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Le National

La guerre des Games aura bien lieu
En juillet prochain et à une semaine d’intervalle, le continent nord-américain accueillera deux manifestations sportives concurrentes : les 7e Gay Games à Chicago et les 1ers Outgames à Montréal. La guerre, née d’un désaccord sur l’ampleur et le contrôle financier des jeux gays, menace de se propager à l’Europe.


Déficits à répétition
Organisés à San Francisco en 1982 puis 1986, les premiers Gay Games voulus par le décathlonien olympique Tom Waddell atteignent péniblement les 3,500 participants. Ce n’est qu’avec la 3e édition qu’ils passent au braquet supérieur, accueillent 9,500 athlètes… et connaissent un premier déficit d’environ CAN$ 100,000. Les jeux suivants creusent le trou : New York accuse $700,000 de pertes, Amsterdam 3,5 millions de florins et Sydney AU$ 2 millions. Consciente de ces dérives, la Fédération des Gay Games (FGG) menace ainsi d’annuler sine die les jeux de 1998 et 2002, avant même leur faillite. «L`analyse de la FGG sur les déficits chroniques est tronquée quant à nous. Des jeux plus petits n`attirent pas les commanditaires. Les déficits étaient aussi dus à la mauvaise gestion de la fédération», nous assure aujourd’hui Jean-Yves Duthel, porte-parole des Outgames «dissidents» de Montréal, un terme qu’il récuse. Son homologue des Gay Games «officiels» de Chicago Kevin Boyer préfère mettre en cause le manque de sponsors et les dépenses souvent inconsidérées des festivals culturels : «Ces événements, qui ne sont pas le cœur des Gay Games, doivent être montés par des institutions qui ont une expertise dans ce domaine», plaide t-il. Et c’est bien de ces désaccords sur une vision globale des jeux, leur ampleur et, surtout, le contrôle financier qui en découle qu’est née la guerre des Games.


Montréal, premier choix
L’ironie de l’histoire est qu’avant d’être dissidente, Montréal fut élue en bonne et due forme ville-hôte officielle des Gay Games 2006 sur la base d’un coûteux projet de CAN $ 20 millions prévoyant jusqu’à 24.000 participants. Cependant, au fur et à mesure de ses pourparlers avec la fédération, le comité québécois est contraint de revoir ses ambitions à la baisse en rognant tout d’abord 20% de son budget puis en réduisant le nombre d’athlètes à 16,000. L’exigence de baisser à nouveau le chiffre à 12,000 et l’intransigeance de la FGG sur le contrôle financier des jeux est la goutte qui fait déborder le vase : «Il y a des principes au-delà desquels il nous est impossible d’aller sans mettre en danger les jeux eux-mêmes ainsi que leur viabilité financière», déclare alors Louise Roy, directrice de Montréal 2006. Et le temps passe… Plus de deux ans se sont écoulés depuis la désignation de Montréal sans que les parties n’aient encore signé le moindre accord. Elles ne sont même plus en état de se parler, sauf par téléphone pour convenir d’une rencontre de la dernière chance. «Nous espérons toujours que la FGG et Montréal parviendront à s’entendre et que nous puissions l’annoncer», affirme Louise Roy.
Poker menteur
Excès d’optimisme ou hypocrisie ? Toujours est-il qu’en novembre 2003, Montréal dispose encore de quelques atouts. La carotte est le soutien unanime des institutions québécoises qui ont été séduites par des promesses de retombées touristiques de l’ordre de 108 millions d’euros (et dont la fédération bénéficiera en royalties à hauteur de 466.000). Le bâton est le chantage de faire les jeux coûte que coûte «quels que soient les résultats des négociations avec la FGG». Le joker, ce sont 675 e-mails (!) de demandes de soutien adressés sous forme de «sondage» aux équipes sportives G&L. La fédération, vraisemblablement persuadée que Montréal bluffe, fait des concessions mais maintient ses exigences statutaires de contrôle financier. Elle pose son propre ultimatum : un accord ou bye-bye Montréal. Le 10 novembre 2003, le talent du nageur olympique Mark Tewksbury, vice-président du comité québécois, ne suffit pas. Montréal se jète à l’eau et boit finalement la tasse en perdant et les jeux 2006 et son droit de vote.
Dissidents contre officiels
Désavoués et sur la défensive, les dissidents envisagent aussitôt de poursuivre la fédération en justice, de même que toute ville qui organiserait des jeux officiels en 2006. La liste noire est connue : «Lorsque Montréal est expulsée, le vote a été autant le fait de Paris, de Cologne, de Londres que des USA», nous confiait il y a encore quelques jours Jean-Yves Duthel. A l’époque, ces menaces n’émeuvent pas outre mesure Jack Stafford, porte-parole de la FGG, qui «trouve curieux que Montréal soit si effrayée par la fédération au point de vouloir lui faire un procès». D’ailleurs, le comité québécois change rapidement de stratégie. Au-delà de la blitzkrieg meurtrière pour les deux parties qui aura lieu en juillet 2006, Montréal opte pour un endiguement de la FGG en suscitant d’une part la création d’une fédération concurrente (la GLISA) et à moyen terme en exportant le conflit sur le Vieux continent (lire encadré).


Chicago remporte le 2e round

De son côté, la FGG, qui fonctionne uniquement grâce aux redevances que lui versent les villes-hôtes, doit d’urgence trouver de nouveaux candidats. Ils sont deux : Los Angeles et Chicago. Cette dernière remporte le second vote avec un budget 2 fois moindre et très bas de $6.2 millions mais 2,000 sportifs de plus que L.A.: «Nous sommes arrivés à la conclusion qu’un événement qui a échoué à gagner de l’argent depuis 1986 doit commencer avec un budget-plancher serré et un staff réduit qui puisse rassurer sur le fait qu’une manifestation à succès peut être viable financièrement». Chicago s’engage en outre à verser l’équivalent de $400,000 de royalties et met à contribution les athlètes en fixant les frais d’inscription les plus chers de l’histoire des Games (de $210 à $260). «Je pense que les gens souhaiteraient se rendre aux deux», déclare Christian West de Team New York. Mais ni Chicago, ni Montréal, ne pensent que beaucoup d’athlètes soient en mesure d’assumer un doublé estimé à plus de $2,500 par tête en frais personnels.


Partage du territoire
Selon notre confrère The Advocate, la tendance est donc à une présence américaine massive aux Gay Games et une participation très européenne aux Outgames. Un sondage mené auprès de 636 athlètes européens par les Eurogames montrerait que 51% auraient déjà choisi Montréal, 7% Chicago et 7% espèreraient se rendre aux deux manifestations. Cependant, à 200 jours des jeux et sur les 28,000 participants attendus (12,000 pour Chicago et 16,000 pour Montréal), seule une moitié s’est d’ores et déjà inscrite. Officiellement, les porte-parole des deux villes s’accordent à dire que le succès dépend des sportifs eux-mêmes. «La décision de se rendre ici ou là doit être prise par les athlètes», affirme donc Ole Udsholt de la GLISA. Ces bonnes paroles n’empêchent pas de draguer les indécis en coulisses. A l’approche de Noël et sur chaque inscription, Chicago promettait ainsi $50 de rabais et Montréal jusqu’à 40% de réduction.


Un gagnant ou deux perdants ?
La guerre des Games entretient le suspense sur ses coups de théâtre futurs. Alors que certains misent toujours sur la défection à la dernière minute de l’un des combattants, on apprend que la bière Pride réclame CAN $ 1.1 millions de dommages et intérêts aux jeux de Montréal et à 2 médias. Les premiers ont mis en garde contre le «marketing trompeur» de Pride (qui s’est engagée à reverser une partie de ses ventes au sport gay) tandis que les seconds écrivaient qu’elle avait «une saveur d’arnaque». Le plainte, si elle est jugée recevable, pourrait en outre être l’occasion, affirme le mensuel québécois Le National, de révéler «le dossier criminel d'un administrateur des Outgames»… Nul doute que Tom Waddell aura d’ici juillet l’occasion se retourner encore plusieurs fois dans sa tombe! P. Rogel


Europe : la course aux jeux a commencé
Même les offres de bons offices des maires Ken Livingstone et Klaus Wowereit sont restées lettre morte : il est encore trop tôt pour espérer réunir à la même table, à Londres ou à Berlin, la FGG et sa concurrente la GLISA. «Nous sommes ouverts à reprendre n’importe qui dans la famille», affirme pourtant Roberto Mantaci, un co-president de la FGG basé à Paris. La GLISA rétorque que sa propre invitation a longtemps été ignorée. Bref, chacun attend que l’autre fasse le premier pas… ou plutôt que l’autre se plante. Et pour preuve que la tension entre les deux parties n’est pas près de s’apaiser, il a été annoncé que des Outgames seraient organisés tous les 3 ans, soit plus fréquemment que les Gay Games. Ce qui amènerait à une situation où entre jeux officiels et dissidents, l’Europe aura à digérer Copenhague en 2009, Cologne en 2010, peut-être Manchester en 2013 et quelques Eurogames qui, après avoir rejoint la GLISA, ont décidé eux aussi d’accueillir d’avantage d’athlètes et de sports. Il va y avoir des jeux, mais du monde dans les stades, c’est une autre histoire ! P. Rogel