Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Art contemporain : les cachotteries de la région Languedoc Roussillon

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Alors qu'elle vivait sa vie en ligne, régulièrement enrichie de nouveaux secrets d'internautes, l'oeuvre virtuelle "Je suis ton ami tu peux me dire tes secrets" de Nicolas Frespech devient soudain inacessible fin décembre sur le Net, purement et simplement retirée des disques durs de la machine qui l'hébergeait. Abasourdi, l'artiste imagine d'abord une défaillance technique et appelle l'hébergeur du site, qui lui indique avoir reçu des ordres de l'actuel propriétaire de l'oeuvre, le Conseil régional du Languedoc Roussillon.

Le 21 janvier dernier, suite à ses multiples réclamations, l'artiste reçoit une lettre de justification du Conseil régional, qui tout en reconnaissant un statut d'oeuvre à son site, indique qu'elle ira désormais rejoindre d'autres oeuvres "mises en réserve". Mais derrière le langage diplomatique de la missive, Nicolas perçoit d'autres sons de cloche faisant état du côté sulfureux qu'aurait son travail en raison du caratère choquant de certains "secrets" mis en ligne. Accusations diffuses qui vont même jusqu'à la dénonciation du caractère prétendument "pédophile" de ce site.

"Ridicule" commente l'artiste, qui souligne au passage que "si certains propos peuvent choquer un public non initié, moi, en tout cas, je n'ai forcé personne à l'acheter". Ce que confirme un avocat spécialisé en la matière, levant immédiatement toute ambiguité. En précisant même que "l'oeuvre n'est absolument pas tendancieuse et sûrement pas pédophile".
Alors comment interpréter le retrait du Web de l'oeuvre? Selon le magistrat, "l'art, et en particulier l'art contemporain, est un sujet sensible dans la région. Et Nicolas fait probablement les frais d'un règlement de comptes entre élus FN, élus de droite et socialistes". Impossible de savoir qui est réellement à l'origine du retrait de l'oeuvre d'un portail institutionnel, mais une chose est sûre : la décision vient directement du Conseil Régional. "Tout le monde attend d'en savoir plus : au premier feu vert, le directeur du FRAC (Fonds Régional d'Art Contemporain) la remet en ligne" assure Nicolas, qui fait remarquer : " certes, la région est là pour financer. Mais c'est au directeur d'une institution culturelle de juger de la qualité d'une oeuvre".

La création de Nicolas Frespech est donc censurée pour des raisons et dans des circonstances officiellement indéterminées. Un comble pour une oeuvre intitulée "Je suis ton ami tu peux me dire tes secrets", dont l'auteur a eu l'idée lors d'un pique-nique où les organisateurs proposaient un cadeau à tous ceux qui acceptaient de dévoiler un secret. "J'ai donc décidé de recueillir les secrets des internautes et de les diffuser. Le point commun de ces secrets, c'est qu'ils parlent tous de vie quotidienne, d'amour ou de sexualité. Aucun nom de personnes publiques n'y figure : en faire un lieu virtuel de la délation était à l'opposé de ma démarche". On y trouve donc toutes sortes de confessions plus ou moins avouables ("je me suis fait greffer une teub d'éléphant", "j'aime me faire défoncer", "je me caresse en pensant à la Joconde" ). C'est parfois très cru, donc, mais parfois poétique ("je vis la vie d'un autre", "on est des mangoustes déguisées en femmes"), et souvent réaliste ("j'aime Lucie et pourtant elle m'énerve").
L'artiste sévit en ligne depuis 1995, date des débuts de l'Internet culturel en France. Quand, en 1998, la Région Languedoc Roussillon a accepté de financer l'achat (20 000 francs) de cette création pour le FRAC, ce fut une belle surprise pour Nicolas ainsi qu'un précédent. Car l'art en ligne ne s'achète pas vraiment et il n'existe à ce jour pas de statut pour ce type de travail.

Aujourd'hui, l'artiste enrage : "C'est un site quasi communautaire. On coupe la parole à moi, artiste, mais aussi à tous ceux qui envoient leur secret". Mais pas question de faire héberger son site ailleurs car son úuvre ne lui appartient plus. "«a n'a aucun sens : une oeuvre en ligne n'existe que si elle est sur le réseau. Là, elle est niée, immatérielle, oubliée" déplore l'artiste, qui, bien sûr, ne dispose plus des codes d'accès permettant de procéder aux mises à jour.

http://www.frespech.com/notes/

Vincent Riou ©Digipresse 2002

Le privilége de réplique