Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


 COUR SUPÉRIEURE

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL
N° : 500-05-042565-984
DATE : Le 1er octobre 2002
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L¹HONORABLE CAROLE JULIEN, J.C.S.

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DANIEL JOHNSON

ET

SUZANNE MARCIL
Requérants

c.

PIERRE ARCAND

ANDRÉ ARTHUR

HENRI AUDET

LOUIS AUDET

PIERRE BÉLAND

ROBERT BONNEAU

ANDRÉ BROUSSEAU

JEAN-MARC CARPENTIER

MICHEL J. CARTER

COGECO RADIO-TÉLÉVISION INC.

PIERRE GAGNÉ

GUY LABELLE

MAURICE MYRAND

YVES MAYRAND

MÉTROMÉDIA C.M.R., MONTRÉAL INC.

GROUPE UNIMÉDIA INC.

CLAUDE VAILLANCOUR
Intimés

______________________________________________________________________

JUGEMENT

______________________________________________________________________

TABLE DES MATIÈRES

 

 

TABLE DES MATIÈRES.............................................................................................................. 2

I.      LES PROCÉDURES........................................................................................................... 3

II.     LES FAITS............................................................................................................................. 4

2.1      Les parties.................................................................................................................... 4

2.2      Les conventions liant Arthur, Arthur Communications, Métromédia et Cogeco...................................................................................................................................... 4

2.3      L¹émission du 2 avril 1998 :...................................................................................... 6

2.4      L¹émission du 6 septembre 2000 :.......................................................................... 7

2.5      L¹entrevue du 10 avril 2002 :...................................................................................... 7

III.        LE DROIT.......................................................................................................................... 7

IV.        DISCUSSION.................................................................................................................... 7

4.1      La diffamation :............................................................................................................. 7

V.     LA RESPONSABILITÉ DE COGECO ET DE MÉTROMÉDIA........................................ 7

VI.        LA RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS..................................................... 7

VII.       LES DOMMAGES............................................................................................................. 7

7.1      Dommages moraux.................................................................................................... 7

7.2      Dommages exemplaires........................................................................................... 7

7.3      Honoraires extrajudiciaires....................................................................................... 7

7.4      La mitigation des dommages................................................................................... 7

VIII.      LES OBJECTIONS........................................................................................................... 7

1.     Le témoignage de l¹experte Sutherland...................................................................... 7

2.     Pièces R-129 A, B, C....................................................................................................... 7

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :....................................................................................... 7

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I.       LES PROCÉDURES

[1]            Les requérants, Suzanne Marcil (Marcil) et Daniel Johnson (Johnson), sont mariés et poursuivent les intimés en diffamation à la suite de l'émission « L'heure de vérité » diffusée à CKVL et CJMF, le 2 avril 1998 (R-1, R-106).

[2]            La diffamation se serait poursuivie lors d¹une nouvelle émission du 6 septembre 2000 diffusée à CJMF (R-107).

[3]            L¹intimé André Arthur (Arthur) est l¹animateur de « L'heure de vérité ».

[4]            L¹intimé Claude Vaillancourt (Vaillancourt) est journaliste au quotidien « Le Soleil » de Québec, propriété du Groupe Unimédia inc.  Les requérants et ces deux intimés ont réglé hors cour le litige qui les opposait.  Ils souscrivent à la conclusion du présent jugement traitant des honoraires extrajudiciaires encourus par les requérants [1] .

[5]            L¹intimée Cogeco Radio-Télévision inc. (Cogeco) est propriétaire de la station de radio CJMF de Québec.

[6]            Les intimés, Henri et Louis Audet, Brousseau, Carpentier, Carter, Gagné, Labelle, Myrand, Mayrand et Bonneau, sont administrateurs de Cogeco.

[7]            L¹intimée Métromédia C.M.R. Montréal inc. (Métromédia) est propriétaire de la station de radio CKVL et les intimés Arcand et Béland en sont les administrateurs.

[8]            Les intimés plaident absence de faute, bonne foi et expression honnête, légitime et raisonnable de leur pensée.

[9]            Il y aurait absence de diffamation et, au contraire, droit à la libre expression et l¹obligation d¹informer du journaliste et du diffuseur relativement à des questions d¹intérêt public.

[10]         Les administrateurs nient tout lien de droit avec les requérants.

II.      LES FAITS

2.1       Les parties

[11]         Avocat depuis 1967, Johnson est une personne connue, tant au Québec qu¹au Canada.  Après une carrière dans les affaires, il a été député à l¹Assemblée nationale, ministre, chef de l¹opposition et premier ministre.

[12]         Plus précisément, il est ministre de l¹Industrie et du Commerce du 12 décembre 1985 au 23 juin 1988, ministre et président du Conseil du trésor du 23 juin 1988 au 11 janvier 1994, premier ministre à compter du 11 janvier 1994 et chef de l¹opposition officielle du 26 septembre 1994 au 12 mai 1998.

[13]         Depuis 1998, il est conseil dans un cabinet d¹avocats de Montréal et membre de divers conseils d¹administration (R-131).  Docteur en droit (Londres), il est titulaire d¹une maîtrise en administration des affaires (Harvard).

[14]         Il est marié à la co-requérante Marcil depuis le 27 août 1993, mais la vie commune remonte à 1987.

[15]         Marcil a été gestionnaire chez « Les entreprises Stoneham inc. » de 1980 à 1986 puis consultante en marketing de 1986 à 1989 (D-14).  Le 1er mars 1969 (D-7), elle a épousé Marc Blondeau dont elle s¹est séparée en décembre 1985.  Un jugement conditionnel de divorce (D-7) a été prononcé le 6 avril 1993 et entérine une convention sur les mesures accessoires signée le 3 juin 1986.  La requête en divorce est datée du 30 mai 1986 (D-2).  Le couple a deux enfants.

[16]         Pour les fins du présent litige, en 1998 et en 2000, Arthur anime une émission qualifiée d¹affaires publiques à CKVL et CJMF.

[17]         Arthur a mis sur pied une compagnie de gestion « André Arthur Communications inc. » (Arthur Communications) qui l¹emploie.  Arthur et Arthur Communications ne font qu¹un.  Arthur Communications transige avec les éventuels co-contractants d¹Arthur dont Métromédia et Cogeco.

2.2      Les conventions liant Arthur, Arthur Communications, Métromédia et Cogeco

[18]         Le 18 novembre 1997, trois conventions sont signées :

 

1.        Convention avec Métromédia (R-114).

[19]         Arthur devient ainsi animateur à CKVL du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2002 (art. 2).

[20]         Arthur et sa compagnie s¹engagent « à préparer, produire et livrer une émission d¹affaires publiques » du lundi au vendredi, de 11 h 30 à 13 h 45 (émission du midi) et une autre de 6 h à 9 h (ou 7 h à 10 h selon l¹entente ­ émission du matin).  Les honoraires annuels sont importants (art. 4.1) et CKVL fournit les studios, le support technique et les frais téléphoniques.

[21]         Les articles 7 et 9 de la convention traitent d¹éventuelles poursuites.  La station CKVL prendra fait et cause pour Arthur et Arthur Communications et les tiendra indemnes de toute condamnation incluant les dommages pécuniaires, moraux, exemplaires ou punitifs (art. 7.1).  Il est toutefois prévu la possibilité d¹une contribution de ceux-ci pour une fraction du montant en capital d¹une condamnation (art. 7.2).

 

2.        Convention (R-122) avec Cogeco.

[22]         Cette convention est reliée à la précédente et pour la même durée, Arthur agissant comme animateur à CJMF.

[23]         Arthur s¹engage à livrer à la même grille horaire que la précédente, une émission du matin et du midi.  De fait, les émissions sont produites deux jours dans les studios de CJMF à Québec et trois jours dans les studios de CKVL à Montréal.

[24]         Les honoraires sont importants (art. 4.1).

[25]         L¹émission du midi est diffusée simultanément à Montréal et Québec (art. 5.2).

[26]         Les deux contrats (R-114 et R-122) sont à peu près identiques.  Dans les deux cas, Arthur reçoit une commission sur les publicités où sa voix est utilisée (art. 8).

[27]         CJMF et CKVL sont solidairement responsables de l¹engagement d¹indemnisation en cas de poursuite judiciaire tel que prévu aux articles 7 et 9.

 

3.        La convention (R-115) entre Cogeco et Métromédia.

[28]         Les deux corporations se partagent les coûts des contrats (R-114 et R-122).

[29]         Métromédia met un terme prématurément à la convention R-114, en juin 1998 (par. 41-a de la requête introductive précisée amendée et réamendée).

[30]         Lors du procès, les requérants font entendre quatre témoins :  Me Nathalie Simon, de la Société d¹investissement du Québec, Pierre Gagné, cadre et administrateur à Cogeco et les requérants.

[31]         Les intimés font entendre Sharon L. Sutherland, déclarée experte en sciences politiques et administration publique.

2.3       L¹émission du 2 avril 1998 [2]  :

[32]         À l¹émission du midi de « L¹heure de vérité », Arthur traite de la crise que traverse l¹industrie du ski.  Le matin même, Vaillancourt, journaliste au Soleil de Québec, écrit en première page que le Centre de ski Stoneham (Stoneham) vient de « se placer sous la protection de la Loi de la faillite ».

[33]         Arthur l¹interroge.  Vaillancourt parle du fort taux d¹immobilisation sous forme de condominiums ou d¹hôtels à Stoneham.  Il affirme que de nombreuses subventions ont été accordées.  Il affirme que le propriétaire du Centre, Marc Blondeau, aurait d¹énormes difficultés et que le Centre aurait été à vendre.

[34]         Arthur demande si l¹on connaît la quantité de subventions données à Stoneham depuis plusieurs années.  Vaillancourt ne connaît pas la réponse, mais promet de vérifier.

[35]         Arthur insinue que les subventions auraient été utilisées à mauvais escient sinon frauduleusement.  Vaillancourt l¹ignore.

[36]         Le reste de l¹émission doit être reproduit pour une meilleure compréhension :

« Arthur :                   Ce qu¹on entendait un moment donné, c¹était que les subventions avaient été placées dans la compagnie qui avait de la misère, mais que les condos avait été vendus au profit d¹une compagnie qui avait pas de misère et qui n¹était pas la même, et que l¹argent de la vente des condos a peut-être pas été utilisé justement à réduire la dette du centre de ski.

Vaillancourt :           Ah ce sont des informations que je n¹ai pas pour moi.

Arthur :                      Est-ce que M. Blondeau est le seul propriétaire?

Vaillancourt :           C¹est une compagnie euh, son fils est associé avec lui.

Arthur :                      Est-ce que son ex-épouse qui est maintenant Mme Daniel Johnson l¹est encore?

Vaillancourt :           Euh Mme John..  Mme Marcil aurait encore des intérêts dans dans ce dossier-là.

Arthur :                      Est-ce que Mme Marcil avait des intérêts dans le dossier au moment où Daniel Johnson a concédé des subventions comme président du Conseil du trésor?

Vaillancourt :           Faudrait vérifier les dates!

Arthur :                      Je vous les laisse mon cher Claude parce que vous êtes tellement plus travaillant que moi Š

Vaillancourt :           Ah on va faire notre possible pour vous informer là-dessus.

Arthur :                      Merci beaucoup Monsieur.

Vaillancourt :           Au revoir.

Arthur :                      Salut!

                                    Claude Vaillancourt du quotidien « Le Soleil » mène un dossier sur le centre de ski Stoneham.  Mme Marcil, qui est maintenant Mme Daniel Johnson était autrefois Mme Blondeau qui demande à se mettre sous la protection de la faillite.

                                    Daniel Johnson avait publiquement déclaré quand il était président du Conseil du trésor de Bourassa qu¹il était complètement opposé à des subventions à des centres de ski qui vendaient des condos à grandeur de montagnes.  Lorsqu¹il est devenu le copain de l¹ex-Madame Blondeau, Mme Marcil, pour des raisons qui sont peut-être tout à fait légitimes, mais à peu près au même moment, il a changé d¹idée, et il a autorisé au Conseil du trésor des subventions au centre de ski Stoneham, propriété de l¹ex de Mme Johnson actuelle, au moment où elle était peut-être encore propriétaire du centre, qui maintenant se met sous la protection de la Loi de la faillite.

                                    Autre petit détail intéressant, sur les intérêts parfois secrets de certaines personnes, hier soir « Ti-Cul-S », le réseau Quatre-Saisons à Québec, annonce la fermeture du centre Stoneham par manque de neige Š On sait maintenant que c¹est peut-être plus compliqué que le manque de neige.  Or, la présentatrice des nouvelles à Quatre-Saisons est la belle-fille du Monsieur Blondeau en question.  Le monde est petit à Québec, tout petit, comme Richard Morency. »

(nos soulignements)

[37]         En avril 1998, Johnson est chef de l¹opposition officielle à l¹Assemblée nationale, poste qu¹il occupe depuis 1994.  Dès mars 1998, il a annoncé son retrait de la vie politique.

[38]         La preuve démontre que Johnson n¹a jamais autorisé de subventions gouvernementales à Stoneham ni comme ministre ni comme président du Conseil du trésor ni avant, ni après sa rencontre avec Marcil en 1986.

[39]         S¹il est vrai que Stoneham a obtenu des subventions, il les a reçues soit sous un autre gouvernement, soit d¹un gouvernement dont Johnson était ministre, mais sans aucune implication directe de sa part.

[40]         La seule fois où l¹approbation de Johnson aurait été requise, pour une subvention à Stoneham alors qu¹il était ministre de l¹industrie et du commerce en mai 1988, il a refusé de l¹autoriser (R-129-A).

[41]         La preuve démontre également que Marcil n¹a aucun intérêt significatif dans le Centre de ski Stoneham et que Johnson n¹a jamais été en conflit d¹intérêts dans toute cette affaire eu égard à sa relation avec Marcil.

2.4       L¹émission du 6 septembre 2000 :

[42]         À cette émission du midi [3] , Arthur fulmine contre son assignation à un interrogatoire hors cour dans le présent dossier, tenu à la demande du procureur des requérants.

[43]         C¹est l¹occasion pour Arthur de rappeler ses propos du 2 avril 1998, ce qu¹il fait sans tenir compte des dénégations apportées par les requérants et surtout, sans avoir effectué de recherches ou vérifications personnelles pour établir le bien-fondé de ses accusations.

[44]         Rien dans la preuve ne permet de conclure à de telles recherches ou vérifications, sauf à l¹occasion de l¹interrogatoire hors cour de Johnson par ses procureurs.  Interrogatoire sur lequel nous reviendrons au chapitre de la mitigation des dommages.

[45]         Quelques extraits de l¹émission doivent être reproduits :

« Alors, il faut que je vous explique pourquoi je n¹étais pas là.  C¹est que je me fais harceler pas à peu près. Pas à peu près!  Et j¹aimerais que tous les gens du Parti libéral qui sont dans la région de Québec le sachent.  Je me fais harceler d¹une façon monstrueuse à mon sens à moi par Daniel Johnson et par sa femme, l¹ancienne madame Blondeau du centre de ski Stoneham.  (p. 3)

(Š)

Or, j¹ai toujours ri de Daniel Johnson.  Il est en train de me le faire payer puis pas à peu près.  Je vais vous en parler dans un instant.  Je vais vous raconter où est-ce que c¹est rendu cette histoire-là, et peut-être que vous pourrez de votre côté, si vous rencontrez un libéraux (sic), bien, vous lui ferez une « framboise » de ma part. (p.8)

Pour continuer mon histoire et continuer à vous expliquer pourquoi je n¹ai pas pu être ici hier.  Il y a deux ans, Johnson avait déjà  évacué la politique provinciale.  Bon débarras d¹après moi! Š

À cette époque-là, il est arrivé quelque chose d¹accessoire à la carrière de Johnson et qui a repris une interrogation que j¹ai toujours eue  J¹ai toujours été impressionné par un revirement d¹attitude de Daniel Johnson alors qu¹il était président du Conseil du trésor et qu¹il faisait des objections majeures contre les subventions aux centres de ski qui se développaient, il était contre, lui.  Il avait le droit d¹être contre puis je pense qu¹il avait raison d¹être contre.

Et soudain, il est devenu pour et il a autorisé des subventions importantes à des centres de ski notamment Stoneham.  Et au même moment ou concomitant ou à peu près au même moment, il est devenu le copain de madame Marcil, l¹ancienne madame Blondeau, propriétaire du centre de ski Stoneham.  Et beaucoup de gens dans le milieu politique faisait remarquer :  as-tu vu Daniel, y¹était contre, y¹était contre, y¹était contre, il commence à sortir avec madame Blondeau, y¹est pour, y¹est pour, y¹est pour.

À plusieurs reprises, j¹ai posé cette question-là publiquement.  Comment se fait-il que Daniel Johnson, quand y¹était président du Conseil du trésor, qu¹y¹était contre, et soudain il est devenu pour, alors que la seule chose qui était changée, c¹est qu¹il était devenu le copain de madame Blondeau, l¹ex-madame Blondeau, mademoiselle Marcil? (p. 9 et 10)

(Š)

André Arthur :

« Long time no see ».  Je voulais d¹ailleurs comme aux auditeurs du midi présenter mes excuses pour mon absence d¹hier.  Elle était inqualifiable, était injustifiable, j¹ai été requis de me présenter devant l¹avocat de monsieur Johnson pour discuter de mes affaires personnelles parce que, étant donné que ce monsieur pense avoir été très insulté quand j¹ai questionné les subventions qu¹il avait données au centre de ski Stoneham, dont sa blonde était l¹ex de l¹ancien propriétaire. (p. 16) »

(nos soulignements)

2.5       L¹entrevue du 10 avril 2002 :

[46]         Pendant le procès, le procureur d¹Arthur, Me Marc-André Blanchard, accorde une entrevue au réseau de télévision TVA et commente l¹affaire.  L¹entrevue est entendue au bulletin de 17 h 30 [4]  :

« Me Blanchard :  Quant à nous, ce sont des questions qui sont tout à fait légitimes dans une société démocratique, de voir de quelles façons les subventions et les fonds publics sont dépensés.  Et de poser de telles questions, c¹est tout à fait légitime, d¹autant plus, que, effectivement, il y a eu des subventions qui ont été accordées au Centre de ski Stoneham. »

(nos soulignements)

[47]         Les requérants soumettent que ces propos sont signe de l¹état d¹esprit qui anime encore Arthur et qu¹ils sont source de dommages additionnels.

[48]         Me Blanchard se plaint que ce montage journalistique donne à ses paroles un sens négatif qu¹il ne souhaitait pas.

[49]         La déclaration est malhabile et imprudente.  L¹avocat doit assumer le risque d¹un montage inapproprié.  Toutefois, la Cour ne retient pas cette entrevue comme étant l¹expression caractérisée d¹entretenir la diffamation et d¹aggraver les dommages.  En effet, l¹information véhiculée par l¹avocat est exacte, mais le contexte général de la nouvelle y associe erronément et négativement les requérants.  À la demande des requérants, cette entrevue a été retirée des bulletins subséquents.

III.     LE DROIT

[50]         Le présent recours est fondé sur l¹article 1457 C.c.Q :

« art, 1457.  Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s¹imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu¹elle est douée de raison et qu¹elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu¹elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu¹il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d¹une autre personne ou par le fait des biens qu¹elle a sous sa garde. »

 

 

[51]         Les auteurs Baudouin et Deslauriers nous enseignent [5]  :

« En droit civil, il n¹existe pas de différence entre la diffamation au sens strict du mot et le libelle que connaît le droit pénal.  Toute atteinte à la réputation, qu¹elle soit verbale (parole, chanson, mimique) ou écrite (lettre, pièce de procédure, caricature, portrait, etc.), publique (articles de journaux, de revues, livres, commentaires de radio, de télévision) ou privée (lettre, tract, rapport, mémoire), qu¹elle soit seulement injurieuse ou aussi diffamatoire, qu¹elle procède d¹une affirmation ou d¹une imputation ou d¹un sous-entendu, peut constituer une faute qui, si elle entraîne un dommage, doit être sanctionnée par une compensation pécuniaire.  On retrouve le terme diffamation employé, la plupart du temps, dans un sens large couvrant donc l¹insulte, l¹injure et pas seulement l¹atteinte stricte à la réputation.

Pour que la diffamation donne ouverture à une action en dommages-intérêts, son auteur doit avoir commis une faute.  Cette faute peut résulter de deux genres de conduite.  La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s¹attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l¹humilier, à l¹exposer à la haine ou au mépris du public ou d¹un groupe.  La seconde résulte d¹un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie.  Les deux conduites constituent une faute civile, donnent droit à réparation, sans qu¹il existe de différence entre elles sur le plan du droit. »

(nos soulignements)

[52]         La Cour suprême, dans l¹affaire de L¹Église de scientologie [6] , détermine la nature et les valeurs en cause dans une action en diffamation.  Le juge Cory :

« Il ne fait aucun doute que, dans les affaires de libelle, les valeurs jumelles de réputation et de liberté d¹expression entreront en conflit.  (par. 100)

(Š)

Cependant, la liberté d¹expression n¹a jamais été reconnue comme un droit absolu. (par. 102)

(Š)

Les déclarations fausses et injurieuses ne peuvent contribuer à l¹épanouissement personnel et on ne peut pas dire qu¹elles encouragent la saine participation aux affaires de la collectivité.  En fait, elles nuisent à l¹épanouissement de ces valeurs et aux intérêts d¹une société libre et démocratique. (par. 106)

(Š)

Les démocraties ont toujours reconnu et révéré l¹importance fondamentale de la personne.  Cette importance doit, à son tour, reposer sur la bonne réputation.  Cette bonne réputation, qui rehausse le sens des valeurs et de dignité d¹une personne, peut également être très rapidement et complètement détruite par de fausses allégations.  Et une réputation ternie par le libelle peut rarement regagner son lustre passé.  Une société démocratique a donc intérêt à s¹assurer que ses membres puissent jouir d¹une bonne réputation et la protéger aussi longtemps qu¹ils en sont dignes. (par. 108)

(Š)

Bien qu¹elle ne soit pas expressément mentionnée dans la Charte, la bonne réputation d¹un individu représente et reflète sa dignité inhérente, concept qui sous-tend tous les droits garantis par la Charte.  La protection de la bonne réputation d¹une individu est donc d¹importance fondamentale dans notre société démocratique.

En outre, la réputation est étroitement liée au droit à la vie privée, qui jouit d¹une protection constitutionnelle. (par. 120 ­ 121)

(Š)

À mon avis, on ne devrait imposer aucun maximum aux dommages-intérêts accordés en matière de diffamation.

1.               Le tort subi par un demandeur du fait de déclarations fausses et injurieuses est complètement différent des dommages non pécuniaires subis par le demandeur dans une affaire de blessures corporelles. (par. 168)

(Š)

Avant tout j¹aimerais exprimer mon accord complet avec la Cour d¹appel, suivant laquelle chaque cas de libelle est unique, et que le cas en l¹espèce se situe dans « une classe à part ».  L¹évaluation des dommages-intérêts dans une affaire de libelle ressortit à l¹ensemble des éléments suivants :  la nature et les circonstances de la publication du libelle, le caractère et la situation de victime de libelle, les effets possibles de la déclaration diffamatoire sur la vie du demandeur, et les actes et motivations des défendeurs.  Il s¹ensuit qu¹il n¹y a guère à gagner d¹une comparaison exhaustive des montants accordés dans les affaires de libelle. (par. 187)

(Š)

On peut accorder des dommages-intérêts punitifs lorsque la mauvaise conduite du défendeur est si malveillante, opprimante et abusive qu¹elle choque le sens de dignité de la Cour.  Les dommages-intérêts punitifs n¹ont aucun lien avec ce que le demandeur est fondé à recevoir au titre d¹une compensation.  Ils ne visent non pas à compenser le demandeur, mais à punir le défendeur.  C¹est le moyen par lequel le jury ou le juge exprime son outrage à l¹égard du comportement inacceptable du défendeur.  Ils revêtent le caractère d¹une amende destinée à dissuader le défendeur et les autres d¹agir ainsi.  Il importe de souligner que les dommages-intérêts punitifs ne devraient être accordés que dans les situations où les dommages-intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d¹atteindre l¹objectif qui consiste à punir et à dissuader. (par. 196)

(nos soulignements)

[53]         Les intimés plaident l¹absence de faute et la liberté d¹expression énoncées à l¹article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12) :

« art. 3.           Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association »

[54]         Cet article, comme tous les autres droits prévus à la Charte, doit se lire à la lumière de l¹article 9.1 de la Charte québécoise et 7 du Code civil du Québec.

[55]         Article 9.1 de la Charte québécoise :

« art. 9.1         Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

La Loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice »

[56]         Article 7 C.c.Q. :

« art. 7                         Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi. »

[57]         Les intimés plaident, à l¹intérieur de la liberté d¹expression, le droit au commentaire loyal.  Le juge Rochon, alors à notre Cour, soulignait [7]  :

« Trois conditions sont requises pour cette défense :  1.  l¹intérêt public;  2. l¹intention honnête;  3.  la conclusion sincère.  Monsieur le juge Chevalier retient que le commentateur devra guider sa conduite à l¹intérieur des paramètres suivants :

« En premier lieu, l¹existence d¹un intérêt public dans la matière au sujet de laquelle il s¹exprime ;  en second lieu, l¹intention honnête de servir une cause juste, par opposition à la simple intention de nuire à une personne ou à ses intérêts ;  enfin, si l¹opinion s¹exprime à l¹occasion de faits ou de propos rapportés, une conclusion raisonnablement soutenable à leur égard. »

Le commentateur qui ne se conforme pas à ces normes, s¹expose à commettre une faute génératrice de responsabilité civile. »

[58]         Le 2 juillet 2002, la Cour d¹appel [8] , tout en concluant différemment sur l¹issue de la cause, reprenait l¹énoncé de ces critères retenus par le juge Rochon :

« 21.    Il est aussi acquis que les appelants ont le droit de commenter l¹action des personnages politiques, y compris celle des intimés.

22.       Les libertés d¹opinion et d¹expression ainsi que le droit au respect de la réputation, chéris dans tous les pays démocratiques, ont été élevés au rang de droits constitutionnels au Canada.  Ici, ces droits s¹affrontent , celui des intimés de sauvegarder leur réputation et celui des appelants d¹exprimer librement leur opinion.  C¹est dans la perspective de l¹équilibre entre ces droits distincts que la jurisprudence reconnaît que l¹écrit diffamatoire n¹engage pas la responsabilité civile de son auteur s¹il est l¹expression honnête d¹une opinion raisonnable portant sur un sujet d¹intérêt public.

(Š)

27.       Certains politiciens et commentateurs politiques ne font pas dans la dentelle, c¹est un constat incontournable.  Quoi que les membres de la présente formation puissent penser des mots utilisés dans le texte ci-haut, les tribunaux ne sont pas arbitres en matière de courtoisie, de politesse et de bon goût.  En conséquence, il n¹est pas souhaitable que les juges appliquent le standard de leurs propres goûts pour bâillonner les commentateurs puisque ce serait là marquer la fin de la critique dans notre société. »

(nos soulignements)

[59]         La protection accordée aux médias en vertu de la liberté de presse et de la liberté d¹expression ne peut s¹appliquer que si Arthur et les intimés se sont acquittés de leur obligation de vérifier les faits avant de commenter [9]  :

« 104.  Proulx demande au Tribunal la protection accordée aux médias en vertu de la liberté de presse et de la liberté d'expression. Or, il ne peut bénéficier de cette protection, puisque lui-même n'a pas acquitté sa première obligation de journaliste, soit celle de vérifier les faits et ses sources avant de commenter.

105.     En conclusion, le concept du commentaire loyal et honnête requiert, de par sa définition, un sens du devoir honnête de la part des médias. Cette défense n'est pas recevable si l'auteur, comme Proulx, n'agit pas équitablement et se laisse envahir par un sentiment autre qu'un sens de civisme :

« Il est important d¹ajouter que même si le commentaire répond à tous ces critères, la défense de commentaire honnête sera rejetée si la partie demanderesse établit une intention malicieuse chez la partie défenderesse (Duncan and Neill On Defamation, 2e éd., Oxford, 57.) Malice, dans ce contexte, ne veut pas dire un sentiment de vengeance ou une animosité personnelle. Il s¹agit plutôt de toute motivation oblique autre qu¹un sens du devoir ou de civisme (Vogel, supra, note 6, 174).  (Voir Guitouni c. Société Radio-Canada, [2000] R.J.Q. 2889 (C.S.) » »

(nos soulignements)

[60]         De l¹avis du Tribunal, un tel motif oblique peut être celui d¹une recherche de profit dans un esprit de lucre et sans égard à la réputation des personnes.

[61]         L¹article 49 de la Charte québécoise permet l¹octroi de dommages exemplaires :

« Article 49.  L¹atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d¹obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.  En cas d¹atteinte illicite et intentionnelle, le Tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires. »

(nos soulignements)

[62]         Le juge Baudouin s¹exprime ainsi dans l¹affaire Lignery [10]  :

« Les dommages exemplaires ne peuvent donc être accordés que s¹il y a réunion de deux éléments :  l¹illicité de l¹atteinte et son intentionnalité.  Il me semble que dans l¹espèce, l¹illicité de l¹atteinte ne fait pas de doute.  Cette atteinte a porté non seulement sur le droit à l¹honneur, à la dignité et à la réputation des intimés (art. 4), mais aussi sur leur liberté d¹association syndicale protégée par l¹article 17.  Encore faut-il cependant que l¹atteinte ait été intentionnelle.  L¹emploi de l¹adjectif « intentionnelle » par le législateur me semble indiquer qu¹il ne veut pas se contenter simplement d'une faute lourde, mais qu¹il exige, au contraire, de démontrer le caractère voulu, conscient, délibéré de l¹acte posé.

C¹est donc l¹esprit même des auteurs de la faute qu¹il faut scruter pour évaluer ce second critère.  Or, la preuve montre une intention calculée et arrêtée de nuire aux intimés et je pense donc, comme le juge de première instance, que les conditions d¹application de l¹article 49 de la Charte sont effectivement réunies. »

(nos soulignements)

[63]         Dans un arrêt récent [11] , la Cour d¹appel rappelle les principes autorisant l¹octroi de dommages exemplaires :

« 37.    Le droit civil s'articule en matière de dommages autour du principe de la compensation du préjudice subi par le créancier de l'obligation (art. 1065 et 1075 C.c.B.-C. et art. 1607 C.c.Q.). L'octroi de dommages punitifs ou exemplaires, qui ont un aspect préventif et non compensatoire, est étranger à notre droit, contrairement à la Common Law. Par conséquent, des dommages exemplaires ne peuvent être accordés au Québec que lorsqu'un texte de loi le prévoit expressément (Judah Azoulay et al. c. David Azoulay, J.E. 2001-92 (C.A.); Brique & Pierre Bas St-Laurent inc. c. La compagnie d'Assurance de l'Amérique et Société immobilière du Québec, J.E. 97-1492 (C.A.)). À cet égard, il y a lieu de déplorer une tendance récente chez les plaideurs d'inclure dans leurs actions, indépendamment de la nature du préjudice, une réclamation en dommages exemplaires. Il n'y a pas lieu d'accorder ces demandes, sauf dans les cas où une loi le prévoit, tel l'art. 49 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., c. C-12, l'art. 1 de la Loi sur la protection des arbres, L.R.Q. c. P-37, l'art. 167 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q., c. A-2.1 et l'art. 272 L.P.C. sur lequel je reviendrai plus loin.

38.       Lorsque le droit aux dommages exemplaires est reconnu, l'art. 1621 C.c.Q. énonce les critères que le tribunal doit suivre pour déterminer le quantum approprié. Il ne crée cependant pas le droit à des dommages exemplaires. Cet article est ainsi rédigé:

« Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. » »

(nos soulignements)

[64]         En outre, les requérants demandent la condamnation conjointe des stations de radio et de leurs administrateurs aux dommages octroyés par la Cour.  Ils fondent leur recours sur les événements suivants :

« Les intimés Cogeco et Métromédia tirent profit des gestes répréhensibles de l¹intimé Arthur, puisque l¹augmentation des cotes d¹écoute des stations radiophoniques CJMF et CKVL influencent directement la profitabilité de leur propriétaire et de là, les profits de leurs administrateurs. [12]

(Š)

Les intimés Cogeco et Métromédia ne pouvaient ignorer le genre radiophonique adopté par l¹intimé Arthur lorsqu¹ils ont engagé celui-ci. [13] . »

[65]         La règle de droit est la même pour ces intimés.  Les requérants doivent démontrer la faute des uns et des autres.  Nous reviendrons plus loin sur les aspects particuliers liés à la responsabilité des administrateurs.

[66]         Sur ce point, Cogeco et Métromédia sont conjointement responsables pour les propos diffamatoires d¹Arthur dont elles ne se sont pas dissociées [14] .

[67]         Notons à cet égard, que Métromédia a congédié Arthur en juin 1998 et ne peut être responsable de l¹émission de septembre 2000.

[68]         En résumé, le droit applicable en l¹espèce est le suivant :

A)    il faut démontrer une faute ;

 

B)   toute atteinte, qu¹elle soit verbale, écrite, publique ou privée, injurieuse ou diffamatoire, qu¹elle procède d¹une affirmation ou d¹un sous-entendu dans la mesure où elle entache la réputation, peut constituer une faute qui justifie une compensation financière ;

 

C)   la diffamation peut être consciente, de mauvaise foi, avec intention de nuire ou elle peut résulter d¹un comportement où la volonté de nuire est absente, mais qui porte atteinte à la réputation par témérité, négligence, impertinence ou incurie ;

 

D)   la réputation et la liberté d¹expression sont des valeurs qui entrent souvent en conflit :

 

E)   la liberté d¹expression n¹est pas absolue ;

 

F)    la protection de la réputation est fondamentale dans une société démocratique ;

 

G)   quant aux dommages, chaque cas est un cas d¹espèce ;

 

H)   les droits fondamentaux s¹exercent dans le respect des valeurs démocratiques ;

 

I)      la défense de commentaire loyal suppose la présence d¹un sujet d¹intérêt public, d¹une intention honnête et d¹une conclusion sincère ;

 

J)    les dommages exemplaires nécessitent la preuve de l¹illicité de l¹atteinte et son intentionnalité.

IV.     DISCUSSION

4.1       La diffamation :

[69]         L¹émission d¹Arthur « L¹heure de vérité » est présentée comme une émission d¹affaires publiques.  Pour les segments d¹émissions qui nous concernent ni la vérité ni les affaires publiques ne sont au rendez-vous.

[70]         Arthur ne peut être considéré comme un novice ou une personne non-informée.  Il se dit animateur d¹une émission d¹affaires publiques et est un spécialiste de la communication.  Ses propos sont écoutés et populaires.

[71]         L¹émission d¹Arthur n¹est pas présentée comme une ¦uvre de fiction, un spectacle d¹humour ou une émission de divertissement.  Elle est présentée comme une émission d¹information et de commentaire loyal dans une société démocratique.  C¹est d¹ailleurs précisément ce que plaident les intimés.

[72]         Le style d¹Arthur, apprécié ou non dans sa forme, n¹est pas l¹objet du procès, à moins qu¹il ne participe à l¹impact de la diffamation par le lien de confiance et de complicité qu¹il crée avec l¹auditeur.  Tel est le cas ici.

[73]         Arthur assume le rôle de justicier.  C¹est son droit.  Il prend pour cible les personnes en vue.  C¹est son droit.  Son niveau de langage et son style sont efficaces dans l¹ironie, le sarcasme, la vulgarisation et l¹accessibilité du propos.  C¹est aussi son droit.

[74]         Il doit cependant s¹imposer les mêmes standards de rigueur qu¹il exige de ceux-là même qu¹il dénonce.  Il doit être à la hauteur de la crédibilité dont il jouit auprès de ses auditeurs.  Il doit transmettre une information juste, exacte et nuancée.

[75]         Il ne l¹a pas fait en l¹instance.

[76]         À l¹émission d¹avril 1998, Arthur s¹intéresse légitimement aux ennuis financiers de Stoneham, mais on a peine à comprendre ce que Marcil vient y faire.

[77]         Marcil a été mariée et a vécu avec Blondeau de mars 1969 à décembre 1985.  Quand elle met fin à son union, elle ne connaît pas Johnson.  Elle n¹a jamais été propriétaire du Centre de ski Stoneham.  À compter de 1986, elle n¹a rien à voir ni dans sa gestion ni dans ses ennuis financiers.  Elle est simplement « consultante ».

[78]         En 1998, elle n¹est pas « l¹ex-Madame Blondeau ».  Elle n¹est pas « Madame Daniel Johnson ».  Elle est Suzanne Marcil qui a marié Daniel Johnson.  Elle a une identité et une existence propres indépendamment de celles de son mari.  Elle n¹a jamais fait de politique et n¹a jamais demandé à être sous les feux de la rampe, sauf en certaines circonstances où elle a accepté d¹accompagner son mari.

[79]         Johnson n¹a jamais donné de subventions à Stoneham parce que sa femme a déjà été mariée à Blondeau.  Johnson n¹a d¹ailleurs jamais donné de subventions à Stoneham.  Pour être d¹intérêt public, un sujet doit d¹abord exister sur une base factuelle exacte.

[80]         Johnson n¹a pas changé d¹idée sur les subventions aux centres de ski et encore moins parce qu¹il était devenu le « copain Š de l¹ex-Madame Blondeau ».

[81]         Le procédé utilisé par Arthur n¹est pas nouveau :  insinuation, demi-vérité, populisme, démagogie.  Il cherche chez l¹auditeur cette part de cynisme qui sommeille.  Selon les intimés, Arthur aurait simplement interrogé sur l¹octroi de subventions.  Cela est faux.  Arthur affirme des faits qui deviennent ensuite les prémices de ses questions.  L¹auditeur moyen peut raisonnablement croire que ces faits sont établis.

[82]         Pourtant, Arthur a accès à des recherchistes.  CKVL lui fournit les services d¹un recherchiste à temps complet [15] .  Les deux postes de radio mettent leur service de nouvelles à la disposition d¹Arthur [16] pour « rehausser la qualité des deux émissions ».

[83]         Dans ce contexte, comment Arthur peut-il lancer des insinuations aussi malveillantes alors qu¹il n¹a fait aucune vérification ?  Il a raison de dire à Vaillancourt pendant l¹entrevue :  « Je vous laisse mon cher Claude parce que vous êtes tellement plus travaillant que moi Š ».

[84]         La seule raison qui semble guider Arthur est son aversion à l¹endroit de Johnson, aversion qu¹il exprime clairement dans l¹émission de septembre 2000 [17] .  Cette aversion conjuguée au caractère sensationnaliste du traitement de la nouvelle s¹inscrit apparemment dans un objectif de profit pour justifier les honoraires qui lui sont versés.

[85]         Le procédé utilisé par Arthur est tout aussi flagrant à la lecture de fin de la citation de l¹émission de septembre 2000 lorsqu¹il glisse :  « On sait maintenant que c¹est peut-être plus compliqué que le manque de neige.  Or, la présentatrice des nouvelles à Quatre Saisons est la belle-fille du Monsieur Blondeau en question.  Le monde est petit à Québec, tout petit, comme Richard Morency ».

[86]         Ce procédé s¹inscrit dans ce que nous connaissons de la diffamation, de la mauvaise foi et de l¹intention de nuire.

[87]         À l¹émission de septembre 2000, Arthur a eu l¹occasion de faire toutes les vérifications voulues sur ses insinuations gratuites d¹avril 1998.  Non pas que ces dernières soient justifiables, mais les répéter deux ans plus tard alors que Johnson est retourné à la vie privée et que Marcil ne l¹a jamais quittée est carrément inexcusable.  Au lieu d¹une honnête mise au point qui aurait eu le mérite d¹un baume, Arthur en remet.

[88]         Au lieu de parler de Suzanne Marcil, il parle à nouveau de « l¹ancienne Madame Blondeau du Centre de ski Stoneham ».

[89]         Arthur explique comment Johnson, opposé à toute subvention à des centres de ski, change d¹idée au « même moment » où « il est devenu le copain de madame Marcil, l¹ancienne madame Blondeau, propriétaire du Centre de ski Stoneham.».  Et il ajoute, en parlant de Johnson :  « Y¹était contre, y¹était contre, y¹était contre, y commence à sortir avec madame Blondeau, y¹est pour, y¹est pour, y¹est pour Š ».

[90]         Tout est faux, tendancieux, accrocheur.

[91]         Marcil n¹est pas propriétaire de Stoneham.  Johnson n¹a pas changé d¹idée à cause de sa relation avec Marcil.  De fait, il n¹a pas changé d¹idée sur les subventions aux centres de ski.  À sa rencontre avec Marcil en 1987, Johnson n¹est pas président du Conseil du trésor et il n¹a pas accordé une subvention.

[92]         Dans ce contexte, le témoignage de Sutherland n¹apporte rien de pertinent à la défense des intimés.  Le rôle des médias et l¹obligation des politiciens de rendre compte ne sont pas en litige.  Ce sont les conditions d¹application de la défense de commentaire loyal qui, comme on l¹a vu, doivent être évaluées.  À cet égard, les propos du juge Cory, déjà cités [18] , soulignent avec justesse que les faussetés et injures nuisent aux intérêts d¹une société libre et démocratique.  Elles nuisent notamment, à la participation de candidats valables et crédibles aux affaires de l¹État.

[93]         En résumé, à la lumière des enseignements des auteurs et de la jurisprudence, la conduite d¹Arthur montre :

a)    une faute ;

 

b)    une atteinte à la réputation ;

 

c)    diffamation consciente et de mauvaise foi ;

 

d)    aucune des conditions du commentaire loyal n¹est démontrée.

[94]         Marcil et Johnson ont droit à des dommages.

V.      LA RESPONSABILITÉ DE COGECO ET DE MÉTROMÉDIA

[95]         En novembre 1997, en engageant Arthur pour animer de larges portions de la grille horaire de CKVL et CJMF, Métromédia et Cogeco savent ou devraient savoir que, de par sa réputation, Arthur n¹animera pas une émission d¹affaires publiques dans laquelle une information juste, exacte et nuancée sera véhiculée.

[96]         Les pièces R-3 à R-105 recensent une série de procédures judiciaires, règlements hors cour, commentaires du CRTC et du Conseil de presse, antérieurs à avril 1998, qui montrent, à l¹évidence, le « style Arthur ».

[97]         Dénigrement, demi-vérité, écart de langage, diffamation, démagogie : Arthur est populaire et populiste.  C¹est un style qui se vend bien.  Or, en 1998 (R-114, 115 et 122), on le paie une fortune et on s¹engage à le défendre en justice sachant que des procédures suivront.

[98]         La pièce R-88 est éloquente où CKVL annonce dans le journal La Presse du 11 mars 1996, l¹émission du midi d¹Arthur :  « Plus baveux que jamais! » avec photo à l¹appui.

[99]         Pour illustrer, citons simplement certains extraits de décisions du Conseil de presse et du CRTC.

[100]     Une décision du Conseil de presse de janvier 1978 mentionne (R-3) :

« Le Conseil estime que vous avez abordé cet incident d¹une façon sensationnelle plutôt que de vous inspirer d¹un véritable souci d¹informer adéquatement le public, en faisant appel à la raillerie et au persiflage, en nommant inutilement la secrétaire impliquée et en vous permettant un jugement d¹ensemble sur les services dispensés par le Centre hospitalier en question.

Le Conseil juge que ce genre de commentaire n¹a pas sa place dans le cadre d¹un bulletin d¹informations.  Dans ce cas, ce mélange des genres journalistiques était susceptible de semer la confusion dans la population, d¹autant plus que vous appuyiez votre jugement sur un cas isolé, insuffisant pour démontrer à lui seul une situation globale.  Le Conseil vous invite, à l¹avenir, à remplacer ce type de jugement global par des reportages mieux étayés, en sorte que le téléspectateur soit en mesure de former lui-même son opinion sur un sujet donné. »

(nos soulignements)

[101]     Une autre de janvier 1983 (R-24) :

« Le Conseil considère que dans ce cas, vous devez être blâmé pour avoir traité les Indiens comme vous l¹avez fait.  Vos propos méprisants et offensants à leur égard étaient indignes des ondes publiques Š

[102]     Commentaires semblables sous R-31 (janvier 1985) :

« Vu l¹absence de collaboration de l¹animateur et de la station, le Conseil n¹a pu prendre connaissance de la teneur exacte des propos qui leur étaient reprochés.  Sur la base du grief tel que formulé par les plaignants et qui n¹a pas été contredit, le Conseil doit donc présumer de sa justesse et déplorer que l¹animateur ait pu blesser les proches de la victime, en rappelant que ceux qui rapportent ce genre d¹information devraient manifester à l¹endroit des victimes et de leurs proches de l¹humanité et de la déférence en démontrant leur réel souci d¹informer la population sur les questions qui sont réellement d¹intérêt public. »

(nos soulignements)

[103]     R-42 (janvier 1987) :

« La presse doit éviter de cultiver les préjugés et s¹abstenir de recourir à des procédés susceptibles de ridiculiser certaines personnes et certains groupes en raison de leur origine ethnique ou de leurs caractéristiques culturelles.

Si des professionnels de l¹information doivent être libres de dénoncer les situations qui leur apparaissent devoir l¹être, cette liberté ne doit pas se traduire en une pratique qui a pour objectif ou pour effet de couvrir de mépris l¹ensemble des membres d¹un groupe ou d¹une culture sur la seule base des agissements de quelques individus. »

[104]      R-57 (décision du CRTC ­ août 1990, visant la station CHRC) :

« Étant donné l¹accent mis par la titulaire sur les émissions de tribune téléphonique et les responsabilités particulières qui lui incombent à cet égard face aux exigences en matière d¹équilibre et de haute qualité de la programmation qui sont inscrites au paragraphe 3 (d) de la Loi sur la radiodiffusion, le Conseil exige donc que la titulaire lui soumette de nouvelles lignes directrices et tout autre mécanisme de contrôle qu¹elle propose, adaptées au type de programmation qu¹elle diffuse et qui tiennent compte des préoccupations soulevées au cours de la présente période d¹application de la licence.

Suite à la décision du Conseil du 23 décembre 1988, la titulaire soumettait au Conseil en mars 1989 un projet de lignes directrices concernant les tribunes téléphoniques à CHRC.  Suite à des commentaires du Conseil concernant ce projet, la titulaire soumettait un projet amendé.  Le 13 octobre 1989, le Conseil faisait savoir à la titulaire que ce projet amendé avait été approuvé.  La titulaire demeurait bien entendu redevable au Conseil des manquements aux exigences de haute qualité et d¹équilibre ayant pu se produire avant cette date; suite à l¹adoption de ces lignes directrices, la titulaire devait s¹attendre à devoir au surplus s¹expliquer en regard de ses lignes directrices.  C¹est dans la perspective de ce qui précède que le Conseil devait considérer Š la demande de renouvellement de la licence de CHRC Š

(Š)

À l¹audience, la titulaire a été appelée de différentes façons à prendre position sur les griefs exprimés à son endroit en rapport avec les propos tenus par André Arthur sur les ondes de CHRC. Š

Le Conseil est pourtant convaincu qu¹il existe un grave problème au titre du respect par la titulaire de l¹exigence de qualité et c¹est ce qui fonde sa décision indiquée plus haut d¹accorder un renouvellement d¹un an seulement.  Il éprouve aussi des inquiétudes sérieuses au titre de son respect de l'exigence d¹équilibre.  En conséquence de ce problème et de ces inquiétudes, le Conseil a décidé d¹imposer certaines conditions de licences spécifiques à la titulaire, les conditions 1 à 5 qui sont énoncées dans la section qui suit.

(Š) »

(nos soulignements)

[105]     R-60 décision du Conseil de presse (mars 1990) :

« Les chroniqueurs et les commentateurs de la radio jouissent d¹une grande latitude dans l¹expression de leurs points de vue sur les sujets et les événements de leur choix.  Ils doivent exercer cette latitude dans le respect des personnes et des groupes et éviter à leur endroit des propos méprisants et propres à les discréditer indûment auprès de l¹opinion publique.  Il importe également qu¹ils présentent les faits et les événements sur lesquels ils appuient leurs commentaires afin que le public puisse se former une opinion en toute connaissance de cause.

(Š)

En ce qui concerne les émissions des 12 et 13 mars 1990, le Conseil estime que M. Arthur a abusé de sa latitude.  Il a truffé ses commentaires de propos injurieux et outranciers à l¹endroit de l¹ensemble des douaniers canadiens.  Le Conseil estime qu¹il a ainsi discrédité indûment les douaniers canadiens auprès de l¹opinion publique.  Pour ces raisons, le Conseil adresse un blâme à M. Arthur et à la station CKAC. »

(nos soulignements)

[106]     Ajoutons R-69 (juillet 1994) où le Conseil de presse blâme à nouveau Arthur pour une attaque particulièrement vicieuse sur un ministre et son fils.

[107]     À diverses reprises, le Conseil a noté le manque de collaboration dans l¹examen des plaintes.  C¹est le cas à la pièce R-69 où CKVL est impliquée :

« En ce qui concerne l¹affirmation de M. Arthur selon laquelle « il semblerait que ce Š là avait des liens de Š il serait quasiment le gendre d¹Š », le Conseil n¹est pas en mesure de vérifier si effectivement M. Š avait des liens personnels avec la famille de M. Š  Le Conseil reproche cependant à M. Arthur d¹avoir abusé de sa fonction en faisant allusion à l¹orientation sexuelle du fils de M. ...

(Š)

La commission blâme cependant M. André Arthur et les stations CHRC et CKVL pour leur refus répété de collaborer à l¹étude du présent dossier, soit en première instance devant le tribunal d¹honneur et par la suite devant la commission d¹appel.

La commission considère que M. Arthur, CHRC et CKVL, dans la mesure où ils décident de diffuser des affirmations de la nature de celles dénoncées, devraient être prêts à justifier et à étayer ces affirmations auprès d¹instance publiques comme le Conseil de presse lorsqu¹une plainte est déposée.

La commission a également jugé, dans le cas présent, qu¹il y avait lieu d¹aviser le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et l¹Association canadienne de la radio et de la télévision de langue française (ACRTF) du blâme qu¹elle adresse à M. Arthur et aux stations CHRC et CKVL. »

(nos soulignements)

[108]     Le lecteur pourra également se référer à R-78 (mars 1993), R-103 (juin 1990), R-104 (juillet 1991) et R-105 (juillet 1993).

[109]     En laissant Arthur sévir sur les ondes de leur station de radio, Cogeco et Métromédia sont responsables de la diffamation de leur animateur - vedette payé à prix d¹or pour faire exactement ce qu¹il fait.  Aucune preuve n¹a été faite de directives ou mesures formulées par Métromédia et Cogeco pour encadrer le travail de l¹animateur dont les antécédents sont éloquents.  Au contraire, elles ont transigé à l¹avance avec Arthur sur leur responsabilité financière à l¹égard des poursuites à venir tout en payant une surprime à leurs assureurs en responsabilité.

[110]     Le présent jugement n¹a pas à condamner Arthur pour le passé, mais ne peut l¹ignorer impunément, puisqu¹il met en évidence le manque de diligence et de prudence de Métromédia et Cogeco envers la réputation d¹autrui.  D¹ailleurs, Métromédia était impliquée dans plusieurs incidents [19] , avant 1998.  Métromédia n¹a offert aucune preuve en défense et Arthur n¹a pas témoigné à l¹instar de ce que le Conseil de presse déplore à R-69.  Le Tribunal reprend à son compte les propos du Conseil de presse :  lorsqu¹ils décident de diffuser des propos semblables, le diffuseur et l¹animateur devraient être prêts à les justifier et à les étayer.  Leur crédibilité journalistique exigerait une attitude responsable, documentée et sérieuse dans le traitement des allégations des victimes.

[111]     Ni Métromédia ni Cogeco n¹ont cru bon de corriger sur les ondes le tort causé à Marcil et à Johnson.  Cogeco l¹a même laissé récidiver en 2000.

[112]     Elles sont toutes deux, conjointement et solidairement, responsables de la faute d¹Arthur.

VI.     LA RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS

[113]     Les requérants poursuivent les administrateurs de Métromédia et Cogeco.  Les reproches qui leur sont adressés relèvent de la responsabilité extracontractuelle comme il est prévu à l¹article 1457 C.c.Q.  À cet égard, l¹administrateur ne bénéficie pas d¹une immunité semblable à celle du mandataire en matière contractuelle (art. 2157 C.c.Q.) [20]  :

« Alors qu¹en matière contractuelle l¹administrateur bénéficie de l¹immunité du mandataire, aucune telle immunité n¹existe en matière extra-contractuelle.  Au contraire, l¹administrateur qui a participé à la faute en est solidairement responsable, en vertu de l¹article 1526 :  il ne peut se retrancher derrière aucun mandat.  Il n¹est ni nécessaire ni même pertinent d¹invoquer le soulèvement du voile corporatif pour imposer une responsabilité personnelle à un administrateur pour une faute extra-contractuelle qu¹il a commise ou pour celle de la compagnie à laquelle il a contribué. » (Voir jurisprudence citée :  Proulx  c.  Entreprises de Radiodiffusion de la Capitale Inc., J.E. 96-1180 (C.S.);  Cité de l¹île Shopping Centres inc.  c.  2425-9434 Québec inc., J.E. 2001 ­ 2093 (C.S.).)

(nos soulignements)

[114]     Les plaideurs n¹ont pas discuté de la responsabilité qui pourrait leur échoir à titre d¹actionnaire ou d¹administrateur de ces sociétés dans le contexte de l¹article 317 C.c.Q.  Cet aspect est donc écarté.

[115]     La responsabilité extracontractuelle des administrateurs ne peut être engagée que dans la mesure où ils ont contrevenu à une obligation légale indépendante si le tiers lésé est lié contractuellement à la société [21]  :

«  Š  La responsabilité extracontractuelle des administrateurs ne pouvait être engagée que si la demanderesse établissait que les administrateurs avaient contrevenu à une obligation légale indépendante de la relation contractuelle en cause, ce qu¹elle n¹avait pas réussi à démontrer en l¹espèce.

(Š)

La preuve d¹une faute extracontractuelle autonome commise par les administrateurs ou les dirigeants n¹est pas aisée.  La jurisprudence semble exiger un degré de faute caractérisée pour reconnaître la responsabilité personnelle des administrateurs et dirigeants dans un contexte contractuel.  C¹est ce que soulignait la cour supérieure dans Corp. d¹hébergement du Québec  c.  Gestion V.S.P. (1982) inc. :

« La Cour semble avoir établi un seuil au-delà duquel la responsabilité des administrateurs de compagnie peut être engagée sous l¹article 1457 C.c.Q.  Même si la limite de ce seuil n¹est pas précise, l¹on pourrait soutenir qu¹elle se trouve à mi-chemin entre un comportement discutable et un comportement frauduleux ou abusif. »

(nos soulignements)

[116]     D¹autre part, dans un contexte extracontractuel [22]  :

« Dans un contexte extracontractuel, l¹application des règles régissant la responsabilité des administrateurs et dirigeants est facilitée par l¹absence d¹un lien contractuel entre la victime et la société qui pourrait mettre en jeu l¹article 2157 et amener les tribunaux à adopter une approche plus restrictive à cet égard.  La preuve d¹une faute simple de la part d¹un membre de la direction de la société suffit à enclencher la responsabilité de ce dernier lorsque cette faute cause un dommage à un tiers.

(Š)

Le régime de la responsabilité extracontractuelle suscite néanmoins des difficultés d¹application qui ont trait au rôle des administrateurs et dirigeants au sein des sociétés par actions.  En raison de leurs fonctions, ces derniers prennent fréquemment des décisions générales qui sont mises en ¦uvre par les employés de la société.  Dans ces circonstances, l¹attribution d¹une faute aux membres de la direction peut s¹avérer complexe.

D¹emblée, il importe de rappeler que selon les principes généraux du droit civil, la responsabilité des administrateurs et des dirigeants ne peut être mise en jeu que s¹ils commettent une faute personnelle, à moins que ne s¹applique un régime de responsabilité pour le fait d¹autrui.  Ainsi, le seul fait d¹être membre de la direction ne constitue pas une cause de responsabilité pour les dommages occasionnés par des activités d¹une société.  Pour rechercher la responsabilité des administrateurs et dirigeants relativement à des décisions générales concrétisées par des employés de la société, il est donc nécessaire de démontrer que ces décisions étaient en soi fautives Š

(Š)

Š Il ne faut toutefois pas perdre de vue que la faute des membres de la direction pourra en être une d¹omission, comme l¹illustre l¹affaire Proulx c. Entreprises de Radiodiffusion de la Capitale inc.  En l¹espèce, le demandeur-intimé avait intenté une action en diffamation contre la défenderesse, ses administrateurs et un de ses employés.  Dans le cadre d¹une requête en irrecevabilité, les administrateurs - requérants faisaient valoir que la société était une personne morale distincte et que leur responsabilité ne pouvait être engagée du seul fait qu¹ils étaient ses administrateurs.  Tout en reconnaissant ce principe, la Cour, tenant pour avérés les faits allégués dans la déclaration de l¹action, rejeta la requête en irrecevabilité en soulignant l¹applicabilité des principes généraux de la responsabilité civile aux administrateurs en l¹espèce :

« Les individus qui commettent une faute répondent toujours des dommages qu¹ils causent à la victime si la faute est prouvée et qu¹il y a un lien entre cette faute et les dommages causés à la victime, nonobstant qu¹ils étaient coiffés du titre d¹administrateur d¹une compagnie de radiodiffusion, de directeur d¹une compagnie de radiodiffusion, de chef de personnel d¹une compagnie de radiodiffusion ou de tout autre titre.  Le titre n¹est pas exculpateur comme moyen de défense si l¹individu poursuivi a personnellement commis une faute. »

Dans les circonstances, les requérants-défendeurs pouvaient donc être poursuivis en responsabilité puisque l¹action intéressait leur comportement personnel, plus particulièrement leur défaut à prendre « les précautions utiles et efficaces pour empêcher qu¹il soit procédé à la diffusion des propos et insinuations diffamatoires à l¹égard du demandeur. »

(Nos soulignements)

[117]     Dans l¹affaire Proulx, comme en l¹espèce, les administrateurs plaidaient l¹absence d¹un lien de droit entre eux et la victime de la diffamation survenue en ondes par les propos d¹un animateur.

[118]     La preuve des requérants à l¹égard des administrateurs de Cogeco et Métromédia est succincte.  Est-elle suffisante pour lier leur responsabilité personnelle?

[119]     Au cours de leur témoignage, Marcil et Johnson expriment leur conviction : les administrateurs auraient embauché Arthur pour s¹enrichir au mépris des droits des éventuelles victimes diffamées.  Il s¹agit de leur impression, mais celle-ci ne constitue pas en soi, une preuve des faits qui la sous-tendent.  Or, les requérants ne rapportent aucun fait probant sur ce point.

[120]     Ces faits doivent donc apparaître des pièces produites et du seul autre témoignage pertinent, celui de Pierre Gagné (Gagné), vice-président finances chez Cogeco.

[121]     Selon Gagné, les revenus de CJMF proviennent de la publicité diffusée sur les ondes.  Les contrats de publicité sont obtenus en fonction des cotes d¹écoute obtenues par la station.  Deux fois l¹an, le conseil d¹administration reçoit les cotes d¹écoute B.B.M.

[122]     En janvier 1998, les membres du conseil d¹administration ont été avisés par Michel J. Carter (Carter) de l¹embauche d¹Arthur.  Gagné déclare qu¹il ne connaissait pas Arthur à ce moment.

[123]     Toutefois, à la même époque, il apprend qu¹une surprime est exigée par les assureurs de l¹entreprise et qu¹Arthur a été poursuivi antérieurement.  Il avise Louis Audet (Audet) et Carter, tous deux membres du conseil d¹administration de Cogeco, de ce fait.

[124]     Selon Gagné, malgré cette information, les administrateurs ne demandent pas et n¹obtiennent pas de renseignements sur l¹objet et l¹étendue de ces poursuites antérieures; ne vérifient pas et n'exigent pas la mise en place d¹un mécanisme de vérification du contenu des émissions d¹Arthur; ne formulent aucune directive; ne prévoient aucun encadrement; ne modifient pas cette attitude après l¹incident du 2 avril 1998 et la mise en demeure de Marcil et Johnson; ne vérifient pas ni ne requièrent aucune explication d¹Arthur.  Pourant, ils prendront connaissance du contenu de l¹émission du 2 avril 1998 concernant Johnson et Marcil.

[125]     Bref, Gagné ne se souvient pas que le conseil d¹administration ait même discuté de ces préoccupations.

[126]     Plus encore, aucune des décisions du Conseil de presse ou du CRTC formulées depuis plusieurs années (R-3 à R-105) (incluant celles concernant CKVL) n¹a été discutée à l¹assemblée des administrateurs.

[127]     Il est difficile de trouver un cas plus flagrant d¹aveuglement volontaire.

[128]     Cette preuve est suffisante pour établir une faute d¹omission de la part des administrateurs en poste en 1998 lors de l¹embauche d¹Arthur et, par la suite, lors des événements d¹avril 1998 et septembre 2000.  Cette faute d¹omission concerne les mesures ou vérifications qui devaient être discutées et adoptées afin d¹éviter des poursuites éventuelles particulièrement à la lumière des antécédents d¹Arthur.  Il est inconcevable que Cogeco confie un segment aussi important de ses ondes à un animateur qu¹on prétend ne pas connaître.  Le Tribunal n¹en croit rien.  Ces intimés ont choisi de ne pas s¹expliquer devant le Tribunal.

[129]     Les administrateurs ont donc manqué à une obligation élémentaire de prudence et de diligence dès le début de la relation contractuelle de Cogeco avec Arthur et par la suite.

[130]     Gagné identifie deux autres administrateurs de Cogeco dont la responsabilité personnelle sera retenue :  Audet et Carter.

[131]     D¹autre part, l¹étude des procès-verbaux de l¹assemblée des administrateurs de Cogeco (R-113) est instructive.  Les administrateurs intimés y sont identifiés.

[132]     Le 22 juin 1998, l¹assemblée étudie un rapport sur les sondages :

« Les heures d¹écoute de CJMF sont en constante progression depuis le printemps 1994 puisqu¹elles sont passées pendant cette période de 449 à 835 avec des pointes 891 au printemps 1996 à 923 à l¹automne de la même année.  Il est prévu que cette tendance va continuer car les animateurs en place, particulièrement André Arthur, Robert Gillet, Alain Dufresne et Jacques Lemieux ont énormément de succès. »

(nos soulignements)

[133]     En annexe, un document intitulé « Évolution et projets de développement » souligne l¹embauche d¹Arthur :

« Embauche de André Arthur pour 5 ans

            Renforcement du matin

Renouveau le midi »

[134]     Le 16 avril 1998, l¹assemblée note :

« CJMF

Revue des sélections musicales.

Promotion auprès des agences nationales.

Il est à noter que l'embauche de Robert Gillet et ensuite d¹André Arthur ont fait monter considérablement la quote (sic) d¹écoute de ce poste. »

(nos soulignements)

[135]     Le 25 juin 1998, la tendance se maintient :

« CJMF

Point (sic) saillants :

(Š)

Émission l¹Heure de vérité numéro 1 le midi avec André Arthur »

(nos soulignements)

[136]     La poursuite engagée par les requérants est mentionnée :

« 17.  Varia

André Arthur

Il s¹agit d¹une poursuite pour diffamation par M. Daniel Johnson et Madame Suzanne Marcil contre CRTI [Cogeco], ses administrateurs et d¹autres personnes au sujet des paroles qui ont été prononcées par M. Arthur à l¹émission « L¹heure de Vérité » du 2 avril 1998.  Me Yves Mayrand explique Š

Me Marc-André Blanchard de la firme Lafleur, Brown pour nous représenter.  À titre d¹information, tous les administrateurs ont écouté la cassette du segment de l¹émission de la poursuite en question. »

(nos soulignements)

[137]     En octobre 1998, l¹assemblée étudie les objectifs d¹auditoires et de marketing :

« 11.    Exposé des objectifs d¹auditoires et de marketing de la Compagnie pour l¹exercice financier 1998-1999

M. Michel J. Carter résume les objectifs d¹auditoires et de marketing de la Compagnie pour l¹exercice en cours.  En radio, la direction vise à poursuivre la remontée de CJMF-FM Québec en s¹appuyant notamment sur la force de ses animateurs vedettes, et à renverser la tendance à la baisse de l¹auditoire de CFGL-FM en raffinant la politique musicale et en améliorant la promotion et le profil du format musical de cette station. »

(nos soulignements)

[138]     À la fin de 1998, Labelle se retire du conseil d¹administration.

[139]     Le 15 avril 1999, le procureur au dossier fait rapport à l¹assemblée « sur le dossier Johnson et Marcil ».

[140]     Enfin, dans leur contestation du 29 mars 1999, les intimés admettent qu¹ils sont administrateurs (par. 7 et 41).

[141]     Le Tribunal retiendra la responsabilité personnelle des administrateurs de Cogeco pour les dommages accordés suite aux émissions des 2 avril 1998 et 6 septembre 2000, sauf à l¹égard de Labelle dans ce dernier cas, puisqu¹il s¹est retiré à la fin de l¹année 1998.

[142]     Quant à Béland et Arcand, administrateurs de Métromédia, aucune preuve testimoniale n¹a été offerte.  Les pièces au dossier (R-116 à R-121) constituent la seule preuve disponible.  Malgré les incidents antérieurs impliquant Métromédia, il faut évaluer les agissement des administrateurs lors de l¹entente R-114 en 1998 et par la suite.

[143]     À l¹automne 1998, BBM confirme la « performance incroyable » d¹Arthur, l¹auditoire ayant augmenté de 88% depuis un an (R-116).

[144]     En décembre 1998, le CRTC avise Arcand d¹une plainte émanant d¹un tiers suite à des propos d¹Arthur pendant son émission (R-118).

[145]     En janvier 1999, cette plainte suit son cours.  Métromédia informe les personnes concernées qu¹elle élabore « un guide déontologique » pour ses émissions d¹informations (R-119).

[146]     Lors du renouvellement de licence de CKVL, Arcand annonce que Métromédia a déposé au CRTC un guide déontologique qui s¹applique à l¹ensemble de la programmation (R-121).

[147]     Le 29 avril 1999 (R-123), le CRTC renouvelle la licence de CKVL pour trois ans (au lieu de sept ans) étant « préoccupé par les plaintes reçues ».  Le CRTC fait état du guide déontologique déposé par Métromédia.

[148]     Les plaintes concernent des propos d¹Arthur.  Quant à Métromédia :

« 14.    Le Conseil déplore la banalisation que semble faire la titulaire des propos utilisés par son animateur, propos jugés inacceptables dans le passé dans le cadre d¹autres instances.  Il déplore aussi la tolérance de la titulaire face à une programmation de qualité inférieure à celle à laquelle on s¹attendrait.  Le Conseil rappelle à la titulaire qu¹elle est tenue de s¹assurer que ses animateurs respectent les dispositions de la Loi et du Règlement en tout temps.

15.       Compte tenu de la gravité des propos tenus par M. Arthur, le Conseil a décidé d¹obliger la titulaire à respecter, par condition de licence, la version révisée de son Guide déontologique.  On retrouve cette condition plus loin dans la présente décision. »

(nos soulignements)

[149]     Toute cette preuve souligne les réticences du CRTC face à Métromédia, mais ne suffit pas à établir par preuve prépondérante une faute personnelle des administrateurs.  Le Tribunal note plutôt les efforts effectués en 1998 et 1999 pour adopter un guide déontologique qui paraît assez crédible aux yeux du CRTC pour justifier le renouvellement de la licence.

[150]     De plus, Métromédia met fin à sa relation avec Arthur dès juin 1998.

[151]     Enfin, la preuve ne révèle rien de discussions ou  de l¹absence de discussions, de vérifications ou de l¹absence de vérifications ou de directives lors de l'embauche d¹Arthur.

[152]     Compte tenu des lacunes de la preuve à cet égard, la responsabilité personnelle des administrateurs de Métromédia ne sera pas retenue.

VII.    LES DOMMAGES

[153]     Il faut se rappeler qu¹en cette matière, chaque cas est un cas d¹espèce, et que les comparaisons d¹une affaire à l¹autre sont souvent inutiles.  L¹évaluation des dommages se fait notamment à partir des éléments suivants :

a)             nature et circonstances de la diffamation ;

 

b)             caractère et situation de la victime ;

 

c)             effets sur la vie de la victime ;

 

d)             acte et motivation de l¹intimé. [23] .

 

[154]     Les dommages exemplaires participent d¹une autre dynamique :  ils visent à punir l¹intimé pour son comportement inacceptable.  Ils visent à dissuader l¹intimé et les autres d¹agir ainsi.  Il n¹y a pas de limite dans l¹octroi de tels dommages sauf celle du bon sens.

[155]     Les requérants réclament des dommages moraux et exemplaires.  Ils réclament en outre le remboursement de leurs honoraires extrajudiciaires.  Les sommes maintenant réclamées par les requérants sont en annexe 1 du présent jugement.  Le Tribunal a occulté certaines informations confidentielles suite à l¹entente des parties.

7.1       Dommages moraux

[156]     Il n¹y a aucun doute que la blessure morale infligée aux requérants par cette diffamation est profonde.

[157]     Marcil a ressenti ces propos comme l¹illustration d¹une trahison qu¹elle aurait commise envers ses proches et envers l¹environnement politique et social de son mari.  Particulièrement auprès des bénévoles militant au parti politique qu¹il dirigeait.

[158]     La Cour doit compenser par l¹octroi de dommages la détresse morale ressentie par la victime dans sa crainte des impacts de tels propos.  Marcil illustre cette crainte lorsqu¹elle mentionne le stigmate qui entache à jamais la réputation dans l¹esprit des personnes contaminées par la diffamation.

[159]     Au surplus, Marcil a subi humiliation et atteinte à sa vie privée lorsqu¹Arthur étale sur la place publique son échec matrimonial antérieur et l¹oblige à dévoiler à l¹audience la souffrance liée à cet échec dont personne n¹avait à connaître les détails.

[160]     Compte tenu de la notoriété de son mari et de son souci de loyauté envers lui, l¹atteinte morale a été particulièrement ressentie.

[161]     À ce chapitre, la Cour accorde la somme de 30 000 $ pour chacune des deux émissions.

[162]     Johnson, de son côté, a vivement ressenti cette diffamation comme une atteinte directe à son intégrité professionnelle et personnelle.

[163]     Cette intégrité est à la base de son action politique et de ses convictions et lui a valu d¹occuper les fonctions les plus prestigieuses au gouvernement dont celle de Premier ministre.

[164]     Toute atteinte à son intégrité est particulièrement ressentie à cause de cette notoriété.

[165]     L¹impact moral de la diffamation sur le requérant est dévastateur à cause de son action politique et de l¹injustice ressentie par l¹attaque contre son épouse.

[166]     Le requérant était et est particulièrement conscient des exigences déontologiques et éthiques qui encadraient l¹exercice de ses fonctions politiques et a souffert qu¹on ait pu croire qu¹il les avait trahies pour de vils motifs.

[167]     La Cour accorde également à Johnson la somme de 30 000 $ par émission à ce chapitre.

7.2       Dommages exemplaires

[168]     Ces dommages visent à décourager la survenance d¹une semblable diffamation.  Ils sont particulièrement appropriés lorsque, comme en l¹espèce, le dossier dénonce le caractère répétitif des gestes reprochés dans le déroulement de la carrière radiophonique d¹Arthur.

[169]     Cette preuve est pertinente, non pour établir la diffamation, mais pour établir la volonté caractérisée d¹Arthur de se soustraire à une conduite prudente et diligente dans l¹exercice de ses fonctions d¹animateur.  Cet aspect aggrave la faute commise.

[170]     Selon la preuve, sa société et lui-même reçoivent des honoraires très substantiels dans le cadre des contrats (R-114 et R-115).  Il faut tenir compte du salaire versé à Arthur et de ses intérêts financiers comme actionnaire de sa compagnie.  Le Tribunal conclut à une rémunération qui justifie l¹octroi de dommages exemplaires importants.

[171]     La seule compensation accordée pour le préjudice moral ne suffit pas pour décourager la poursuite de comportements semblables dans l¹avenir et manifester clairement la réprobation du Tribunal.

[172]     Le Tribunal accorde à chacun des requérants la somme de 50 000 $, à ce titre, pour chacune des deux émissions.

[173]     D¹autre part, le cas de Johnson doit être distingué de celui de Marcil.  L¹attaque par Arthur le vise de façon particulière.  Outre l¹atteinte liée à la diffamation et à sa vie privée en raison de son lien matrimonial avec Marcil, il est ciblé dans sa vie professionnelle.  Il est peu d¹allégations plus graves que celles visant l¹intégrité professionnelle.  Johnson, au cours de sa vie publique, était investi de la confiance de ses concitoyens et se voyait attribué les responsabilités les plus exigeantes dans la conduite des affaires de l¹État.  Par la suite, à compter de 1998, il poursuit sa carrière d¹avocat.

[174]     La réputation d¹intégrité est essentielle à sa crédibilité comme politicien et comme avocat.  À titre de personnage public, il doit s¹attendre à la critique, à l¹opposition, à l¹examen public de ses décisions.  Toutefois, il est en droit de penser que les médias, dans l¹exercice de leur latitude à cet égard, s¹assureront de la véracité des faits.

[175]     Les attaques dénuées de fondement, sans vérification préalable, dans un esprit sensationnaliste avec le seul objectif apparent d¹un profit commercial, découragent la participation à la vie publique, dénaturent le rôle essentiel des médias et abaissent le niveau d¹exigence requis dans le contexte d¹une démarche journalistique sérieuse et crédible.  Ainsi, ces attaques nuisent à la vie démocratique.  Le Tribunal accordera une somme supplémentaire de 50 000 $ par émission en faveur de Johnson pour l¹atteinte à sa crédibilité professionnelle.

7.3       Honoraires extrajudiciaires

[176]     Un jugement récent de la Cour d¹appel clarifie les exigences encadrant l¹octroi d¹une compensation pour les honoraires extrajudiciaires [24]  :

« 67.  L'écart sans cesse croissant entre le tarif judiciaire et les coûts réels encourus par les plaideurs victorieux incite ces derniers à demander le remboursement de ces dépenses à titre de dommages-intérêts.

68.  En principe, deux voies s'ouvrent aux plaideurs pour récupérer en totalité ou en partie les honoraires extrajudiciaires de son avocat :  les dépens et le recours en dommages-intérêts.

(Š)

72.  Sans élaborer plus avant sur les avantages ou les inconvénients «des dépens avocat-client», je suis d'avis que la seule indemnisation possible du plaideur victorieux passe par les règles de la responsabilité civile.

(Š)

74.  Avant d'examiner plus avant cette question, il importe de distinguer et de définir l'abus de droit sur le fond du litige (l'abus sur le fond) de l'abus du droit d'ester en justice.  L'abus sur le fond intervient avant que ne débutent les procédures judiciaires.  L'abus sur le fond se produit au moment de la faute contractuelle ou extracontractuelle.  Il a pour effet de qualifier cette faute.  La partie abuse de son droit par une conduite répréhensible, outrageante, abusive, de mauvaise foi.  Au moment où l'abus sur le fond se cristallise, il n'y a aucune procédure judiciaire d'entreprise.  C'est précisément cet abus sur le fond qui incitera la partie adverse à s'adresser aux tribunaux pour obtenir la sanction d'un droit ou une juste réparation.

75.  À l'opposé, l'abus du droit d'ester en justice est une faute commise à l'occasion d'un recours judiciaire.  C'est le cas où la contestation judiciaire est, au départ, de mauvaise foi, soit en demande ou en défense.  Ce sera encore le cas lorsqu'une partie de mauvaise foi, multiplie les procédures, poursuit inutilement et abusivement un débat judiciaire.  Ce ne sont que des exemples.  À l'aide d'hypothèse, Baudouin et Deslauriers cernent la nature de l'abus du droit d'ester en justice :

(Š)

77.  Soit dit avec égards, les principes de la responsabilité civile m'incitent à apporter une réponse négative à la question posée.  En principe et sauf circonstances exceptionnelles, les honoraires payés par une partie à son avocat ne peuvent, à mon avis, être considérés comme un dommage direct qui sanctionne un abus sur le fond.  Il n'existe pas de lien de causalité adéquat entre la faute (abus sur le fond) et le dommage.  La causalité adéquate correspond à ou aux événements ayant un rapport logique, direct et immédiat avec l'origine du préjudice subi.  Seul l'abus du droit d'ester en justice peut être sanctionné par l'octroi de tels dommages.  Il m'apparaît erroné de transformer l'abus sur le fond en un abus du droit d'ester en justice dès qu'un recours judiciaire est entrepris.  Quelques explications s'imposent.

78.  Il est acquis au débat qu'une partie ne peut, règle générale, être compensée des honoraires payés à son avocat pour faire valoir ses droits.  Le justiciable devra payer ces honoraires extrajudiciaires qu'il y ait ou non abus sur le fond.  Les honoraires ne seraient d'ailleurs pas encourus si la partie adverse reconnaissait, dès le début des procédures judiciaires, sa faute même si cette dernière peut être qualifiée d'abus sur le fond (conduite abusive, répréhensible, scandaleuse, outrageante, de mauvaise foi).  Dans ce cas, malgré la conduite abusive sur le fond, la partie n'aurait pas à débourser inutilement des honoraires à son avocat.  Cet exemple démontre l'absence de lien de causalité suffisant entre la faute et le dommage.

79.  À l'inverse, peu importe qu'il y ait abus ou non sur le fond, une partie qui abuse de son droit d'ester en justice causera un dommage à la partie adverse qui, pour combattre cet abus paie inutilement des honoraires judiciaires à son avocat.  Il y a, dans ce cas, un véritable lien de causalité entre la faute et le dommage.

(Š)

83.  Lorsque la conduite d'une partie sur le fond du litige est répréhensible, scandaleuse, outrageante, abusive, de mauvaise foi, le juge des faits sera porté plus facilement à conclure que cette conduite s'est poursuivie lors du débat judiciaire.  Je suis d'avis qu'il faut se méfier des automatismes en cette matière.  L'abus sur le fond ne conduit pas nécessairement à l'abus du droit d'ester en justice.  Règle générale et sauf circonstances exceptionnelles, seul ce dernier est susceptible d'être sanctionné par l'octroi de dommages (honoraires extrajudiciaires).  Comme je l'examinerai plus loin, les faits de l'espèce sont un parfait exemple de cet énoncé.

84.  J'ajoute que l'abus du droit d'ester en justice peut naître également au cours des procédures.  L'abuseur qui réalise son erreur et s'enferme dans sa malice pour poursuivre inutilement le débat judiciaire sera responsable du coût des honoraires extrajudiciaires encourus à compter de l'abus. »

(nos soulignements)

[177]     Dans deux autres décisions, la Cour d¹appel revient sur cette question :

« 67.    Reste la question des honoraires extrajudiciaires. Une autre tendance récente des plaideurs est de rechercher la condamnation de la partie adverse à les rembourser. Encore une fois, on semble souvent ignorer les principes applicables au Québec.

68.       En effet, la question de savoir si, hors les cas prévus aux articles 75.2, 501.5 et 524 C.p.c., un tribunal peut condamner un justiciable à payer plus que les honoraires prévus au tarif à l'avocat de son adversaire a reçu une réponse négative dans les arrêts Aubry c. Les Éditions Vice-Versa inc., [1998] 1 R.C.S. 591 et Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, J.E. 2002-937 (C.A.) et R.E.J.B. 02-31662 (C.A.). Il n'est pas opportun de revenir là-dessus, d'autant qu'en l'espèce l'intimé n'a pas abusé de ses droits avant que les appelants n'intentent leur action ou après. » [25] .

(nos soulignements)

[178]     Et [26]  :

« 47.    Reste la décision du juge de première instance de condamner l'appelant au remboursement des honoraires d'avocat que l'intimée CPD Saint-Jérôme a dû acquitter pour se défendre elle-même devant les tribunaux (51 180 $).   Le premier juge estime qu'il s'agit-là d'un «dommage direct» généré par l'action intentée par l'appelant mais il n'en dit pas plus sur les raisons qui l'amènent à une conclusion aussi exceptionnelle. »

(nos soulignements)

[179]     Ces enseignements de la Cour d¹appel n¹écartent pas le raisonnement tenu par le juge Sénécal dans l¹affaire Bélisle-Heurtel c. Tardif [27] , lorsqu¹il traite d¹une violation à un droit protégé par les chartes et surtout pas lorsqu¹il s¹agit d¹une violation délibérée :

« S¹agissant d¹un cas où des droits reconnus par la charte ont été violés, en l¹occurrence, le droit à l¹honneur, à la dignité et à la réputation (art. 4), il n¹y a pas lieu de s¹en tenir à la règle générale qui veut que la partie qui succombe assume les dépens suivant le tarif des honoraires judiciaires des avocats, sans plus.  Au contraire, en matière de charte, il est important que l¹on tienne compte des frais extrajudiciaires.  D¹une part, contrairement à ce qui prévaut sous l¹empire du Code civil du Québec et du Code de procédure civile, l¹article 49 de la charte accorde de larges pouvoirs de réparation au Tribunal.  D¹autre part, on ne peut ignorer les ressources financières déployées pour faire respecter un droit fondamental.  Ne pas en tenir compte conduirait à limiter les possibilités de faire respecter les droits enchâssés dans la charte et, ultimement, à diminuer leur valeur.  Il ne faut pas non plus décourager l¹exercice d¹un droit reconnu par la charte.  Il paraît essentiel, pour protéger réellement et efficacement les droits fondamentaux, que le tribunal puisse, selon les circonstances, prévoir une indemnisation pour les frais et honoraires extrajudiciaires encourus dans la défense d¹un droit fondamental. »

(nos soulignements)

[180]     Ici, le caractère persistant de la conduite d¹Arthur dans son rôle d¹animateur, malgré la répétition des mises en garde émanant du Conseil de presse, des poursuites judiciaires réglées hors cour et des jugements rendus, démontre une intention avérée de se soustraire à une obligation de prudence et de diligence envers autrui.

[181]     Les clauses pertinentes des conventions conclues en l¹espèce démontrent le caractère anticipé des poursuites à venir et l¹acceptation de tels comportements, puisqu¹Arthur, malgré sa performance antérieure, est absout à l¹avance par ses co-contractants qui acceptent d¹en assumer les conséquences.  Plus encore, Cogeco et Métromédia acceptent de payer une surprime auprès de leurs assureurs en responsabilité.

[182]     Le Tribunal est convaincu que la conduite d¹Arthur envers les requérants était conforme aux attentes des intimés dès le début de leur relation contractuelle et que ce faisant, il s¹agit d¹un cas clair d¹atteinte illicite et intentionnelle à un droit fondamental des requérants.  Dès lors, le processus judiciaire qui suit est une manifestation supplémentaire des dommages causés en faisant reposer sur la victime le fardeau de rectifier les faits et défendre ses droits et alors que les intimés n¹offrent aucune preuve en défense justifiant les aspect factuels des propos d¹Arthur.  D¹ailleurs, la récidive de septembre 2000 survient pendant et en raison du déroulement de ce processus alors que les requérants exercent un droit légitime d¹interroger la partie adverse après défense.

[183]     Ici, le coût des honoraires extrajudiciaires encourus [28] par la victime est une conséquence directe et voulue associée à la faute.  Il est essentiel de favoriser l¹accès des justiciables à la justice dans le cas d¹une violation à un droit protégé par les chartes notamment, par l¹octroi d¹une compensation pour les honoraires extrajudiciaires, lorsque les circonstances le justifient dans le cadre de l¹article 49.

[184]     La tentation pourrait être grande d¹inclure cette compensation au poste des dommages exemplaires qui seraient augmentés d¹autant.  Il est plus approprié de traiter distinctement de cette question à la lumière du critère de causalité retenu par la Cour d¹appel dans les décisions susdites.  Toutefois, lorsque des dommages exemplaires auront été accordés sur la base de l¹illicité et de l¹intentionnalité de l¹atteinte, ce lien, avec le caractère abusif des procédures qui suivront, devrait être facilité.  Tel est le cas ici.

[185]     D¹ailleurs, dans l¹affaire Les Éditions Vice Versa inc. c. Pascale Aubry [29] , la Cour suprême laisse ouverte la possibilité d¹accorder le remboursement des honoraires extrajudiciaires dans les cas d¹atteinte à un droit protégé par les Chartes :

« L¹intimé demande que les appelants soient condamnés non seulement aux dépens, mais également aux honoraires, ou dépens entre procureur et client.  Au Québec, l¹attribution des dépens est régie de façon exhaustive par le Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, et les divers tarifs.  Voir Kowarksy c. Procureur général du Québec, [1988] R.D.J. 339 (C.A.).  Ceux-ci reconnaissent au juge un pouvoir discrétionnaire en matière de dépens additionnels.

(Š)

Les tribunaux du Québec n¹ont pas interprété les articles ci-dessus comme autorisant l¹octroi de dépens additionnels pour sanctionner la mauvaise foi ou l¹abus de procédures, comme c¹est le cas dans les juridictions de common law ...

(Š)

Š  Nous tenons cependant à préciser que nous rejetons aussi la position de l¹appelante concernant la nécessité d¹inclure les dépens additionnels dans la réclamation de dommages et intérêts.  Cette approche serait tout à fait contraire aux dispositions de l¹art. 477 C.p.c.  Il faut aussi noter que, dans le cas présent, les dépens ne peuvent pas être considérés comme découlant directement de la violation de la Charte québécoise. »

(nos soulignements)

[186]     Ici, les honoraires extrajudiciaires sont directement reliés aux conséquences de la faute commise par les intimés dont l¹une des composantes est de transiger entre eux sur leurs obligations dans le règlement anticipé des condamnations à venir, de s¹en protéger par le paiement d¹une surprime aux assureurs et de payer ainsi un prix considéré raisonnable par les cocontractants pour bafouer un droit fondamental envers autrui en considération des profits envisagés.  Ils constituent en soi un poste de dommages qui doit être indemnisé.

7.4       La mitigation des dommages.

[187]     Les intimés plaident les exigences reliées à l¹obligation pour les requérants de mitiger le préjudice subi.  Ils leur reprochent un manque de transparence et de diligence dans la divulgation des informations en leur possession et qui auraient permis, si elles étaient connues, de rétablir rapidement leur réputation.  Elles auraient également empêché la récidive de septembre 2000.

[188]     Plus particulièrement, les intimés ciblent les réponses fournies par Johnson lors de son interrogatoire avant défense du 15 décembre 1998.  À cette occasion, Johnson aurait maintenu l¹ambiguïté et autorisé les conclusions factuelles énoncées sur les ondes par Arthur.  Les intimés citent les passages suivants [30]  :

« Q.     Est-ce qu¹à votre connaissance, monsieur Johnson, pendant que vous étiez président du Conseil du trésor, il y a eu des subventions qui ont été accordées au Centre de ski Stoneham ou aux entreprises qui pouvaient gérer ce centre de ski?

R.        S¹il y en a eu pendant Š Oui, absolument.

Q.        Est-ce que vous avez à quelle date?

R.        1988.  Peut-être en 1987 aussi.

Q.        Est-ce que c¹est à plus d¹une reprise?  Est-ce qu¹il y en a eu plusieurs subventions ou il y en a eu juste une?

R.        Oui ­ c¹est de commune renommée, c¹est public, c¹est dans les comptes publics, ça ­ deux ou trois à ma connaissance dans ces années-là.

Q.        Est-ce que c¹est exact également que, auparavant, vous vous étiez prononcé contre des subventions à des centres de ski?

R.        Oui, absolument.  Moi, j¹étais plutôt contre, oui, plutôt contre les subventions de toute nature, plutôt contre.

Q.        Alors on va considérer que c¹était une décision de votre gouvernement plutôt que de vous personnellement, d¹accorder des subventions à des centres de ski?

R.        Absolument.  Moi, j¹ai, dans ma carrière, essayé d¹en donner le moins possible, notamment aux centres de ski.  Mais ça, ça n¹empêche pas d¹autres collègues, dans leurs programmes qu¹ils administrent, de le faire, ou à des organismes gouvernementaux, qui relèvent de moi ou pas, de le faire aussi.

Q.        vous n¹avez pas d¹idée, je présume, de l¹ampleur des subventions qui auraient pu être accordées?

R.        Je dirais que c¹est plusieurs centaines de milliers de dollars Š

(Š)

Q.        Et est-ce que je comprends qu¹il y aurait eu également des subventions alors que vous étiez ministre de l¹Industrie et du Commerce?

R.        Oui.

Q.        Ça, donc, ce serait pour la période entre 1985 et 1988?

R.        Il faudrait que je regarde.  Il faudrait que je regarde, honnêtement.  Ils en ont eu en vertu de programmes que, éventuellement, moi, j¹administrais, ou d¹autres programmes auxquels je n¹avais rien à faire.  Ce qu¹il faut savoir aussi, c¹est qu¹il y a des niveaux d¹autorisation; un fonctionnaire peut avoir une discrétion de 10 000 $, la SDI jusqu¹à 50 ou 500 000 $, le cas échéant, puis ça ne remonte pas au ministre, le ministre ne le sait même pas.  Littéralement, il y a des programmes de cette nature-là dans le gouvernement.

(Š)

Q.        Vous avez dit tout à l¹heure que vous aviez un souvenir vague concernant des subventions qui auraient pu être attribuées au Centre de ski Stoneham pendant que vous étiez ministre Š

R.        Ce n¹est pas vague, non, ce n¹est pas vague du tout.  C¹est les montants précis et les dates précises.

Q.        Bien, c¹est ça, tout à fait.  Ce n¹est pas un reproche que je vous adressais, mais c¹est simplement pour dire que vous sembliez Š Mais vous sembliez dire que vous étiez peut-être en mesure de faire des vérifications, est-ce que c¹est exact?

R.        C¹est dans les comptes publics. »

[189]     Notons que ces reproches ne concernent pas Marcil.  Elle n¹était pas impliquée dans le processus d¹attribution de subventions à quiconque.  Rien n¹indique qu¹elle ait caché quelqu¹information que ce soit.

[190]     Quant à Johnson, les intimés tentent de lui imposer le fardeau qui était le leur de procéder à des vérifications sérieuses avant de commenter publiquement les décisions du ministre.  Cette obligation de vérification existait préalablement à l¹émission du 2 avril 1998.  Les intimés, en invoquant l¹obligation de la victime de mitiger ses dommages, tentent d¹imposer à celle-ci une obligation de justification à posteriori pour contrer les conséquences de la faute commise.

[191]     L¹argument des intimés ferait en sorte de leur permettre d¹attaquer la réputation d¹une personne sans vérification préalable et sérieuse des faits et d¹obliger la victime à intervenir publiquement pour se justifier et prouver le caractère injustifié de l¹attaque, et ce, afin que la réparation éventuelle soit moins coûteuse pour le fautif.

[192]     En l¹espèce, les requérants ont adopté une attitude mesurée et discrète qui a permis la mitigation des dommages en évitant la controverse publique et la dissémination des propos fautifs.

[193]     Lors de l¹interrogatoire, Johnson réfère aux comptes publics, explique les modalités d¹attribution des subventions, réitère son opposition à de telles subventions à un centre de ski et rappelle la distinction entre l¹attribution de subventions par son gouvernement et non par lui individuellement comme ministre.

[194]     Il se trompe sur les date auxquelles des subventions ont été accordées, mais non pas sur le fait qu¹il n¹a pas autorisé personnellement de telles subventions à Stoneham.  On ne lui demande pas de déposer les documents pertinents.

[195]     Rappelons les pièces R-129 a, b et c selon lesquelles des subventions ont été accordées le 30 juin 1988, le 17 janvier 1989 et en 1994.  À ce moment, Johnson n¹était plus ministre de l¹Industrie et du Commerce.  Il est exact que des subventions ont été accordées par son gouvernement, mais non par lui.

[196]     Dans son interrogatoire, il situe l¹octroi des subventions alors qu¹il est ministre de l¹industrie et du Commerce.  Dans les entrevues, Arthur mentionne des subventions qu¹il a autorisées alors qu¹il est président du Conseil du trésor, ce qui est faux.

[197]     L¹erreur de Johnson quant au moment de l¹octroi des subventions ne change rien à l¹obligation de vérification des intimés et paraît, ici, un prétexte peu sérieux pour éluder le paiement des dommages résultant de la faute commise à cet égard.

VIII.   LES OBJECTIONS

1.         Le témoignage de l¹experte Sutherland

[198]     La recevabilité de ce témoignage a donné lieu à une objection prise sous réserve [31] .

[199]     L¹objection conteste la recevabilité de ce témoignage parce qu¹il ne respecterait pas le caractère de nécessité et d¹utilité afin d¹éclairer le Tribunal sur des questions hors du domaine de connaissance du juge.

[200]     Sutherland a été déclarée experte en sciences politiques et en administration publique avec spécialité en imputabilité politique et administrative.

[201]     Il est exact que ce domaine d¹expertise recoupe des aspects faisant appel à des connaissances juridiques.  À cet égard, les avocats et le juge sont considérés des experts dans leur domaine de formation professionnelle.

[202]     Cependant, le point de vue des sciences politiques et administratives est susceptible d¹éclairer le Tribunal sur des considérations et analyses distinctes des seules questions légales créant une perspective propre à ce domaine du savoir.

[203]     En conséquence, le Tribunal rejette l¹objection formulée à l¹encontre de la recevabilité de ce témoignage.

[204]     Cela dit, le Tribunal a déjà exprimé l¹opinion que ce témoignage, malgré le mérite personnel de l¹experte et l¹intérêt suscité par les questions discutées, n¹apporte pas une aide tangible aux intimés puisque l¹enjeu dans ce litige n'est pas celui qu¹ils voudraient y voir.

2.         Pièces R-129 A, B, C

[205]     Ces pièces ont été déposées par le témoin Nathalie Simon.  Le Tribunal rejette les objections à leur égard [32] .  Ces pièces sont pertinentes à l¹établissement des faits afin d¹évaluer la véracité des propos d¹Arthur.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[206]     ACCUEILLE la requête des requérants ;

[207]     CONDAMNE les intimés, ANDRÉ ARTHUR, HENRI AUDET, LOUIS AUDET, ROBERT BONNEAU, ANDRÉ BROUSSEAU, JEAN-MARC CARPENTIER, MICHEL J. CARTER, COGECO RADIO-TÉLÉVISION INC., PIERRE GAGNÉ, GUY LABELLE, MAURICE MYRAND, YVES MAYRAND, MÉTROMÉDIA C.M.R. MONTRÉAL INC., conjointement et solidairement à payer à la requérante, Suzanne Marcil, la somme totale de 80 000 $ plus intérêts et l¹indemnité additionnelle prévue par la loi à compter de l¹assignation sur une somme de 30 000 $ et, à compter du présent jugement sur une somme de 50 000 $, pour l¹émission du 2 avril 1998 ;

[208]     CONDAMNE les intimés, ANDRÉ ARTHUR, HENRI AUDET, LOUIS AUDET, ROBERT BONNEAU, ANDRÉ BROUSSEAU, JEAN-MARC CARPENTIER, MICHEL J. CARTER, COGECO RADIO-TÉLÉVISION INC., PIERRE GAGNÉ, GUY LABELLE, MAURICE MYRAND, YVES MAYRAND, MÉTROMÉDIA C.M.R. MONTRÉAL INC., conjointement et solidairement à payer au requérant, Daniel Johnson, la somme totale de 130 000 $ plus intérêts et l¹indemnité additionnelle prévue par la loi à compter de l¹assignation sur une somme de 30 000 $ et, à compter du présent jugement sur une somme de 100 000 $, pour l¹émission du 2 avril 1998 ;

[209]     CONDAMNE les intimés, , ANDRÉ ARTHUR, HENRI AUDET, LOUIS AUDET, , ROBERT BONNEAU, ANDRÉ BROUSSEAU, JEAN-MARC CARPENTIER, MICHEL J. CARTER, COGECO RADIO-TÉLÉVISION INC., PIERRE GAGNÉ, MAURICE MYRAND, YVES MAYRAND, conjointement et solidairement à payer à la requérante, Suzanne Marcil, la somme totale de 80 000 $ plus intérêts et l¹indemnité additionnelle prévue par la loi à compter de l¹assignation sur une somme de 30 000 $ et, à compter du présent jugement sur une somme de 50 000 $, pour l¹émission du 6 septembre 2000 ;

[210]     CONDAMNE les intimés, , ANDRÉ ARTHUR, HENRI AUDET, LOUIS AUDET, , ROBERT BONNEAU, ANDRÉ BROUSSEAU, JEAN-MARC CARPENTIER, MICHEL J. CARTER, COGECO RADIO-TÉLÉVISION INC., PIERRE GAGNÉ, MAURICE MYRAND, YVES MAYRAND, conjointement et solidairement à payer au requérant, Daniel Johnson, la somme totale de 130 000 $ plus intérêts et l¹indemnité additionnelle prévue par la loi à compter de l¹assignation sur une somme de 30 000 $ et, à compter du présent jugement sur une somme de 100 000 $, pour l¹émission du 6 septembre 2000 ;

[211]     CONDAMNE les intimés à payer aux requérants la somme de 114 000 $ afin de compenser les honoraires extrajudiciaires versés à leurs procureurs dans le cadre du présent dossier, le tout portant intérêts au taux légal plus l¹indemnité additionnelle prévue par la loi à compter du présent jugement, et ce, en conformité avec les termes de l¹entente sous seing privé relative à la conclusion réamendée concernant les honoraires extrajudiciaires intervenue entre les parties le 10 avril 2002 [33] .

 

[212]     LE TOUT AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

CAROLE JULIEN, J.C.S.

 

Me Pierre Fournier

Me Mylène Éthier

Fournier & Associés

Avocats des requérants

 

Me Marc-André Blanchard

Me Thierry Carrière

Gowling, Lafleur, Henderson

Avocats des intimés (André Arthur, Henri Audet, Louis Audet, Robert Bonneau, André Brousseau, Jean-Marc Carpentier, Michel J. Carter, Cogeco Radio Télévision inc., Guy Labelle, Pierre Gagné, Maurice Myrand, Yves Mayrand)

 

Me Jacques Béland

Me Marcel Lacoursière

Béland, Lacoursière

Avocats des intimés (Pierre Arcand, Pierre Béland, Métromédia C.M.R. Montréal inc.)

 

Me Errol Payne

Beauvais, Truchon & Associés

Avocat des intimés (Groupe Unimédia inc. et Claude Vaillancourt)

 

Date d¹audience :

12 avril 2002

 

 

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