Par Le National
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Gabon: Les ravages du vagabondage sexuel.

LIBREVILLE, 13 juil (AFP) - "Au Gabon, la fidélité n'existe pas". Jusqu'à encore récemment, le moins peuplé des grands pays d'Afrique était relativement épargné par le Sida. Mais l'insouciance d'hier, et surtout le "vagabondage" sexuel, presque une fierté nationale, augurent des lendemains difficiles.

"A Libreville, si on fait passer dix filles devant dix hommes, il y en aura au moins deux ou trois qui auront couché avec une des nanas", assure Franck, un technicien de 28 ans. Et comme la capitale regroupe près de la moitié de la population du pays (1,2 million d'habitants), le virus du Sida a vite fait de se propager.

En l'espace de deux ans, le taux de prévalence au Gabon est passé de 4,3% à 6,4%, avec 30.500 séropositifs ou malades parmi les 15/49 ans.

"Chez nous, les gens, surtout les hommes, sont désordonnés. La fidélité n'existe pas. Un homme peut sortir régulièrement avec cinq ou six femmes, même mariées", souligne Sidonie Siaka, présidente de l'association gabonaise d'assistance aux séropositifs et aux sidéens (AGAASS).


Le président du Gabon monsieur Bongo

Séropositive depuis huit ans, cette jeune femme a été la première dans son pays à révéler son mal, à visage découvert à la télévision, voilà près de deux ans. Elle a bien noté quelques changements dans les comportements. Mais si lentement.

"Il y a encore peu, rappelle-t-elle, le Sida était considéré comme la +maladie des ministres+, pas celle des petites gens. Maintenant, les Gabonais sont obligés de l'affronter de face car dans chaque famille, il y a un parent ou un proche malade".

D'ailleurs, une récente étude effectuée auprès des jeunes a démontré que le Sida venait juste après le chômage, mais devant la pauvreté, parmi les préoccupations des 15/25 ans sur la qualité de la vie, indique-t-on à l'UNICEF.

Pour autant, on continue souvent de ne pas y croire ou bien d'avoir ses "recettes" pour passer à travers. "En brousse, on m'a expliqué que la femme arrivait à s'assurer de la séronégativité d'un homme rien qu'en pressant son pénis. Ou encore qu'il fallait bien observer sa partenaire avant l'amour, à la recherche d'un bouton ou d'une maigreur inexpliquée", raconte le Dr Razak Safiou, du programme national de lutte contre le Sida (PNLS).

Les "tradi-praticiens" (guérisseurs) font aussi des ravages "en recommandant parfois aux malades d'avoir des rapports avec des pucelles pour faire disparaître le mal", rapporte le Pr Pierre-André Kombila, directeur général de la santé publique, qui essaie de les impliquer dans la lutte contre le Sida.

A cette insouciance et cette ignorance vient se rajouter le très difficile rapport culturel des Gabonais avec le préservatif. "Nos hommes sont des orgueilleux. Ils aiment le contact direct et ne supportent pas qu'on leur impose le poids de la capote", résume Sidonie Siaka, faisant remarquer l'absence des hommes dans son association: cinq pour cinquante femmes.

D'ailleurs, plutôt que de devoir sacrifier à la règle du préservatif, beaucoup sont ceux qui préfèrent cacher leur séropositivité. "Tous les jours, nous lançons des messages sur le préservatif, mais on n'est pas écoutés quand on n'est pas contredits par l'Eglise. Le Gabon est en train de périr", déplore la présidente de l'AGAASS.

Décrétée "priorité nationale" par le président Omar Bongo, la lutte contre le Sida souffre en plus d'un manque cruel d'argent. Le budget du PNLS atteint péniblement 400 millions de francs CFA (4 MF) et les associations regrettent de ne pas toucher un franc de subvention de l'Etat.

"Lors de la dernière journée mondiale contre le Sida, que nous n'avions pas célébrée depuis trois ans, nous avions voulu marquer un grand coup, se souvient le Dr Safiou. On a tout juste réussi à faire imprimer 300 T-shirts".