Par Le National
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Le harcèlement moral, un terrible fléau qu'il faut combattre...

Par: Alain Noury http://alain.noury.free.fr

Le harcèlement moral est un sujet dont on a beaucoup parlé lors de la sortie du livre de Marie-France Hirigoyen (Le Harcèlement moral, Editions Syros). Beaucoup, mais parfois à tort et à travers, ce qui a conduit M.F à publier un nouveau livre: "Harcèlement moral, démêler le vrai du faux". Il est vrai que pas mal de monde s'était mis à employer ces termes pour qualifier des situations qui n'ont aucun rapport, telles des revendications salariales non satisfaites ou profiter du courant porteur pour se faire passer pour une victime. Au mois d'avril 2001, une patronne, dans la revue "L'entreprise" qualifiait de harcèlement moral les comptes qu'elle avait à rendre aux actionnaires, au fisc, aux salariés, etc.. alors que cela fait partie des tâches normales d'un patron et justifie partiellement un salaire généralement plus élevé que les autres.

M.F Hirigoyen n'a pas été la première à parler du harcèlement. On peut citer, entre-autres, les études de Leymann en Suède, sur lesquelles elle s'appuie. Mais, son livre a permis à de nombreux Français de comprendre que la situation qu'ils vivaient n'était pas forcément due à une erreur de comportement relationnelle de leur part, ce que tente souvent de faire croire les harceleurs.

Il convient  de définir préalablement ce qu'est exactement le harcèlement moral car ce dont on entend beaucoup parler est du harcèlement professionnel. Le harcèlement professionnel est du harcèlement moral, mais il n'est qu'une des formes. Visiblement, seul le harcèlement professionnel hiérarchique a trouvé un écho faisant générer une modification des lois et se créer de nombreuses associations de lutte. Ceux qui ont connu les débuts de ce site savent que je pressentais une loi équivalente de celle contre le harcèlement sexuel, c'est à dire très restrictive.

Le harcèlement moral peut en effet prendre plusieurs formes: celle du racisme celle du sexisme, celle du harcèlement sexuel, celle du harcèlement pour délit de ne pas avoir la même opinion que les personnes de votre environnement, celle de l'abus de pouvoir de parents sur leurs enfants, etc... On trouve aussi le terme de mobbing (équivalent en langue anglaise). J'y reviendrai notamment pour aborder les causes du harcèlement moral.

Harcèlement moral, c'est suffisamment explicite dans les termes. Harcèlement signifie répétition de longue durée et moral signifie que l'on essaie de viser l'adversaire au moral par des procédés psychologiques. Donc, une engueulade ponctuelle de votre chef n'est pas du harcèlement moral. Dans le harcèlement moral, une (ou des) personne(s) tentent de vous déstabiliser moralement jour après jour, semaine après semaine.

En simplifiant beaucoup, les formes principales de harcèlement sont: le harcèlement descendant, le harcèlement ascendant et le harcèlement horizontal. Il existe une forme combinée qui cumule deux des formes principales. Le harcèlement descendant existe quand une personne profite d'un pouvoir hiérarchique pour harceler celui (ou ceux) dont il a la responsabilité. Cela peut être un chef ou un patron (harcèlement professionnel) mais aussi un parent envers son enfant (harcèlement privé). Le harcèlement ascendant existe quand un groupe de personnes se liguent contre une autre qui a un pouvoir hiérarchique sur elle. Enfin, le harcèlement horizontal existe lorsqu'une victime fait les frais du harcèlement d'une personne ou d'un groupe de personnes de même niveau que lui.

. Les études de Leymann en Suède répartissent le harcèlement de cette manière: 1. Mobbing horizontal    44%

2. Mobbing descendant 37%

3. Mobbing combiné     10%

4. Mobbing ascendant     9%

Preuve que le livre de M.F Hirigoyen a servi de déclencheur, des sites de plus en plus nombreux, consacrés à ce sujet, ont vu le jour sur l'Internet. La plupart des associations sont désormais citées dans les livres les plus récents consacrés à ce sujet. Si vous êtes victime d'un harcèlement professionnel, je vous conseille d'aller voir sur les sites dont vous trouverez les liens (A.C.H.P et H.M.S) en cliquant sur le bouton liens. Spécialisées dans la forme professionnelle du harcèlement, ceux-ci possèdent une structure et une documentation qui leur permettra de vous aider. Pour les formes de harcèlement concernant les enfants (que vous en soyez la victime ou même le témoin, je vous conseille de contacter l'association Poil de Carotte (également dans les liens). Quant à ce site, il n'est pas cité dans les livres, mais il l'est dans les liens de ces associations, parce qu'il a fait partie des pionniers en ce domaine.

La définition que donne M.F Hirigoyen du harcèlement moral au travail est:" il faut entendre toute conduite abusive se manifestant par des comportements, des paroles, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l'intégrité physique ou psychique d'une personne, mettre en péril l'emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail."   

A l'origine d'un phénomène de harcèlement, il y a toujours un minimum de deux personnes: le harceleur (appelé pervers narcissique par M.F Hirigoyen, toxique chez Lillian Glass, manipulateur chez Isabelle Nazarre-Aga, vampire psychoaffectif par D.Rhodes et K.Rhodes) et la victime. Notre société engendre beaucoup de conflits et que la situation dégénère vers le harcèlement ou reste un simple conflit dépend des deux protagonistes et du terrain.

Contrairement à ce que j'ai pu lire sur certains sites, les personnalités de pervers et de victimes ne sont pas si floues que cela. Bien qu'il puisse nous arriver à tous d'être tour à tour bourreau ou victime, notre personnalité nous pousse majoritairement vers un rôle plutôt que vers l'autre. De plus, une personne capable d'empathie (faculté de se mettre à la place de l'autre) ne poursuivra pas ses attaques dès qu'elle constatera le mal qu'elle fait à son prochain.. Un pervers qui harcèle quelqu'un est une personne qui est généralement très satisfaite d'elle-même et se remet très difficilement en cause. 

Les formes de harcèlement définies plus haut peuvent avoir lieu sur un terrain privé ou professionnel. Exemples non exhaustifs:

* le harcèlement descendant professionnel: vous déplaisez à votre patron ou à votre chef et il se sert de moyens douteux pour vous contraindre à partir. Scénarios possibles: un patron qui veut faire partir un subordonné sans avoir à lui verser les indemnités auxquels il pourrait prétendre, un chef qui croit que vous êtes une menace pour le poste qu'il occupe.

* le harcèlement ascendant professionnel: un de vos subalternes pense qu'il serait mieux à votre place, des subalternes se liguant contre un supérieur parce que celui-ci ne veut pas accepter les tolérances établies par un chef précédent.

* le harcèlement horizontal professionnel: vous déplaisez à un de vos collègues. Soit vous êtes une menace pour son poste, soit il est jaloux du vôtre, de votre travail ou de votre salaire, ou il est intolérant et ne supporte pas vos idées, par trop différentes des siennes.

* le harcèlement descendant privé: votre mère ou votre père se sert de vous comme défouloir. Scénario de répétition dû à sa propre enfance ou jalousie de possibilités qu'il n'a pas eues. L'inverse peut arriver aussi si le père ou la mère deviennent physiquement ou financièrement dépendants de leur enfant. Descendant est utilisé dans le sens où celui qui harcèle a la responsabilité de l'autre, donc un pouvoir sur lui.

Désormais, la forme descendante professionnelle est punie par la loi. Mais, il faut savoir aussi que vouloir faire appliquer la loi, à supposer que l'on rentre dans les rares cas qu'elle est censée couvrir suppose:

1. que le gain apporté par la loi sera supérieur aux ennuis que l'on ne manquera pas de s'attirer.

2. qu'il faudra apporter des preuves (alors que les techniques de harcèlement psychologique sont justement la violence insupportable de petits faits qui, pris isolément paraissent dérisoires) ou des témoins (encore plus difficile dans une époque où on regarde ailleurs quand quelqu'un se fait agresser dans un lieu public).

Il faut bien savoir distinguer le véritable harcèlement moral d'une attaque passagère dans le temps. Une agression verbale peut découler de l'énervement d'un individu, bien que cette attaque vous permettra de savoir jusqu'où cette personne peut aller et ce qu'elle pense de vous. Le harcèlement moral est différent d'une simple friction entre individus parce qu'il est parfaitement reconnaissable par la durée, les moyens utilisés et les risques encourus par la victime.

1. La durée Il est difficile de fixer un seuil au delà duquel le harcèlement deviendrait effectif, mais un problème relationnel allant au-delà d'un ou deux mois est probablement un cas de harcèlement. Heinz Leymann parle d'une fréquence minimale d'une fois par semaine et d'une durée supérieure à 6 mois. Le terme harcèlement évoque déjà, à lui tout seul, l'idée de répétition.

2. Les moyens utilisés Ils sont aussi nombreux que le permet l'imagination du pervers qui harcèle une victime. Mais, dans les grandes lignes, on peut citer:

1. Déconsidérer la victime Le "jeu" consiste à déformer tout ce que dit ou fait la victime de façon à la faire apparaître négative, aussi bien à ses yeux qu'aux yeux des autres. Se moquer de ses petits travers ou défauts (supposés ou réels). Dénigrer son travail et/ou ses capacités professionnelles. Essayer de l'attaquer à travers sa vie privée (famille, réputation), et/ou un défaut physique pour le déstabiliser encore plus. Tout, absolument tout, peut être utilisé pour ridiculiser la victime. L'esprit humain fonctionne de telle sorte que l'on se sent tout autant blessé par des paroles toxiques ayant trait à des vérités qu'à des mensonges, plus par des mensonges car s'y ajoute un sentiment d'injustice et de déni de sa personnalité. C'est pourquoi on ne s'étonnera pas que le pervers lance de fausses rumeurs à l'encontre de la victime.  Les rumeurs sont presque un sport national et elles ont l'avantage que personne ne les assume, mais que quasiment tout le monde les répète. 

2. Isoler la victime On n'adresse plus la parole à la victime et on encourage l'entourage à pratiquer de la même manière. Une autre variante consistant à déclencher une quarantaine que l'on ne respecte pas soi-même, au cas où les choses tourneraient mal. Le processus prend un certain temps. Le pervers prendra le temps, jour après jour, d'enfoncer un peu plus la victime aux yeux de tout le monde. Après quelques semaines de la phase "déconsidération", il n'est pas rare de trouver quelques personnes qui veuillent suivre le mouvement, ne serait-ce que pour s'intégrer à un groupe (l'effet synchronisation en P.N.L). Plutôt que de se faire agresser, il est fort probable que la victime choisira aussi de s'isoler elle-même, ce qui renforcera l'effet de celui provoqué par le pervers car celui qui choisit de s'extraire d'un groupe est fort mal perçu et devient rapidement le souffre-douleur du groupe. Le pervers aura créé une nouvelle brèche par laquelle il s'engouffrera en faisant croire que la victime n'est pas sociable, qu'elle méprise les autres, etc..  L'isolement peut aussi être matériel: on supprime à la victime son téléphone, sa secrétaire, son bureau. On ne lui donne plus de travail et on ne le convie plus aux réunions.

3. Empêcher la victime de s'exprimer La plupart du temps, le pervers ne parviendrait pas à ses fins si la victime pouvait se défendre. Il faut donc empêcher la victime de parler, de façon à continuer à bénéficier du soutien passif (quelquefois actif) des autres que l'on a réussit à mettre dans sa poche. Tout se joue donc soit par derrière, à l'insu de la victime ou suffisamment loin pour que cela fasse mal à la victime tout en gardant la possibilité de jouer la carte du " tu as mal interprété ce que l'on disait ", soit en sous-entendus que toute l'assemblée comprend mais contre lesquels il est tout aussi impossible de se défendre. Le pervers ne commencera à exprimer les choses clairement que lorsqu'il saura que l'assemblée lui est favorable.

4. Discréditer la victime dans son travail Pour un chef, cela peut être de contraindre la victime à des tâches nettement inférieures ou nettement supérieures à ses compétences. Pour un collègue, sous-entendre que la personne n'a pas les compétences requises pour ce qu'on lui confie ou passe son temps de travail à des occupations personnelles. Exemple: une femme nommée à un poste de responsabilité, soupçonnée d'avoir couché avec son chef pour l'avoir obtenu.

5. Si la victime se défend, l'accuser de paranoïa Comme l'exprimait Sarah Carpentier dans un article de l'Express, tout est reproché derrière les plantes vertes et les fausses cloisons. Donc il est facile de faire croire que la victime est paranoïaque car celle-ci ne dispose pas de preuves tangibles puisque généralement tout se passe oralement.

Les risques encourus: Pour la victime, ils sont nombreux et dépendent de sa force de caractère. Cela va d'une mauvaise réputation jusqu'au suicide pour les cas les plus graves, en passant par une certaine destruction psychologique dont elle ne se remettra jamais, même après le départ du (ou des pervers). Des cas sont relatés au Canada où les victimes ont "pétés les plombs" et ont assassiné leur famille ou leur bourreau avant de se donner la mort. La victime peut également devenir phobique sociale (voir à ce sujet l'excellent site de Christine Couderc: http://www.alaphobie.com/ ). En effet, voir des personnes d'une intelligence normale, voire supérieure, aller dans le sens du pervers, donc se faire manipuler comme des simples d'esprit, cela ne porte pas réellement à avoir confiance dans l'humanité. Une mauvaise réputation, cela peutparaître anodin, mais cela se transmet facilement au sein d'un petit village ou d'une entreprise, même lorsque l'on change de service. Vous n'êtes plus jugé par rapport à vous-mêmes, mais préalablement par rapport à votre réputation et cela permet à un autre éventuel bourreau de reprendre le travail là où il avait été laissé.

Pour le pervers, c'était l'impunité totale. La loi protége désormais les victimes de harcèlement hiérarchique. Il n'existe par contre pas de lois si vous êtes harcelé(e) par un ou des collègues ou par des subalternes. Pas plus qu'il n'en existe contre des parents abusant de leur autorité. Lillian Glass dit que le suicide adolescent est en hausse partout dans le monde; les pressions exercées par les pairs et la faiblesse de l'estime de soi sont des facteurs importants de cette hausse. On ne s'étonnera pas que beaucoup de victimes adultes aient été l'objet d'une éducation trop sévère et/ou trop injuste, qui a cassé leur confiance en eux au moment où ils en avaient le plus besoin.

Je pense que la seule solution réside dans l'éducation des générations futures, comme ça été le cas pour les notions d'égalité entre hommes et femmes il y a peu de temps. Pour l'immédiat, si ceux qui ont une responsabilité hiérarchique quelconque intervenaient dès l'ébauche d'un conflit, l'atmosphère serait plus respirable. Au lieu de cela, on constate souvent que la hiérarchie va dans le sens soit des plus nombreux, soit des plus drôles, sans s'occuper le moins du monde de justice. Il arrive aussi qu'elle fasse semblant de ne rien voir, ce qui lui évite d'avoir à régler le problème. On se retrouve dans la même situation que dans le métro ou dans le train quand une personne se fait agresser ou une femme violer et que tout le monde fait semblant de n'avoir rien vu, de peur de prendre un mauvais coup. C'est en niant sa responsabilité collective que les situations peuvent dégénérer. Les conducteurs des trains qui emmenaient les juifs dans les camps de concentration pouvaient dire qu'ils ne faisaient que leur travail : conduire un train. Même chose pour les fonctionnaires mettant un coup de tampon sur les ordres d'arrestation, etc.. Mais, au bout du compte, cela s'est soldé par des millions de morts. Tout le monde connaît cette anecdote: "Quand on est venu arrêter le voisin qui était juif, je n'ai pas protesté car je ne suis pas juif. Quand on est venu arrêter un autre voisin qui était homosexuel, je n'ai pas protesté parce que je ne suis pas homosexuel. Quand on est venu arrêter le voisin communiste, je n'ai pas protesté car je ne suis pas communiste...... Quand on est venu m'arrêter, il n'y avait plus personne pour protester".

Comme l'écrit Daniel MERMET dans "Là bas si j'y suis" de: "L'inquiétant n'est pas tant le crime d'une minorité que l'indifférence de la majorité".

La semaine prochaine, les victimes!