Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


SANTÉ: Fièvres prolongées inexpliquées...

en collaboration avec RGL-Maginfo

La fièvre peut être présente à presque tous les stades de l'infection à VIH :

- lors de la primo-infection,
- lors des infections mineures,
- premières manifestations cliniques du déficit immunitaire,
- et à fortiori au cours du sida.

La définition de celui-ci inclut à la fois des infections opportunistes, qui toutes sauf une (LEMP) peuvent se manifester par de la fièvre, et deux types de tumeurs (lymphomes, sarcome de Kaposi viscéral) qui peuvent être hautement fébriles. En outre, l'infection à VIH, per se, peut se manifester par une fièvre - de la primo-infection au stade IV de la classification établie par les Centers for Disease Control.

La survenue d'une fièvre constitue toujours un symptôme inquiétant pour le patient, séropositif pour le VIH, ou "à risque" sans dépistage sérologique. La fièvre est donc un motif très fréquent de consultation pouvant témoigner d'un banal épisode bronchique comme d'une infection opprtuniste majeure.

Nous n'envisageons pas ici les étiologies des syndromes fébriles persistant au moins 10 jours et s'accompagnant de symptômes cliniques orientant de façon patente vers une pathologie précise d'organe.

Mesurer la fièvre

La fièvre doit être dans tous les cas mesurée. Les sueurs, parfois profuses au cours de l'infection à VIH, sont souvent interprétées par les patients comme de la fièvre.
Une courbe de température comportant au moins 2 points, doit être établie que le patient soit hospitalisé ou ambulatoire.

Rechercher une cause médicamenteuse

Les sujets infectés par le VIH, pour des raisons parfaitement élucidées, présentent, face à une substance médicamenteuse, des réactions d'intolérance, d'origine souvent immuno-allergique, de fréquence et d'intensité bien supérieures à celles observées dans la population générale. Une fièvre isolée peut en être le seul symptôme.

Plusieurs médicaments peuvent en être la cause.

- Sulfamides
- Bétalactamines

Ces médicaments peuvent être ignorés du médecin-prescripteur habituel, relevant parfois d'une auto-médication à l'occasion d'un épisode ORL ou bronchitique d'apparence banale. L'interrogatoire doit donc être méticuleux.

- Amphotéricine B (Fungizone)
- Interféron : la fièvre est habituellement associée à un syndrome grippal; elle suit l'injection d'interféron.
- Zidovudine (Rétrovir) : une fièvre isolée peut constituer la seule manifestation d'intolérance.

Le diagnostic de fièvre médicamenteuse doit être toujours envisagé chez ces patients, polymédicamentés et très tolérants. Il faut alors suspendre l'administration du médicament vraisemblablement responsable et vérifier le retour à l'apyrexie qui confirmerait ce diagnostic.
En cas d'asociation de médicaments éventuellement responsables, il faut procéder méthodiquement à l'évaluation, un par un, de leurs rôles puisque, écarter, pour intolérance, un médicament essentiel dans le traitement d'une infection grave constitue une décision importante; d'autres médicaments ne sont pas toujours utilisables ni dénués d'effets secondaires.

Evaluer le degré d'immunodépression

La recherche de l'étiologie d'une fièvre persistante au cours du sida peut être orientée par le degré de l'immunodépression mesuré en pratique par le nombre absolu de lymphocytes CD4+.
Il existe, en effet, une hiérarchie dans la survenue des infections opportunistes.
Ainsi, l'infection à Mycobacterium tuberculosis peut survenir assez précocement dans l'histoire de l'infection à VIH alors que les infections à cytomégalovirus ou à Mycobacterium avium-intracellulare ne deviennent symptomatiques que lorsque le système immunitaire est profondément lésé (CD4+ < 100/mm3).

Etiologies

Nous n'envisagerons que les infections ou tumeurs entrant dans la définition du stade IV de la classification OMS/CDC de l'infection par le VIH.

Si la lymphocytose CD4+ est supérieure à 400/mm3

Le risque de survenue d'une infection liée à l'immunodépression est pratiquement nul. Il faut alors rechercher, puisqu'il s'agit d'une fièvre prolongée, une autre étiologie. Celle-ci peut être orientée par le terrain : endocartite chez un toxicomane, foyer infectieux chronique, dentaire ou ORL, hépatite chronique, pathologie du voyage ...

Si la lymphocytose est comprise entre 200 et 400/mm3

Le risque d'une infection opportuniste majeure est peu probable. Néanmoins, plusieurs diagnostics sont à envisager.

Pathologie - Infections opportunistes

Nombre absolu de lymphocytes CD4+ (éléments par mm3)

400 à 200

Nbre absolu de lymphocytes CD4+ (éléments par mm3)

< 200

Nbre absolu de lymphocytes CD4+ (éléments par mm3)

< 100

Salmonellose
X
X
Tuberculose
X
X
X
Pneumocystose
X
X
Toxoplasmose
X
X
Cryptococcose
X
X
CMV
X
Mycobactérie atypique
X
Tumeurs - Lymphome
X Burkitt
X immunoblastique

Tuberculose

Recherche d'adénopathie, symptomatologie pulmonaire méconnue, amaigrissement.
Le bilan doit comporter : radiographie pulmonaire, intradermoréaction à la tuberculine, recherche de bacilles acidocoolorésistants (BAAR) à l'examen direct des crachats ou des sécrétions du tubage gastrique.

Lymphome

A ce stade où l'immunodépréssion est modérée, le type de lymphome le plus souvent en cause est le lymphome de Burkitt. Son expression clinique est essentiellement ganglionnaire.
Le bilan initial doit comporter : recherche d'adénopathie superficielle (examen clinique) ou profonde (scanner abdominal ou échographie); radiographie pulmonaire (élargissement médiastinal), taux de lacticodéshydrogénase (LDH).
En cas d'anomalie : biopsie ganglionnaire; biopsie médullaire.

Salmonellose

Il s'agit essentiellement de septicémies à salmonelles non typhiques dont les sérotypes les plus fréquemment en cause sont :

- dans les hémocultures, 3 hémocultures doivent être réalisées avant l'institution d'une antibiothérapie;
- dans la coproculture, celle-ci est moins fréquemment positive (20 à 40% des cas).
Le diagnostic de salmonellose doit être évoqué en premier lieu s'il existe déja un antécédent. En effet, ces infections récidivent avec une très grande fréquence malgré l'institution d'un traitement efficace (ampicilline, quinolones ...).

Compte tenu de l'intolérance extrêmement fréquente de ces patients aux bêtalactamines comme aux sulfamides responsables de fièvre et de rashs cutanés parfois sévères, les fluoroquinolones comme la péfloxacine sont plus souvent utilisées, à la dose de 800 mg/j pendant 21 jours.

L'intérêt du maintien d'une prophylaxie secondaire n'étant pas démontré, l'attitude la plus fréquente est la surveillance rigoureuse après un premier épisode, avec répétition des examens bactériologiques si la fièvre réapparaît.

Si la lymphocytose CD4+ est inférieure à 200/mm3

La plupart des infections opportunistes du sida, même lorsqu'elles affectent un organe précis (comportant alors, à la phase d'état, des symptômes d'orientation), peuvent dans leur phase initiale ne se traduire que par une fièvre d'apparence isolée. L'interrogatoire doit alors rechercher des symptômes banals que le patient n'a pas mentionnés afin d'orienter le diagnostic.

Pneumocystose

La symptomatologie apparente est celle d'une fièvre modérée. Une gêne thoracique, un essoufflement à l'effort sont à rechercher.

Ce diagnostic doit être évoqué chez les sujets ne recevant pas de prophylaxie primaire par cotrimoxazole ou chez les sujets recevant incomplètement une prophylaxie par aérosol de pentamidine (intervalle entre deux aérosols supérieur à un mois).
La radiographie pulmonaire peut montrer un infiltrat interstitiel bilatéral ou plus souvent être normale.
C'est à ce stade de début sans anomalie radiologique que les examens indirects (capacité de transfert de l'oxyde de carbone, oxymétrie d'effort ...) permettent d'identifier les patients relevant d'une recherche à l'examen direct de Pneumocystis carinii (par lavage bronchoalvéolaire ou par expectoration induite dans les centres où c'est possible.

En outre, le développement de la prophylaxie primaire de la pneumocystose pulmonaire chez les patients ayant un nombre de lymphocytes CD4+ inférieur à 200/mm3, utilisant l'aérolisation de la pentamidine, semble être responsable de la survenue non exceptionnelle de formes extrapulmonaires de l'infection à Pneumocystis carinii (hématopoïetique, hépatique, oculaire, cutanée ...).

Toxoplasmose

Si dans la plupart des cas (60 à 70%), la toxoplasmose cérébrale comporte des signes neurologiques focalisés, orientant vers le système nerveux central, la fièvre peut être le seul symptôme, à la phase précoce de l'infection; l'existence de céphalées associées, souvent non rapportées ou minimisées doit faire pratiquer un scanner cérébral. Celui-ci met en évidence, après injection de produit de contraste, le ou les abcès. C'est dans le cas de lésions débutantes que l'examen en résonance magnétique nucléaire revêt tout son intérêt.

Tuberculose

La prévalence élevée de la tuberculose au cours du sida impose d'évoquer ce diagnostic devant toute fièvre persistante.
Le diagnostic de tubeculose est souvent difficile en raison de la très grande fréquence des localisations extrapulmonaires (environ 50% des cas) et la négativité de la recherche de bacilles acidoalcoolorésistants dans des crachats ou des tubages ne permet pas de l'éliminer.

Il faut aussi rechercher :

- des adénopathies périphériques ou profondes (médiastinales, abdominales ou pelviennes), afin de les biopsier lorsque c'est possible;
- une splénomégalie, une hépatomégalie.

La biopsie médullaire ou la biopsie hépatique avec mise en culture peuvent retrouver la présence d'un granulome.

La négativité de l'examen direct des différents prélèvements et l'absence d'autre étiologie peuvent justifier, dans l'attente des résultats des cultures (4 à 6 semaines), la mise en route d'un traitement spécifique antituberculeux (test thérapeutique).
L'antibiothérapie choisie en cas de traitement présomptif doit éviter au maximum l'utilisation d'antibiotiques à large spectre, comme la rifampicine, avant la confirmation du diagnostic.

Infection à VIH

Le virus VIH lui-même peut être responsable d'un syndrome fébrile associé à une altération de l'état général (stade IV A). La fièvre est dans ce cas en règle générale inférieure à 38,5°C.

Lymphome

L'allongement de la survie des patients est vraisemblablement à l'origine de la prévalence croissante des lymphomes au cours de l'infection à VIH.
Chez les patients ayant un taux de lymphocytes CD4+ inférieur à 200/mm3, le lymphome immunoblastique est le plus souvent en cause. Dans près de la moitié des cas, il s'agit de lymphomes extraganglionnaires.

Le diagnostic peut être suspecté sur :

- des éléments cliniques, fièvre élevée, en plateau ou anarchique, adénopathies périphériques ou profondes, céphalées (lymphome cérébral); - des éléments biologiques, apparition ou majoration d'une pancytopénie, augmentation des enzymes LDH.

Les investigations complémentaires doivent comporter :

- un scanner cérébral,
- une ponction lombaire avec recherche de cellules anormales,
- un scanner abdominal et thoracique,
- une biopsie ganglionnaire,
- une biopsie médullaire.

Cryptococcose

La méningoencéphalite cryptococcique se manifeste assez peu fréquemment par un syndrome méningé (40 à 50% des cas). En revanche, la fièvre est le signe le plus constamment retrouvé et s'accompagne volontiers de céphalées.
L'infection à Cryptococcus neoformans débute habituellement, à la phase de primo-infection, par une pneumopathie (50% des cas). Celle-ci est très souvent inapparente et conduit à la dissémination septicémique de l'infection avec localisation méningée, hépatosplénique, urinaire, cutanée ...

Ainsi, devant toute fièvre, la recherche d'infection cryptococcique doit-elle être symptomatique :

- ponction lombaire (coloration à l'encre de Chine, culture),
- antigénémie cryptococcique (positive dans 95% des cas) antigénorachie, antigénurie.

Une antigénémie cryptococcique isolée doit faire rechercher activement un foyer cryptococcique.

Infection à cytomégalovirus

L'infection à cytomégalovirus est l'une des infections les plus fréquentes au cours de la phase tardive du sida. Dans 90% des cas, elle concerne des patients ayant un taux de CD4+ inférieur à 100/mm3, et, dans 75% des cas, inférieur à 50/mm3.
Si l'infection est souvent disséminée, comme en témoignent les études autopsiques, certaines localisations viscérales sont plus fréquemment et plus facilement identifiées; elles peuvent se traduire par un syndrome fébrile isolé ou associé à des symptômes non spécifiques tels qu'asthénie, céphalées, ralentissement psychomoteur, diarrhée, douleurs abdominales, assez banals à ce stade.

Il convient donc de rechercher systématiquement une atteinte rétinienne au fond d'oeil, même en l'absence de symptômes oculaires, une atteinte digestive haute (oesophagite, gastroduodénite) ou basse (colite ou rectite). Il s'y associe souvent plusieurs signes digestifs; mais ceux-ci peuvent être méconnus ou banalisés par le patient lui-même, voire attribués à un autre agent pathogène (cryptosporidiose ...).
Une fibroscopie gastrique ou la rectosigmoïdoscopie permettent d'évoquer le diagnostic en présence de lésions ulcérées. Celui-ci est affirmé par la présence d'inclusions virales à l'examen histologique.

Une cholangite à CMV peut être évoquée sur l'association de douleurs de l'hypocondre droit, d'une cholestase biologique; la présence d'une dilatation des voies biliaires intrahépatiques permet de confirmer l'atteinte cholangitique. La responsabilité du CMV est difficile à affirmer dans ce cas et repose sur la présence d'inclusions intranucléaires sur un prélèvement histologique intracanalaire.

L'existence d'une positivité de la virémie à CMV, si elle ne constitue pas un critère formel et spécifique d'infection à CMV, représente un élément d'orientation important et doit faire rechercher chez un sujet profondément immunodéprimé, une localisation viscérale responsable du syndrome fébrile.

Infection à mycobactérie atypique

Il s'agit dans la plupart des cas d'infection disséminée liées à Mycobacterium avium - intracellulare (MAIC) ou Mycobacterium kansasii.
Elle survient à un stade très évolué du sida lorsque le nombre de lymphocytes CD4+ est inférieur à 50/mm3.

Le diagnostic repose sur l'isolement de la mycobactérie :

- dans les hémocultures : la positivité d'une seule hémoculture suffit au diagnostic; cette hémoculture doit être réalisée à l'aide d'un matériel spécifique (tube isolator);
- dans un prélèvement biopsique : biopsie hépatique, biopsie digestive ... ;
- dans un liquide de lavage alvéolaire ou un prélèvement bronchique : deux prélèvements positifs au minimum sont nécessaires au diagnostic; en effet, MAIC ou M. kansasii étant des microorganismes présents dans l'environnement, leur présence dans un organisme ouvert sur celui-ci (bronche, poumon) peut ne refléter qu'une colonisation.
Le diagnostic formel d'infection à MAIC requiert un délai long (culture en 4 à 6 semaines).
La présence de BAAR à l'examen direct d'un prélèvement justifie la mise en route d'un traitement antituberculeux. Son inefficacité suggère davantage l'existence d'une infection atypique : Mycobacterium avium - intracellulare ou à Mycobacterium tuberculosis.

Etiologies d'une fièvre persistante sur le terrain

Histoplasmose

Cette mycose systémique, essentiellement liée à Histoplasma duboisii au cours du sida doit être évoquée chez un patient ayant effectué un séjour, même datant de plusieurs années, en zone d'endémie (Caraïbes, Amérique du Sud, Asie). L'expression clinique de l'histoplasmose comporte une fièvre élevée, une altération profonde de l'état général, une hépatosplénomégalie, une pancytopénie; l'atteinte cutanée est moins fréquente.

Le diagnostic repose sur la mise en évidence de la levure à l'examen durect ou en culture :

- hémoculture,
- uroculture,
- biopsie hépatique, ganglionnaire, médullaire ou cutanée.

Leishmaniose

Cette parasitose peut être réactivée lorsque l'immunodépression est sévère.
Elle doit être évoquée chez des sujets ayant réalisé un voyage dans une zone d'endémie (Amérique du Sud, Asie, Afrique du Nord) ou ayant séjourné ou vivant dans le sud de la France.
Le tableau clinique est celui d'une fièvre avec pancytopénie, hépatosplénomégalie et adénopathies; des localisations digestives sont fréquentes.

Le diagnostic repose sur l'isolement de leishmanies à l'examen direct :

- sang, moelle, biopsies ...

Infections bactériennes chez les sujets en aplasie

L'utilisation de polychimiothérapie dans le traitement des lymphomes ou du sarcome de Kaposi, ajoutée à l'immunodépression cellulaire induite par le VIH entraîne une immunodépression iatrogène liée à l'agranulocytose voire à l'aplasie fréquemment induites par ces thérapeutiques.
Cette double immunodépression peut être responsable de septicémies à bacille Gram négatif provenant du tube digestif ou nosocomiales, ou d'infections à Cocci Gram positif (staphylocoques, entérocoques ...).

Septicémie sur cathéter veineux central

C'est une complication féquemment rencontrée (20 à 40% des cas) chez les patients porteurs d'un cathéter veineux central, tunnelisé ou avec réservoir (Port à Cath) destiné à l'administration quotidienne de traitement anti-CMV (ganciclovir ou foscarnet).

Le traitement repose sur une antibiothérapie adaptée à la souche bactérienne isolée. L'ablation du cathéter est en général indispensable, la stérilisation de ce matériel n'étant habituellement pas complète.

Le diagnostic étiologique d'une fièvre n'est pas toujours aisé, surtout après la première infection opportuniste, lorsque différentes pathologies coexistent.
Une démarche rigoureuse, visant à éliminer une à une les différentes pathologies potentielles, doit être appliquée. Les traitements anti-infectieux de présomption doivent être utilisés avec précaution, compte-tenu de leurs effets secondaires fréquents sur ce terrain, susceptibles de compliquer la démarche diagnostique.

C. KATLAMA, S. KERNBAUM