Par Le National
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"The Laramie Project"; New-York invente le journalisme théâtrale ayant pour thème le regretté Mathew Shepard.

NEW YORK, 31 mai (AFP) - Lorsque Matthew Shepard, étudiant homosexuel de 21 ans, a été torturé à mort à Laramie en 1998, cette petite ville du grand Ouest américain a attiré policiers, journalistes et badauds. Mais aussi une troupe de théâtre, dont le travail vient d'être monté sur scène à New York.

Pour le metteur en scène vénézuélien Moises Kaufman et sa compagnie d'avant-garde, le Tectonic Theater Project, il fallait tenter de comprendre comment et pourquoi cette bourgade endormie au coeur des grandes plaines avait donné naissance à deux assassins. Ces deux jeunes du cru, apparemment sans histoires, ont enlevé Matthew Shepard dans un bar avant de le passer à tabac, le crucifier sur une clôture et le laisser mourir, parce qu'il leur avait révélé son homosexualité.

Six séjours à Laramie et 200 interviews plus tard, le résultat tient en deux heures trente de scène, sur laquelle se relaient huit acteurs incarnant 60 personnages: "The Laramie Project".

"C'est une tentative de créer un journalisme théâtral, de raconter une histoire autrement que ce que l'on peut voir à la télévision ou dans les journaux", explique le metteur en scène, qui s'était déjà fait remarquer par sa pièce "Les trois procès d'Oscar Wilde".

"Nous nous sommes demandé, comme nous l'avons fait pour d'autres projets, si le théâtre peut jouer un rôle dans un débat national, sur un thème d'actualité", poursuit-il. La mort de Matthew Shepard avait soulevé une vague d'indignation dans tout le pays, conduisant, notamment à New York, à d'importantes manifestations.

Sur une scène dépouillée à l'extrême, les témoignages se succèdent: le barman du Fireside Lounge, qui a assisté au départ du jeune homme en si mauvaise compagnie et ne se pardonne pas de ne pas avoir compris que ces trois là n'avaient rien de bon à faire ensemble; Reggie Fluty, une adjointe du shériff qui a manipulé le corps ensanglanté de la victime, séro-positive, et a commencé à prendre l'AZT avant d'aprendre qu'elle n'avait pas été contaminée; un pasteur, un professeur de l'université locale.

Chaque récitant, sa tirade terminée, présente le suivant. Une émotion presque palpable étreint l'assistance, majoritairement masculine, subjugée par cette dramaturgie sobre et puissante.

"C'est aussi une exploration de l'effet de notre présence à Laramie, et de ces gens sur nous", ajoute Moises Kaufman, 36 ans, homosexuel et juif orthodoxe, fils d'un survivant de l'Holocauste ayant émigré au Venezuela.

Les acteurs, ceux-là mêmes qui ont conduit les interviews, incarnent les journalistes, policiers, juges, membres du jury qui a condamné les deux tueurs à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle.

"C'est l'histoire d'une ville, une histoire de beauté et de souffrance. Une histoire de haine, d'espoir, de peur et de courage. Une interrogation sur nos croyances, sur la façon dont la haine se répand et comment l'espoir prévaut", écrit Moises Kaufman dans le texte de présentation. "L'histoire d'une ville américaine. Une histoire vraie".