentimental et cela le sépare essentiellement des ses collègues compositeurs russes chez qui l'élément descriptif est si important.

Voici un extrait des notes que Tchaikovsky avait écrit pour accompagner sa célèbre et dernière symphonie, "La pathétique": << Le fatum ; une force du destin qui nous interdit d'être heureux...se résigner à une tristesse sans issue...se réfugier dans le rêve. Oh joie! le tendre rêve apparaît enfin...le bonheur est là. Mais non, le Destin nous réveille...>>. Il y en a ainsi durant trois pages. La VIe symphonie (Pathétique) reprend la même idée, cette dernière s'achevant dans la défaite et le désespoir total dans un mortel solo de violoncelle qui n'en finit plus de soupirer. Dans tout cela la sincérité du musicien ne peut être mise en doute et il faut bien avouer que si l'expression de sa mélancolie n'est pas toujours sans fadeur, si malgré tels accents déchirants son lyrisme est souvent bien facile, il domine presque toujours son sujet en grand créateur trouvant moyen de transfigurer parfois les lieux communs les plus plats au feu de son incontestable personnalité.

Tchaikovsky, malgré la correspondance parfois très intime avec Madame von Meck, riche admiratrice du compositeur, resta toujours attiré vers la gente masculine et ses tendresses juvéniles. Cette correspondance que les deux confidents échangèrent pendant plus de 13 ans, accompagnée d'une généreuse rente mensuelle versée par la douce, ne permit jamais à ceux-ci de se rencontrer si ce n'est qu'à une ou deux occasions et à distance.
Les véritables péripéties de Tchaikovsky ne devinrent publiques que bien des décennies plus tard et au dire des survivants de la cour du Tsar, celui-ci avait été surpris avec le dauphin du Roi en train de se livrer à quelques ébats sensuels. Il termina sa VIe symphonie neuf jours avant sa mort. Il mourut d'un choléra, qu'il avait contracté en buvant de l'eau contaminée. Légèreté incroyable ou dégoût de la vie? Les historiens attribuent cet acte aux pressions faites par l'entourage du tsar qui lui donnait le choix entre la disgrâce ou le suicide honorable. Comme Piotr était un noble dans l'âme, il choisit l'honneur.

En 1994, grâce à une plus grande acceptation de l'homosexualité par la société, les compositeurs peuvent s'afficher plus ouvertement sans craindre la colère ou les coupures de rentes des têtes couronnées. L'ère contemporaine nous offre même des compositeurs lesbiennes et homosexuels comme Sophie PICARD ou Benjamin BRITTEN et plusieurs autres qui nous offrent un héritage des plus important pour les générations de futurs musiciens et de mélomanes.


Il serait facile de continuer à vous raconter les créations de musiciens classiques ayant quelques tendances homosexuelles mais comme le disait si bien un de mes professeurs au Conservatoire National de Nice <<...Quand vous écoutez une oeuvre et que celle-ci provoque en vous un bouleversement étrange, inhabituel et que cette situation perdure pendant plusieurs jours, c'est qu'elle a été écrite pour vous et qu'elle touche votre coeur qu'il soit homosexuel, lesbien ou ce qui reste d'autre...>>. Ce sage professeur devait sûrement parler du Stabat Mater de Vivaldi. Musique d'une grande intensité et destinée, j'en suis convaincu, aux âmes douces et aux moeurs légères que nous sommes, le Stabat Mater est l'oeuvre par excellence pour passer un bon moment à méditer et prendre conscience que de tous les temps, la musique a toujours contribué à exprimer l'inexprimable chez les hommes et les femmes. Faute de pouvoir vivre l'amour au même sexe, les compositeurs pouvaient au moins le vivre par la musique.

Références musicales à écouter:
Stabat mater (Antonio VIVALDI)
La Symphonie Inachevée (Franz SCHUBERT)
La Walkyrie (Richard WAGNER)
La Symphonie no.6 "Pathétique" (Piotr TCHAIKOVSKY)