Par Le National
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Cyberterrorisme et violence urbaine au menu du nouvel ordre policier européen. Les gays pourraient faire de la prison!

La commission des libertés du citoyen, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen discutera, lundi 15octobre, des propositions antiterroristes préconisées par la Commission européenne (CE). En cherchant à harmoniser les procédures policières dans l'Union, la CE, soutenue en ce sens par le Conseil (les quinze gouvernements), remet en cause bon nombre de droits fondamentaux. Dans un texte daté du 19septembre, elle menace notamment de suspicion le simple usage à des fins politiques et militantes d'un système informatique, et envisage, comme en Grande-Bretagne, d'assimiler un acte d'intrusion informatique à du terrorisme... Plus généralement, ces mesures risquent également de créer l'amalgame entre la contestation politique, la simple manifestation et les «infractions terroristes».

Unifier les notions d'infractions terroristes en Europe

Selon nos sources, le président de la commission des libertés, le député britannique Graham Watson, a déjà exprimé son mécontentement à l'exécutif de Bruxelles au sujet de la «précipitation» dont les autorités européennes ont fait preuve avec ce texte. Seule une version en anglais est disponible au public, mais nous nous sommes procurés la version française.

Ce «projet de décision-cadre du Conseil» comprend 16articles et vise essentiellement à «rapprocher les infractions des États membres concernant les infractions terroristes». Un autre volet de l'arsenal européen concerne le projet d'abandon de la procédure d'extradition entre chaque État membre, qui dépend de l'adoption de «mandats européens», mandats d'arrêt comme de perquisition.

En matière d'infractions, une liste exhaustive de 14définitions est proposée. Si certaines paraissent évidentes (meurtre, dommages corporels, enlèvement, chantage, vols, détention d'armes ou d'explosifs, libération de substances toxiques, perturbation des systèmes d'énergie, puis direction ou soutien d'un groupe terroriste, etc.), d'autres sont plus ambiguës, comme la «capture illicites d'installations étatiques», «la commission d'attentats en perturbant un système d'information», ou encore la «menace de commettre l'une de ces infractions».

Amalgame entre "hacking" et terrorisme

Dans son exposé des motifs, la Commission de Bruxelles évoque les «infractions terroristes commises par ordinateur ou par des dispositifs informatiques». Certes «moins violentes», «elles peuvent représenter une menace aussi grave que les [autres infractions]», conclut la CE dans une formule lapidaire.

Le document cite aussi allègrement en exemple la loi «Terrorism Act of2000», dont s'est doté le Royaume-Uni l'an dernier. Une disposition qui fait ouvertement l'amalgame entre un acte d'intrusion informatique et du terrorisme.

En préambule la CE précise que ces infractions sont déjà réprimées dans l'Union européenne en «droit commun». Mais ils deviennent «actes terroristes» s'ils sont commis dans l'optique de «menacer et [de] porter gravement atteinte ou à détruire les structures politiques, économiques et sociales d'un pays». La Commission met les points sur les i: «Cela pourrait couvrir des actes de violence urbaine, par exemple».

Des infractions de droits communs transformés en actes terroristes

Début octobre, ce raccourci a littéralement scandalisée Evelyne Sire-Marin, présidente du Syndicat de la magistrature (SM): «Ainsi, tout acte qui vise à menacer, à porter gravement atteinte ou à détruire les structures politiques, économiques ou sociales d'un pays sera passible de deux à vingt ans de prison. Donc, les manifestations antimondialisation et les arrachages de plantes transgéniques vont devenir des actes terroristes. Ne visent-ils pas clairement à menacer les structures économiques de l'Europe ultralibérale en proposant un autre modèle de développement?», avance-t-elle dans une tribune publiée, comme d'autres témoignages, sur un site français qui a ouvert une rubrique «Dommages collatéraux», en référence aux droits menacés par l'urgence antiterroriste. Le 12 octobre, le SM a lancé un appel à la vigilance avec des membres d'Attac, des Verts et d'autres syndicats.

L'amalgame entre un hacker, un manifestant anti-OMC et un fanatique kamikaze n'est pas à prendre à la légère. Un prévenu suspecté de tels actes n'a pas les mêmes droits (garde à vue de 72heures sans avocat, en France par exemple), et les peines en sont considérablement aggravées. A propos du mandat d'arrêt européen, Evelyne Sire-Marin résume son inquiétude: «Ainsi, tout Français accusé par la police italienne de violences au sommet de Gênes, d'homosexualité ou d'avortement par la police irlandaise pourra être arrêté en France et transféré devant les tribunaux de ces pays [sans l'extradition et les droits qu'elle garantit à la défense]. (...) Désormais, sous couvert de la lutte contre le terrorisme, les manifestants, les étrangers et les opposants à l'ordre néolibéral n'auront qu'à bien se tenir!»

Ce «projet de décision-cadre», qui fera donc dès lundi sa première navette à Strasbourg, avant de rejoindre le Conseil des ministres. Il faudra attendre que la commission se prononce, en proposant une résolution à l'ensemble des députés. Selon nos sources, cela repousserait la fin de la première lecture aux environs de la mi-novembre.