Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


"La fille sur le pont", de Patrice Leconte, d'un érotisme fou!

Par René Lapalme, journaliste

Bon, ça y est. Ce n'est que ma deuxième critique, mais je sens déjà qu'on va mettre mes compétences en doute. J'ai aimé le premier, j'ai aimé celui-ci. Si ça continue, on va croire que j'aime tout, sans discernement. Ça ne fait pas très sérieux, ça. Surtout que là, je vous parle d'un film qui n'a pas toujours été bien reçu. On dit qu'en France, on n'a pas beaucoup aimé et ce que j'ai lu ici laissait présager, non pas le pire, mais au moins le moyen. Que voulez-vous, je dois être un esprit retors : je ne peux pas penser comme tout le monde. J'ai aimé La fille sur pont. Na.

Allez savoir ce que les critiques n'ont pas aimé. Peut-être la grande fantaisie de ce film, qui fait que deux êtres peuvent se trouver à des kilomètres l'un de l'autre mais toujours être capable de se parler comme s'ils étaient côte à côte ? La délicieuse fable sur la chance, qui pose des questions somme toute importantes ? (Est-ce qu'on crée vraiment soi-même sa chance ? Est-ce que certains individus sont chanceux par nature ? Est-ce qu'il y a des personnes porte-bonheur ou plutôt, des rencontres porte-bonheur ? Y a-t-il, finalement, des rapports touchés par la grâce ?) Ou alors, est-ce qu'on n'a tout simplement pas aimé qu'il s'agisse d'un charmant conte de fées, qui pousse l'audace jusqu'à bien se terminer, comme dans les films hollywoodiens ?

Patrice Leconte

On ne pourra certes pas reprocher la superbe mise en image. Comme l'a souligné mon compagnon, «on oublie que c'est en noir et blanc». Un peu comme Woody Allen l'avait fait dans Manhattan, Leconte travaille ici le noir et blanc de façon somptueuse et il se dégage de certaines images une éclatante lumière. Leconte a toujours (bon, je n'ai pas vu Les bronzés et je ne crois pas qu'il s'agissait là de la force du film...) su filmer les sens de façon incomparable. Qu'il s'agisse de la fascination de monsieur Hire pour les parfums ou du vertige olfactif, tactile et que sais-je encore de Le mari de la coiffeuse, Leconte a trouvé le moyen de rendre les sens palpables à l'écran. Dans La fille sur le pont, lancer un couteau devient un acte d'une sensualité étonnante (elle prend sont pied, la Paradis !). Si vous avez jamais douté qu'un couteau pouvait être un symbole phallique, ma foi, courez voir ce film. C'est, je l'avoue, d'un érotisme fou.

On ne pourra pas non plus reprocher aux comédiens de ne pas faire leur travail. Daniel Auteuil est égal à lui-même, toujours aussi touchant même quand il se fait dur. Quant à Vanessa Paradis, dans un contre-emploi dont on a beaucoup parlé, elle se fait ici véritablement comédienne, à des lieux de son personnage habituel. Sa jeune femme naive, convaincue d'avoir la poisse et qui se donne au premier venu par excès de confiance, dirait-on, est attachante à souhait. On ne peut plus l'accuser, aujourd'hui, d'être uniquement «une nature».

Alors, que lui reproche-t-on, exactement, à ce film ? Je ne sais pas. N'allez surtout pas croire que je suis en train de crier au chef-d'oeuvre. Mais La fille sur le pont est un film charmant qui ose croire au bonheur, à la chance et à la rencontre des coeurs. Un film qui, avec une poésie tout en douceur, nous montre un autre type de rapport amoureux, une complicité particulière entre deux personnages qui ont besoin l'un de l'autre pour être heureux, mais qui n'échangeront même pas un baiser. Et je ne suis sans doute pas assez pisse-vinaigre pour lever le nez sur ce qui, somme toute, ne doit pas être à la mode.

Pour mon prochain article, je vous parlerai de Sleepy Hollow, le nouveau film de Tim Burton, que je viens tout juste de voir et que j'ai également bien aimé. Je vais devoir bientôt me trouver un navet, sinon, ma foi, plus personne ne voudra me prendre au sérieux...