Par Le National
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L'Inserm s'inquiète des effets à long terme du cannabis

PARIS (Reuters) - Des experts de l'Inserm qui ont travaillé sur le cannabis appellent à mieux cibler les campagnes d'information et de prévention et à développer les recherches sur cette drogue, en particulier sur ses effets à long terme, encore mal connus.

Cette expertise, présentée aujourd'hui au ministère de la Santé, intervient alors que plusieurs essais évaluant l'utilisation thérapeutique du cannabis pourraient bientôt démarrer en France, et que certains, comme le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner, réclament un débat parlementaire sur la dépénalisation du cannabis.

Les experts réunis par l'Inserm ne se sont cependant pas penchés sur la question de l'usage thérapeutique du cannabis.

A la demande de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), l'Inserm a réalisé une expertise collective intitulée "Cannabis: quels effets sur le comportement et la santé?", pour constituer un bilan des connaissances actuelles et adapter les prochains messages d'information et de prévention pour le grand public.

L'analyse d'environ 1.200 articles faite par les 14 experts, scientifiques et médecins, réunis par l'Inserm, a donné lieu à plusieurs constats.

Les experts ont notamment constaté que l'expérimentation du cannabis concerne essentiellement les jeunes de 15 à 19 ans, que ses effets immédiats sur la santé sont bien connus, contrairement à ses effets différés, et que certains facteurs génétiques, sociaux ou familiaux semblent déterminer une plus grande vulnérabilité à une consommation abusive de cannabis.

Ils recommandent en premier lieu de tenir compte dans les campagnes d'information et de prévention "des différences de consommation, selon l'âge et le sexe", sachant que c'est en général vers 19 ans que le virage vers une consommation répétée ou une polyconsommation est pris.

L'abandon de la consommation concerne en revanche la majorité des adultes après 30-35 ans.

Il est également nécessaire, selon les experts, de cibler ces campagnes, selon les risques sanitaires immédiats ou à plus long terme.

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Risques de cancers

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Les données sur l'utilisation répétée et régulière de cannabis sont encore fragmentaires, notent-ils.

Si une dépendance physique n'est généralement pas observée, un phénomène de tolérance s'installe, caractérisé par un besoin de doses plus fortes du produit pour obtenir l'effet recherché. Des syndromes de sevrage de faible intensité ont également été décrits. Le risque de dépendance concerne, selon les études, 5% de la population.

En outre, des effets à long terme sont susceptibles d'apparaître. Plusieurs travaux suggèrent ainsi une association avec la survenue de cancers bronchopulmonaires ou des voies aérodigestives supérieures et un raccourcissement du temps de latence de développement du cancer bronchique.

Des altérations de la mémoire à court terme font aussi partie des effets à long terme du cannabis.

Les experts préconisent de prendre en considération dans les campagnes de prévention des facteurs individuels de vulnérabilité pour une consommation abusive, tels que certains traits ou des troubles de la personnalité, le tabagisme et l'alcoolisation précoce, les problèmes d'addiction des parents.

En outre, des situations particulières comme la conduite automobile ou les postes à risque, les troubles mentaux, la grossesse et l'allaitement doivent être prises en compte dans ces campagnes.

La consommation de cannabis peut révéler ou aggraver des troubles mentaux et aussi avoir un effet néfaste sur la croissance du foetus, précisent les experts.

Le deuxième axe des recommandations établies à l'issue de cette expertise concerne le développement des recherches.

Au vu du peu d'études épidémiologiques existantes, les experts proposent, parmi les pistes de recherche, celle des facteurs associés à une consommation répétée ou celle des facteurs qui permettraient de passer de la consommation d'alcool et/ou de tabac au cannabis.

Ils suggèrent aussi d'étudier la possibilité d'une vulnérabilité commune, génétique ou environnementale, aux troubles mentaux, schizophréniques en particulier, et à la dépendance au cannabis.

Le groupe d'experts recommande par ailleurs qu'une étude de suivi d'enfants de mères consommatrices pendant la grossesse soit effectuée, "afin de recenser et de quantifier les effets de cette consommation sur le devenir de l'enfant".

Des recherches épidémiologiques en France et en Europe doivent également être menées sur le développement de cancers liés à la consommation chronique de cannabis ou à une exposition in utero.