Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Irkoutsk, une ville sibérienne ravagée par le SIDA

IRKOUTSK (Russie), 14 déc (AFP) - Jadis lieu d'exil sibérien pour les prisonniers politiques des tsars, Irkoutsk est aujourd'hui l'une des régions russes les plus touchées par le virus VIH du sida qui se propage principalement par des seringues contaminées.

Macha, une héroïnomane de 19 ans, a appris il y a une semaine qu'elle était séropositive. Elle craint maintenant d'avoir contaminé son ami, un soldat, au cours d'une permission l'été dernier.

"Nous avons passé des moments merveilleux, j'avais même arrêté de me piquer. Maintenant, je ne sais plus quoi faire. Je l'ai peut-être contaminé", dit Macha, désespérée.

"Je ne peux pas lui écrire pour lui expliquer ma situation. Qui sait ce qu'il peut faire ensuite", ajoute-t-elle, dans l'unique clinique antisida d'Irkoutsk.

Chargés du dépistage de la maladie parmi les 3 millions d'habitants d'Irkoutsk, le médecin Ioulia Rokina et son équipe de 36 personnes sont débordés par l'ampleur de la tâche.

"Nous n'avons pas les ressources nécessaires. Les autorités ne semblent pas se rendre compte que le problème a pris une ampleur dramatique", dit Mme Rokina.

Au 1er janvier 1999, 37 séropositifs avaient été recensés dans la région d'Irkoutsk, contre plus de 7.500 cas vingt-trois mois plus tard, soit une augmentation record de 10.000%.

Or, les statistiques officielles sont environ six fois inférieures au nombre réel de séropositifs à Irkoutsk, composés à 95% d'héroïnomanes, selon le Dr Rokina.

Près d'un tiers des jeunes âgés de 15 à 25 ans consommant régulièrement de la drogue, Irkoutsk a le triste privilège de figurer en troisième position des régions et villes russes les plus touchées par la maladie, juste derrière la région de Moscou et la capitale russe.

Si l'épidémie est pour le moment circonscrite aux drogués, la crainte est grande de voir la maladie se propager au reste de la population par le biais de relations sexuelles non protégées. Le préservatif, dont les vertus sont vantées en Occident, reste un moyen de protection encore peu utilisé en Russie.

"Nous devons apprendre à faire de la prévention. C'est une question vitale!", s'exclame la responsable du comité pour la santé de la ville d'Irkoutsk, Lioudmila Kitova.

En dépit de cet aveu, Mme Kitova n'a pas l'intention de retirer des fonds accordés au dépistage pour les transférer à la prévention, au grand dam des responsables de l'ONUSIDA.

"Nous avons des moyens très limités. Nous sommes prêts à travailler avec des organisations internationales mais nous avons besoin que ces organisations nous aident beaucoup financièrement", explique Mme Kitova.

Des campagnes de prévention ont pu être lancées dans 17 régions russes par les responsables du programme ONUSIDA, à l'exception notable de celle d'Irkoutsk.

"Beaucoup d'argent est dépensé en vain dans le dépistage. On doit investir plus de fonds dans la prévention", notamment pour fournir des seringues et des préservatifs aux jeunes, affirme la coordonnatrice russe du programme ONUSIDA, Tatiana Choumilina.

Mme Choumilina en veut pour preuve les quelque 20 millions de tests effectués annuellement en Russie qui n'ont servi à recenser que 70.000 séropositifs dans ce pays.

Selon la responsable de l'ONU, les autorités russes sont en outre peu enclines à aider les séropositifs, perçus comme des délinquants ou des drogués. Quant à la population, elle éprouve envers eux une certaine hostilité.

Selon le médecin Rokina, "il est très difficile de sensibiliser la population et même l'administration régionale au problème du SIDA. Vous devez faire comprendre aux gens que la tâche première ne réside pas dans les traitements mais dans la prévention".