Par Le National
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Bertrand Delanoe : Une victoire au goût de revanche

PARIS (Reuters) - Bertrand Delanoë sera, à 51 ans, le premier maire socialiste de Paris, grâce à une victoire à l'arraché, et au goût de revanche, des listes PS-PC-MDC-PRG-Verts au second tour des élections municipales.

Longtemps considéré avec condescendance à droite et à gauche, malgré 24 ans d'implantation politique à Paris, il a d'abord dû, pour sortir de l'ombre, s'imposer dans son propre camp où on lui reprochait un manque de charisme et d'envergure.

Il y a encore un an, dirigeants et militants socialistes se divisaient sur l'opportunité de présenter à Paris un candidat "d'envergure nationale" pour faire face au "poids lourd" du RPR, Philippe Séguin, "parachuté" dans la capitale.

La mise en cause de l'ex-ministre de l'Economie Dominique Strauss-Kahn dans l'affaire de la Mnef, puis la nomination de Jack Lang au poste de ministre de l'Education ont finalement dégagé la voie au "candidat de proximité" Bertrand Delanoë.

Ses détracteurs de l'époque reconnaissent aujourd'hui qu'il a su transformer son déficit initial de notoriété en atout.

Pierre Aidenbaum, maire réélu du IIIe arrondissement, qui défendait une candidature Lang, est de ceux- là.

"Il me semblait que la stature de Jack Lang, son aura, son charisme étaient un plus", confie-t-il à Reuters. "Mais Bertrand Delanoë s'est révélé dans cette campagne. Il a fait un sans faute et sa connaissance du terrain lui a permis de s'imposer comme un chef de file incontournable et incontestable."

Une opinion partagée à Matignon. "Il m'a épaté", confie un collaborateur du Premier ministre, Lionel Jospin.

"J'ai eu l'impression de revoir la mue du Jospin (...) brisant son armure pendant la campagne présidentielle de 1995", déclarait pour sa part le cinéaste Serge Moati, qui a filmé les deux campagnes, dans une récente interview au Parisien.

Bertrand Delanoë avait déjà laissé entrevoir une forte personnalité en évoquant publiquement son homosexualité un soir de novembre 1999 à la télévision.

Au fil de la campagne, les observateurs l'ont vu prendre de plus en plus d'assurance dans ses interventions publiques.

Lors de son débat télévisé avec Philippe Séguin, sur Canal Plus, le 28 février, il a ainsi sans doute marqué des points en parlant sans lire ses notes, contrairement à son adversaire.

Si sa notoriété ne dépassait guère, il y a quelques mois, la frontière des boulevards périphériques de la capitale, il est loin d'être un nouveau venu en politique.

Tout commence par une ascension fulgurante, pour cet homme né le 30 mai 1950 à Tunis, dont le père géomètre s'installe en 1964 à Rodez, dans l'Aveyron.


Le tournant de 1993


Entré au PS en 1972, diplômé en économie de l'université de Toulouse, il devient secrétaire de la fédération de l'Aveyron à 23 ans ; repéré par François Mitterrand, il quitte son poste de directeur commercial d'une société de produits chimiques et entre à 29 ans au comité directeur du PS, secteur entreprises.

Après l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République, en mai 1981, il devient porte- parole d'un PS dont Lionel Jospin est premier secrétaire. En 1983, il est secrétaire national aux fédérations, c'est-à-dire numéro trois du PS, à 33 ans.

Entretemps, il a été élu conseiller de Paris en 1977, dans le XVIIIe arrondissement - il fait partie, avec l'actuel ministre de l'Intérieur, Daniel Vaillant, et Lionel Jospin, de ceux qu'on appelle au PS la "bande du XVIIIe".

Il est aussi élu dans cet arrondissement aux législatives de 1981 - c'est un des plus jeunes députés de France.

L'introduction du scrutin proportionnel aux législatives de 1986 le contraint à céder sa place. Il envisage un "parachutage" dans le Vaucluse mais renonce face à l'opposition des militants locaux. Son ascension rapide a indisposé. On le dit autoritaire, colérique, voire arrogant; il est chahuté par des militants au congrès du PS à Toulouse, en octobre 1985.

Il prend alors quelque distance avec la politique, quitte les instances dirigeantes du parti et rejoint le secteur privé. D'abord comme publicitaire chez Robert et Partners, puis à la tête de sa propre agence de consultant en communication.

Il est toujours conseiller de Paris mais "en dilettante", se souvient un autre élu PS. "Il n'était pas très assidu."

En 1993, nouveau tournant : Bertrand Delanoë succède à Georges Sarre à la présidence du groupe PS à l'Hôtel de Ville, réduit alors à 16 membres, et lui imprime sa marque: il ne se cantonne plus dans la seule dénonciation du "système RPR-UDF" et multiplie au contraire les propositions.

"Il a beaucoup transformé l'opposition au Conseil de Paris", reconnaît Roger Madec, maire PS du XIXe arrondissement.

Aux municipales de 1995, les listes "Paris s'éveille" qu'il conduit mettent fin à 12 ans de "grand chelem" RPR-UDF en remportant six arrondissements, dont le XVIIIe, et 61 sièges de conseillers. La même année, il est élu sénateur et participe à la campagne de Lionel Jospin pour l'élection présidentielle.

Ceux qui le connaissent depuis les années 1970 estiment qu'il a "mûri". Si l'humour et l'auto-dérision ne sont toujours pas son fort, il maîtrise mieux ses mouvements d'humeur - "Il s'est beaucoup amélioré avec le temps; je l'ai connu claquant plus de portes !" constate Daniel Vaillant.

Le futur maire a pris l'habitude de consulter, même s'il reste fidèle à une méthode de travail en cercles restreints.

Fidèle, il l'est aussi à la Tunisie, où il revient souvent. Et à Lionel Jospin. "C'est sa référence constante, il entretient presque un lien filial avec Jospin, même s'il a pris de l'autonomie pendant cette campagne", souligne un élu PS.