Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Michel et Angel, Juanito et Alejandro se marient à Cuba

LA HAVANE, 12 juin (AFP) - Les mariés étaient en blanc, il y eu des invitations, des fleurs et un gâteau. Mais quoique purement symboliques, les doubles noces de Michel et Angel et de Juanito et Alejandro, deux couples gays de La Havane, représentent quand même un petit évenement à Cuba où la perception de l'homosexualité oscille encore entre rejet et tolérance.

Le mariage entre hommes est illégal à Cuba, aussi les serments d'amour éternel des deux couples, devant leurs parents, leurs frères et soeurs et leurs amis dans un centre récréatif de San Miguel del Padron, dans la grande banlieue de La Havane, sans valeur juridique, furent surtout prétexte à faire la fête.

Mais les quatre jeunes gens s'affirmaient "heureux" en choeur. "Oui, ce que nous faisons est plutôt osé, mais c'est quelque chose de nouveau, qui attire l'attention. Nous n'avons pas peur" déclarait souriant à l'AFP, Michel, étudiant, en smoking blanc et noeud papillon rouge.

"On a bien dit des horreurs sur nous, mais nous n'avons eu aucun problème, et nous célébrons notre mariage dans les règles avec smokings, robes blanches et gâteau", renchérissait son "épouse", Angel, en perruque blonde, faux cils, bas blancs et talons hauts.

Chacun des quatre mariés, âgés de 17 à 22 ans, avait payé 60 dollars chacun pour la location de son habit de noces. Ensuite les deux couples prévoyaient une lune de miel de trois jours, également commune, dans un "campismo", les modestes établissements de bord de mer que l'état cubain loue à la population en monnaie nationale.

Sentimental, Juanito, visage archi-maquillé et un voile blanc sur la tête, avouait "se sentir nerveux et avoir beaucoup pleuré". Mais il revendique son droit "à être sorti de chez lui en robe de mariée devant tout le quartier". "Ma mère accepte mon choix et dit qu'elle a perdu un fils mais gagné une fille" ajoute-t-il.

Luisa, la mère de Michel s'avoue elle aussi résignée: "c'est mon fils, c'est son choix, que puis-je faire, je ne vais pas le tuer" dit-elle, reconnaissant que "beaucoup de gens l'ont critiqué".

L'événement a en tout cas semé l'animation dans les rues défoncées d'une des zones les plus démunies de San Miguel del Padron, où vivent les jeunes gens et leurs familles, et où tous les voisins, mi-interloqués, mi-amusés, étaient sortis sur leur pas de porte ou avaient grimpé sur les toits pour mieux regarder.

Du jamais vu pour Rolando, la quarantaine, homosexuel et ami d'un des couples. "C'est historique, dit-il, je n'avais jamais connu cela à Cuba".

Dans les années 60, l'homosexualité considérée comme "une déviation idéologique" a été durement réprimée à Cuba et les gays envoyés dans des camps de rééducation, comme l'a raconté l'écrivain cubain homosexuel Reynaldo Arenas, mort du Sida à New York en 1990. Sa vie a été retracée dans le film américain de Julian Schnabel, "Before night falls" sorti il y a quelques mois.

Le film "Fresa et Chocolate", réalisé en 1993 par le metteur en scène cubain Tomas Gutierrez Alea, aujourd'hui décédé, représentait pour sa part un hymne à la tolérance et une critique subtile de l'idéologie officielle sur ces questions.

Près de dix ans plus tard, toutefois l'homosexualité reste un sujet controversé dans l'île. En février dernier, un article publié dans l'hebdomadaire "Tribuna de La Habana" s'élevait contre les "individus" présentant "des déviations en tous genres" ayant pour habitude de se réunir près du Malecon, le boulevard du bord de mer de La Havane.

Là, indiquait le journal, se concentrent "des proxenètes, des prostituées et d'autres figures excentriques, parmi lesquelles se distingue un personnage familier dans le monde entier mais presque inconnu à Cuba, le travesti".

"Ces individus ont le droit de s'adonner à leurs vices, ajoutait-il, mais pas de créer, au coeur même de la capitale un foyer de contamination et d'offrir un image très éloignée à l'esprit de travail, de lutte et des distractions habituelles de notre population".