Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Le cerveau dans toute sa puissance et ses défauts!

Le cerveau

Cent milliards de neurones, dix fois plus de cellules gliales, des possibilités infinies et quasi inimaginables de connexions interneuronales (les synapses) ...

Organe noble par excellence, le cerveau humain est le véritable maître de cet étrange et complexe chose qu'est le corps humain. Ce " casse-tête " de 1 500 g assure une régulation totale. L'activité de tous nos organes (coeur, poumons, reins, foie, rate, moelle osseuse) comme celle des glandes hormonales, des muscles et des tendons lui est soumise, à un niveau macroscopique et " visible " (battements cardiaques, respiration, filtration et fabrication du sang, marche et déplacement dans l'espace ...) mais aussi à un niveau microscopique et " invisible " (régulation hormonale, circulation sanguine, oxygénation des tissus, élimination des déchets, perception, analyse et intégration des informations extérieures....).

Environ 100 milliards de cellules nerveuses ou neurones ( le même nombre que d'étoiles dans notre galaxie !), elles-mêmes entourées par une masse de cellues gliales de soutien (dix fois plus nombreuses que les neurones) sont responsables de la transmission " des commandes " entre elles et à l'ensemble de l'organisme. Cette transmission se fait par l'intermédiaire d'une système de " câblage " ultra-sophistiqué : le système des connexions interneuronales ou synapses. Chaque neurone est ainsi en contact avec 10 000 autres cellules nerveuses, soit un demi-milliard de connexions neuronales par millimètre cube de cerveau ...

Un système interactif

La boîte crânienne contient la totalité de l'encéphale. Celui-ci est constitué par les deux hémisphères cérébraux, le tronc cérébral et le cervelet. L'encéphale n'est pas en contact direct avec les os du crâne; il est protégé par trois enveloppes (les méninges) et flotte dans un liquide, le liquide céphalo-rachidien. Chaque hémisphère est divisé en zones (temporale, frontale, pariétale, occipitale), correspondant chacune au contrôle d'une partie du corps et donc composée de neurones " spécialisés ".

En principe, il existe un hémisphère prédominant, gauche pour le droitier et droit pour le gaucher; cependant, il y a une grande variabilité des structures d'un individu à l'autre.

Le tronc cérébral gère les fonctions essentielles comme la respiration et le rythme cardiaque. Enfin, situé à l'arrière et recouvert par les deux hémisphères, le cervelet joue un rôle essentiel dans la coordination des mouvements et le maintien de l'équilibre du corps dans l'espace, mais probablement aussi dans l'adaptation et l'acquisition de nouveaux programmes.

L'encéphale, la moelle épinière et les nerfs forment le système nerveux, lui-même divisé en système nerveux central (encéphale et moelle épinière) et système nerveux périphérique (les nerfs). Ces derniers véhiculent les ordres du système central vers la périphérie mais acheminent aussi, dans l'autre sens, les informations de l'environnement vers l'encéphale où ces informations seront analysées et intégrées. C'est un véritable système interactif.

Commande centrale et influx nerveux

C'est grâce à un signal électrique, l'influx nerveux, que les neurones transmettent et se communiquent les milliards d'informations qui partent et reviennent au cerveau. Cet influx nerveux se propage le long des prolongements des neurones (les dendrites et les axones, parfois longs de plusieurs centimètres !), à une vitesse pouvant atteindre 100 m par seconde, jusqu'au point de connexion entre deux neurones. Cette connexion est appelée synapse.

En arrivant à la synapse, l'influx nerveux provoque la libération de molécules spécifiques, les neuromédiateurs. Cette libération entraîne à son tour la naissance d'un nouvel influx véhiculant une nouvelle information vers d'autres neurones. Certains neuromédiateurs sont désormais connus; il s'agit là d'une piste thérapeutique intéressante, déja utilisée pour le traitement de certaines maladies neurologiques.

Ces signaux se propagent de neurone en neurone puis, via les nerfs, vers les organes effecteurs (c'est-à-dire qui agissent). A l'inverse, c'est de cette façon que les informations détaillant notre environnement parviennent à notre cerveau.

Le nombre de connexions simultanées est infini, chaque neurone étant capable, on l'a vu, d'établir jusqu'à 10 000 connexions avec ses voisins. Cette capacité extraordinaire de multiplier les connexions est nommée " plasticité neuronale ". La multiplication des connexions n'est pas figée dans le temps ou l'espace mais s'adapte en permanence aux différentes informations. Parfois même, en cas de lésion cérébrale, la plasticité neuronale parvient à créer de nouvelles connexions qui compensent partiellement la perte de cellules nerveuses.

Neurologie et psychiatrie : le rôle des neuromédiateurs

Il n'y a pas si longtemps, on distinguait les maladies psychiatriques des pathologies neurlogiques, les premières altérant le fonctionnement psychologique et les secondes résultant de lésions cérébrales anatomiques.

La meilleure compréhension des mécanismes moléculaires impliqués dans la transmission de l'information entre les neurones (notamment le rôle des neuromédiateurs) mais aussi les découvertes concernant la transmission génétique de certaines maladies psychiatriques, ont récemment bouleversé cette classicication.

Les grands troubles psychiatriques (comme la schizophrénie ou l'autisme) sont probablement liés à un dysfonctionnement
du métabolime des neuromédiateurs.

Cette théorie s'est déja partiellement vérifiée pour la dépression : les nouveaux médicaments antidépresseurs agissent pour la plupart au niveau des synapses en inhibant l'action de neuromédiateurs comme la sérotonine ou la noradrénaline.

Cependant d'autres facteurs, psychologiques ou sociaux, jouent aussi un rôle dans certaines maladies mentales et si les médicaments en améliorent bien les symptômes, l'association dune psychothérapie, parfois d'une psychanalyse, est souvent bénéfique.

Un développement
génétiquement programmé

Cet énorme assemblage cellulaire commence à se construire dès la 3ème semaine après la fécondation, orchestré par notre matériel génétique. Envion le tiers de notre patrimoine génétique (soit 20 000 gènes) serait ainsi directement impliqué. On comprend dès lors qu'une simple anomalie génétique ou l'absence d'un gène indispensable puissent être à l'origine d'un mauvais développement cérébral ou de maladies neuro-dégénératives graves, s'exprimant plus ou moins tardivement.

Cependant, la génétique n'explique pas tout; des facteurs de l'environnement, certains identifiés (comme l'état de santé de la mère au moment de la grossesse, la survenue de traumatisme crânien ou de maladie grave pendant l'enfance) mais d'autres encore inconnus, interviennent aussi.

Un formidable potentiel

Si lors d'un développement normal, le cerveau est déja fonctionnel à l'âge de 7 mois, la maturation se poursuit jusqu'à l'adolescence.

Le réseau de connexions interneuronales se construit progressivement, stimulé par des facteurs de croissance et d'environnement.

  • Dans un premier temps, le nouveau-né ne peut traiter les signaux sensoriels que de façon " rudimentaire ". Il dispose d'automatismes et de montages comportementaux " pré-câblés ", génétiquement déterminés. Ces automatismes se déclenchent dans des circonstances particulières (recherche de la mère, alimentation, préhension, plaisir et douleur ...).
  • Peu à peu, le traitement des signaux sensoriels se perfectionne : la mémorisation des perceptions permet de construire des images de référence; les réponses motrices se diversifient et d'autres montages " pré-câblés " entrent en fonction
    (poursuite oculaire, exploration du regard, saisie par la main des corps ou des objets apparus dans le champ de la vision, mouvements autonomes, sourire et pleurs, retrait et défense devant la douleur ...).
  • Aux automatismes génétiquement déterminés (avec des réponses globales et stéréotypées) vont se superposer peu à peu de nouveaux programmes
    " improvisés " qui proposent un choix sans cesse croissant de schémas disponibles.
      On peut comparer ce phénomène à la composition musicale : le musicien (le nouveau-né) dispose de 7 notes de musique utilisables selon des règles précises (les automatismes déterminés) mais les possibilités créatives (les nouvelles connexions) sont illimitées.En fonction des mouvements et des perceptions successives de l'environnement, et grâce à la formidable plasticité du système nerveux, les cartes cérébrales se constituent peu à peu.
  • Le processus s'achève par la maturation des synapses et n'est réellement achevé qu'à la fin de l'adolescence.

Complexité ... et fragilité

Bien à l'abri sous la boîte crânienne, le cerveau n'échappe malheureusement pas à certains incidents. Accidents vasculaires cérébraux ou traumatismes crâniens sont à même de provoquer des lésions cérébrales et donc une destruction plus ou moins importante de neurones. L'intensité de l'atteinte motrice ou intellectuelle dépend directement de la topographie et de l'étendue des lésions. La capacité de récupération est plus aléatoire, la plasticité neuronale (et donc la capacité de créer de nouvelles connexions interneuronales compensatrices) varient, elles aussi, en fonction du nombre et de la localisation des cellules détruites, mais aussi de l'âge du patient, de son état de santé, de sa volonté, de la qualité de la prise en charge kinésithérapique ... et probablement de son capital génétique.

Certaines maladies chroniques sont aussi susceptibles d'altérer le fonctionnement du cerveau, comme :

- l'insuffisance respiratoire et cardiaque (par manque d'oxygénation),

- l'arythmie cardiaque (qui favorise la formation de caillots de sang susceptibles de se déplacer et de provoquer des accidents vasculaires cérébraux,

- les collagénoses,

- les maladies métaboliques (diabète, dyslipidémies ...).

Enfin, drogues (tabac et surtout alcool), toxiques (monoxyde de carbone) et intoxications médicamenteuses sont susceptibles de créer des lésions cérébrales irréversibles.

Les examens d'exploration

Le scanner cérébral

Révolutionnaire, le scanner cérébral a été le premier examen radiologique qui ait permis de visualiser directement le cerveau. Parfaitement indolore, c'est l'examen de première intention dans la plupart des pathologies neurologiques, qu'il s'agisse d'accidents vasculaires cérébraux, de contusions post-traumatiques, de tumeurs ou de maladies chroniques.

L' IRM cérébral

L'imagerie par résonance magnétique est généralement péconisée en deuxième intention, après le scanner. Contrairement à ce dernier, l'IRM n'utilise pas les rayons X mais un champ électromagnétique pour faire entrer en résonance le noyau des atomes d'hydrogène constitutifs du corps humain.

Ce procédé indolore et dénué de risque permet d'obtenir des images d'une précision incomparable, et leur traitement informatique autorise la découpe virtuelle du corps - le cerveau dans le cas présent - dans otus les sens.

Le point sur le fonctionnement d'un IRM

Le corps humain est constitué en grande partie de molécules d'eau, en nombre variable selon les organes et l'âge de l'individu. Chaque molécule d'eau (H2O) se compose de deux atomes d'hydrogène (H) et d'un atome d'oxygène (O). Les noyaux de tous les atomes d'hydrogène, ou protons, tournent en permanence sur eux-mêmes et se répartissent de manière aléatoire.

Si on les soumet à un champ magnétique constant, ils s'alignent dans l'axe principal de cet aimant. Si on y ajoute une radiofréquence, les protons se mettent à vibrer. On dit qu'ils entrent en résonance.

Quand on arrête cette radiofréquence, la vibration des protons cesse. Chacun d'eux émet alors un signal spécifique qui traduit son retour à la normale.Le recueil de l'ensemble des signaux émis dans la région examinée constitue l'image IRM.

L'électroencéphalogramme (EEG)

Parfaitement indolore, l'électroencéphalogramme est l'équivalent de l'électrocardiogramme pour le coeur : c'est l'enregistrement de l'activité électrique cérébrale au moyen d'électrodes placées sur le cuir chevelu. Les rythmes cérébraux se caractérisent par leur fréquence (alpha, bêta,thêta, delta), leur amplitude (en microvolt), leur aspect, leur localisation et les circonstances (yeux ouverts ou fermés, envoi de flashs lumineux dans les yeux) qui les déclenchent ou les font disparaître. L'EEG permet donc d'analyser l'activité cérébrale et s'avère particulièrement utile dans les troubles du sommeil, l'épilepsie et le coma.

La ponction lombaire

Impressionnante mais guère dangereuse, la ponction lombaire permet de recueillir quelques millilitres du liquide céphalo-rachidien dans lequel baigne le système nerveux. Indispensable dans le diagnostic des méningites, elles est aussi d'un apport précieux dans des pathologies neurologiques chroniques comme la sclérose en plaques.

Le mystère de la pensée

Bien que les mécanismes de transmission et d'intégration des informations via la propagation de l'influx nerveux soient élucidés, la genèse de la pensée reste inconnue. Dès la naissance, l'homme dispose d'un formidable potentiel de connexions neuronales en expansion constante. C'est la bonne utilisation des schémas proposés et la capacité d'en " improviser " d'autres qui pourraient définir l'intelligence.

Cependant, l'intelligence n'est pas la pensée

Le développement de l'intelligence, de la mémoire et de la capacité de concentration est une condition indispensable mais pas suffisante à son élaboration. Si l'étude et l'observation des patients souffrant de maladies neurologiques ont montré que les fonctions intellectuelles dites supérieures (mémorisation, raisonnement, calcul mental, apprentissage du langage ...) sont sous la dépendance de zones spécifiques du cerveau, seules des lésions cérébrales multiples et étendues suppriment la pensée. La pensée n'est ni une cellule, ni une molécule, ni un neuro-transmetteur, ni une connexion neuronale. La pensée est une énigme ...

Vieillissement " normal "

Dès le stade du foetus, le neurone, contrairement à la plupart des cellules des autres organes (foie, peau ...) a une caractéristique unique : il ne se divise pas et ne se multiplie pas. Lorsqu'un neurone meurt, il n'est pas renouvelé. Nous naissons en quelque sorte avec un stock fixé de neurones, stock qui décroît lentement au fil du temps.

Deux phénomènes marquent le vieillissement normal, naturel, du cerveau :

  • la perte progressive d'une petite partie de nos cellules nerveuses,
  • mais aussi la perte des capacités de nos neurones, notamment au niveau de la plasticité neuronale et de la possibilité des interconnexions.

Enfin, il faut aussi tenir compte des antécédents médicaux et du mode de vie de chacun. Traumatisme cérébral, accident vasculaire cérébral, mauvaise oxygénation du cerveau, maladies graves, intoxications diverses (drogues, tabac, alcool,médicaments ...) peuvent provoquer des lésions cérébrales, et donc une perte parfois importante du nombre et de la fonctionnalité des neurones.

Parkinson et Alzheimer, exemples de vieillissement pathologique

A l'inverse du vieillissement normal, certaines maladies, dites " neuro-dégénératives ", provoquent une perte des neurones et donc un vieillissement accéléré et pathologique du cerveau. Les plus tristement célèbres sont la maladie d'Alzheimer et la maladie de Parkinson. Ce sont des maladies chroniques, lentement évolutives, lésant spécifiquement des zones très précises du cerveau (et donc des groupes particuliers de neurones), d'où le retentissement clinique facilement reconnaissable de ces maladies.

La maladie de Parkinson touche les noyaux gris centraux, et plus particulièrement les neurones dits dopaminergiques, c'est-à-dire ceux produisant la dopamine, neurotransmetteur essentiel à la motricité. Cette atteinte spécifique explique les signes cliniques de la maladie : tremblements, lenteur des mouvements (ou akinésie) et hypertonie. Si la mise au point de médicaments dérivés de la dopamine a radicalement modifié le pronostic et la qualité de vie des malades, bien des progrès restent à accomplir.

La maladie d'Alzheimer se caractérise par la dégénéresence des cellules nerveuses impliquées dans les processus de mémorisation et des fonctions intellectuelles dites supérieures due à deux types de lésions cérébrales : les " plaques séniles " et la " dégénérescence neurofibrillaire ".

  • Les plaques sont constituées de dépôts anormaux d'une protéine (la susbstance bêta-amyloïde) qui aurait un effet toxique et destructeur sur les neurones avoisinants.
  • La dégénérescence neuro-fibrillaire touche plus particulièrement le cytoplasme des neurones; l'accumulation anormale d'une autre protéine, la protéine tau, est en cause. Ces dysfonctionnements touchent les zones du cerveau responsables des fonctions intellectuelles supérieures : mémoire, langage, calcul mental, réflexion ... Aucun traitement ne guérit cette maladie; cependant, certains médicaments sont désormais susceptibles de ralentir son évolution.

Greffes, électrodes et thérapie génique : le fol espoir

Loin d'être un rêve de science-fiction, les greffes de cellules nerveuses dont l'objet de nombreux travaux, notamment dans la maladie de Parkinson.

Les recherches s'orientent dans trois directions :

- la greffe de cellules embryonnaires,
- la greffe de cellules génétiquement modifiées
- et la thérapie génique (qui consiste à introduire un gène codant la synthèse de la dopamine dans des neurones atteints).
- Enfin, l'implantation d'électrodes stimulant, par décharges électriques, les zones lésées chez des patients qui souffrent de la maladie de Parkinson mais aussi d'épilepsie, semble d'ors et déja donner des résultats satisfaisants.

Dr. Eva Gulesser
Dr Etienne Brissaud

(neurologue - Hôpital Lariboisière de Paris)