Par Le National
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La drogue afghane menace l'Asie centrale

MOSCOU, 14 sept (AFP) - La hausse marquée du trafic de drogue en provenance d'Afghanistan menace l'Asie centrale, qui y voit un facteur majeur de déstabilisation de la région.

Les saisies d'héroïne à la frontière tadjiko-afghane depuis le début de l'année 2001, à près de deux tonnes, représentent plus du double du volume saisi pour toute l'année 2000, ont annoncé jeudi les gardes-frontières russes. Des prises représentant 5% seulement du volume de drogue en transit, selon les estimations des experts.

"Le Tadjikistan est confronté à une agression de narco-trafiquants en provenance d'Afghanistan, qui représente une menace pour notre sécurité", a expliqué cet été le directeur de l'Agence présidentielle tadjike de lutte contre les stupéfiants, Roustam Nazarov.

L'Afghanistan, contrôlé à 95% par le régime des taliban, est avec la Birmanie le principal producteur mondial d'héroïne, selon le dernier rapport annuel de l'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS).

Le Tadjikistan, qui partage plus de 1.200 kilomètres de sa frontière sud avec l'Afghanistan est, avec l'Ouzbékistan, le Turkménistan et l'Iran, en première ligne d'un trafic destiné aux marchés européens.

"Les laboratoires de raffinage sont situés juste derrière la frontière. Au cours de la dernière décennie, ils sont passés à la fabrication industrielle", explique un diplomate occidental à Moscou, évoquant une "véritable stratégie".

La milice islamiste des taliban a pourtant décrété en juillet 2000 l'interdiction de la culture du pavot à opium sur son territoire.

Mais en mai dernier, des experts de l'ONU ont affirmé, dans un rapport au Conseil de sécurité, que cette annonce visait à soutenir les prix de l'héroïne, alors que dans le même temps les taliban ont constitué des stocks importants d'opium pour continuer à alimenter le marché.

"Nos pronostics d'une hausse marquée de la contrebande de drogue se sont réalisés", a constaté laconiquement jeudi le général Sergueï Jilkine, qui dirige l'état-major des gardes-frontières russes au Tadjikistan.

"Le trafic de drogue est le principal moyen de déstabilisation de la région, et d'enrichissement des taliban", a jugé de son côté un diplomate occidental à Moscou, sous couvert de l'anonymat.

Le trafic de drogue permet selon les experts le financement du trafic d'armes, mais aussi celui des groupes islamistes qui tentent de déstabiliser les républiques d'Asie centrale.

L'OICS a remarqué ainsi dans son rapport, "les liens entre la contrebande d'armes à feu, les mouvements insurrectionnels et le trafic de drogues dans les pays d'Asie centrale".

Selon Ahmed Rashid, auteur d'un ouvrage sur les taliban, la milice islamiste au pouvoir à Kaboul héberge sur son territoire le Mouvement islamique d'Ouzbékistan, qui est accusé par Tachkent d'une série d'attentats dans la capitale ouzbèke en février 1999.

L'argent de la drogue financerait aussi le Hizbi Tahrir, basé au Tadjikistan, qui l'a mis hors la loi, et qui souhaite l'établissement d'un califat islamique sur le territoire des cinq républiques d'Asie centrale.

Le trafic d'héroïne représenterait aussi, selon M. Rashid, une source de revenu non négligeable pour le terroriste présumé Oussama ben Laden, soupçonné par les Américains d'être lié aux attentats meurtriers ayant frappé les Etats-Unis mardi dernier.

"La drogue afghane est le bras armé de l'extrémisme", a déclaré dès l'an dernier le président tadjik Emomali Rakhmonov.

Le trafic de drogue est aussi un élément d'affaiblissement des sociétés d'Asie centrale, la consommation locale sur les routes de transit étant en hausse.

L'OICS a ainsi estimé dans son rapport qu'une "partie non-négligeable des opiacés produits en Asie occidentale est consommée sur place". Une consommation s'accompagnant notamment d'une hausse marquée des infections par le virus du sida.