Par Le National
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Les jeunes Téhéranais inquiets d'un retour à l'ordre moral d'antan

TEHERAN, 19 août (AFP) - Les jeunes Téhéranais s'inquiètent de la recrudescence de la répression des comportements jugés anti-islamiques et s'interrogent sur la capacité du président Mohammad Khatami d'éviter, malgré sa réélection triomphale, un retour à l'ordre moral d'avant 1997.

"C'est un comble. Nous avons voté Khatami en 1997, et nous venons de recommencer, pleins d'espoir, il y a quelques mois. Il entame son deuxième mandat, et les choses s'aggravent", s'indigne Mahmoud dimanche, un apprenti de 20 ans qui préfère taire son nom de famille.

La critique faite par le président réformateur le matin même de la "répression" contre les jeunes, dont beaucoup ont été fouettés publiquement récemment, ne le convainc guère.

Le jeune apprenti vient d'assister rue Vanak, artère commerciale de Téhéran, à une descente de policiers venus s'assurer du retrait des vitrines de tout article indécent, comme les mannequins et les sous-vêtements féminins.

De telles opérations coups de poing ont été nombreuses, surtout dans le nord huppé de la ville, où certaines galeries n'ont rien à envier à celles de villes occidentales.

"Rien à craindre, nous avons retiré tout ce qu'ils interdisent. Mais quel mauvais coup pour le commerce", se plaint le propriétaire d'un magasin de prêt-à-porter.

Les commerçants ont été prévenus par un long communiqué diffusé il y a quelques jours: d'ici dimanche, il fallait enlever des vitrines tout ce qui peut suggérer la nudité de la femme.

Il fallait aussi bannir chiens, singes et petits cochons, --pourtant inexistants dans ce pays islamique--, posters d'acteurs et de chanteurs étrangers, toute musique, même iranienne, qui soit audible de l'extérieur des magasins et toute évocation de l'homosexualité et de la musique rap.

La longue énumération rappelait l'interdiction, tombée parfois en désuétude, de travailler en cravate, signe de "perversion" occidentale pour les conservateurs.

Dans un restaurant, des policiers ont pris des photos, autant de "pièces à conviction" pour un foulard mal ajusté ou une attitude jugée "indécente". "Il n'y a eu aucun problème. Mais c'est la première visite de cette sorte depuis deux ans", relève le patron avec un sourire.

Restaurants, pizzerias et fast-food de Téhéran font salle comble tous les soirs, et les jeunes ont pris l'habitude de s'y rencontrer très librement.

Mahtab, 19 ans, rencontrée avenue Pasdaran, un autre quartier commerçant, lui aussi "visité" par la police est effrayée. "Hier soir j'ai vu une scène pire que celles de ce matin. Des jeunes gens, étaient ensemble, et les jeunes filles, jugées trop maquillées, ont été prises à partie. Ce n'est pas ce que nous attendions en plébiscitant Khatami", dit-elle.

"C'est le retour à des règles d'antan que nous croyions oubliées. Ce n'est pas seulement le problème des lieux publics, mais des sorties entre jeunes. Tout devient prétexte à répression, alors qu'il y avait un assouplissement depuis la première élection de Khatami (en 1997)", explique Ali, 31 ans, étudiant en cinéma, qui préfère aussi taire son nom.

"Nous avons été naïfs. Nous avions cru qu'en votant Khatami, c'était la fin des conservateurs. Mais Khatami n'a peut-être pas la force de se faire entendre. Il critique les interdictions de journaux, la répression, défend les jeunes. Mais ce n'est que des paroles. Il n'a pas le vrai pouvoir", estime-t-il.

Professeur de sociologie politique, Chahdod Rahmani-Pour n'est pas de cet avis. "C'est la première fois, non seulement dans la République islamique, mais dans l'histoire de l'Iran, qu'il y a, dans la société mais aussi dans les médias, un vrai débat, sérieux, ouvert, et nécessaire sur de telles questions. Des gens ont publiquement critiqué les flagellations", explique-t-il.