Par Le National
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Littérature homosexuelle: "Le rayon", un espace de liberté

PARIS, 19 avr (AFP) - Parce qu'il avait des difficultés à publier ses propres livres, Guillaume Dustan a créé voici deux ans une collection, au sein des éditions Balland, intitulée "Le rayon gay", devenue, après la publication d'une cinquantaine de titres de qualité inégale, un espace de liberté dans l'édition française.

Aujourd'hui, la collection s'appelle "Le rayon" tout court. "Le mot «gay» est usé. Les libraires flippaient avec ce titre. En outre, je recevais des textes qui entraient dans le cadre de la collection n'émanant pas forcément d'auteurs «gays» mais d'hétéros non-conformistes", dit Guillaume Dustan à l'AFP.

A la fin des années 90, cet ancien énarque en rupture de ban constate que de nombreux manuscrits sont refusés par les éditeurs traditionnels. ""Le rayon" est devenu le salon des refusés", explique-t-il.

Par exemple, le récent "Alice au pays des femelles", de Karin Bernfeld (les aventures sentimentales et sexuelles rageuses d'une anorexique, sur fond de minitel rose) a été accepté par Jean-Claude Lattès à condition de raccourcir le texte, ce que l'auteur (déjà publiée chez Lattès) a refusé. Dustan a pris la totalité de ce manuscrit dérangeant.

La collection se caractérise par des textes homos "trash"

"La collection se caractérise par des textes homos "trash", ancrés dans la modernité. La vie moderne est souvent absente chez les autres éditeurs", assure-t-il. La plupart des textes ne racontent pas une histoire mais dévoilent tout de l'intimité de son auteur.

"Bien sûr, je fais du militantisme homo avec ces livres mais aussi du militantisme en faveur d'une forme de vie underground", dit-il à propos du "Rayon", dénoncé par certains critiques comme un nouveau ghetto littéraire.

Les lecteurs du "rayon" ont entre 20 et 35 ans. Les livres se vendent bien sûr dans les rares librairies homosexuelles de France (presque toutes à Paris) mais surtout dans les magasins Fnac et Virgin de province.

"On a des problèmes avec de nombreux libraires qui trouvent nos livres trop "trash" et si on vend beaucoup dans les Fnac, ce n'est pas un hasard: le personnel y est souvent jeune", souligne Guillaume Dustan. Selon lui, si la société est plus tolérante qu'autrefois à l'égard de l'homosexualité, "entre 25 à 30% des français considèrent encore que c'est quelque chose qui ne va pas de soi".

Il assure ne pas faire perdre d'argent à Balland: "à 1.000 exemplaires vendus, on couvre nos frais". Mais plusieurs livres ont été vendus à 3 ou 4. 000 comme "Monologues du vagin" (Eve Ensler, repris au théâtre avec succès), "Nicolas Pages" (de Dustan), "Je bande donc je suis" (Erik Remès), "Peau" de Dorothy Allison etc. En cumulé, 50.000 exemplaires du "Rayon" ont été vendus en deux ans.

Certains livres n'ont pas laissé un grand souvenir. D'autres sont d'heureuses surprises. De plus en plus sont le fruit d'expérimentations formelles qui font dire à des critiques (comme le magazine Epok) que "Le rayon" est en train de devenir "la collection d'avant-garde de référence".

Dustan publie désormais des essais (comme "QueerZone" de Marie-Hélène Bourcier ou "La pensée straight" de Monique Wittig, ouvrage fondamental de celle qui pense que "l'hétérosexualité est un régime politique"). Ce dernier livre, qui paraîtra en juin, sera le 50e de la collection.