Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Homosexualité masculine dans le couple, le dur apprentissage de la bisexualité au quotidien.

en collaboration avec RGL-Maginfo

Qui sont les bisexuels ? Où sont-ils ? On ne sait pas. C'est une tache blanche sur la carte de la sexualité contemporaine.
Toujours rabattus sur l'hétérosexualité ou (plus souvent) sur l'homosexualité. En fait, ils n'appartiennent à aucune catégorie. On ne sait pas très bien comment les classer. Eux non plus.

Sur 15 ans de sondages sur la sexualité, les bisexuels n'apparaissent jamais !
Ils se cachent tant et si bien qu'ils finissent par disparaître, ayant ainsi une facheuse tendance à l'invisibilité. Tout dans leur comportement vise à l'inexistence.
Ils n'existent pas, tout simplement parce qu'ils cachent leur homosexualité dans leur hétérosexualité, d'où la fureur des homosexuels à leur égard.
Ce sont des planqués, des gens irrepérables qui passent d'une sexualité à l'autre, qui détournent les catégories, trompant tout le monde et s'échappant toujours.
Un peu comme pour la prostitution, il y a les bisexuels occasionnels et les bisexuels à temps continu.

Comme leur nom l'indique, les occasionnels naissent de l'occasion... et disparaissent avec elle. Communautés masculines, métiers du voyage, gens du nomadisme, moments flottants de la vie où on ne sait plus où l'on est, on est en crise, on se cherche : ce sont des gens perdus ou qui ne sont pas encore fixés ou qui traversent les sexes comme ils traversent la vie, toujours d'un point à un autre, entre deux, nulle part.

Les bisexuels installés, au contraire, ont construit leur vie comme une valise à double fond. Ils l'ont échafaudée sur un secret. Etanche. Mènent une vie d'agent double, se font l'espion de leur propre vie.
Tout le problème pour eux consiste à égarer, tromper, échapper, fuir, mentir. Vie de combines, de cachotteries, d'équivoques, de codes.
On comprend alors que pour eux, tout se résume à la question de savoir gérer le temps... et leur agenda.

La bisexualité, en fait, a ceci de fascinant qu'elle n'intègre pas, n'harmonise pas, n'angélise pas les principes masculin et féminin (c'est le contraire exact de l'androgynat, dans le mythe d'Aristophane) : c'est une schize, une tension, une guerre de la sexualité en soi. Et c'est cette tension permanente qui fait de leur vie, comme chez les espions et les traîtres, une énigme ou une imposture.

4,1% d'hommes déclarent avoir eu au moins 1 rapport homosexuel au cours de leur vie (5,9% dans la région parisienne)

Occasionnelle ou régulière, cette bisexualité est très élevée : aux Etats-Unis, 2/3 des hommes ayant eu des pratiques bisexuelles sont mariés ou l'ont été.
Ces chiffres témoignent d'une réalité : l'homosexualité masculine trouble parfois la vie d'un couple hétérosexuel.
Comportement complexe et difficile à assumer, cette ambivalence masculine reste l'expression de la part de l'homme marié :

  • d'une méconnaissance ou du déni de sa préférence sexuelle;
  • d'une conformité sociale (profil de carrière, fondation d'une famille : "rentrer dans les rangs").
  • de bisexualité authentique...

De son côté, la femme, l'épouse, en retire un vif sentiment de trahison, et au-delà, la remise en question de la cohésion familiale.

Un désir mal toléré

Au début de leur vie amoureuse, beaucoup d'adolescents hésitent à identifier en eux un désir homosexuel. Le modèle dominant de l'hétérosexualité les engage à se tourner vers les femmes en écartant l'interrogation sur la nature de leur désir. C'est pourquoi les hommes qui se sont mariés jeunes découvrent parfois plus tard en eux un désir homosexuel qui leur était méconnu à l'époque où ils se sont engagés avec leurs femmes.

Méconnaissance ou déni de sa préférence sexuelle

  • Bon nombre d'hommes devenus exclusivement homosexuels ont connu des mariages de courte durée, contractés pendant leur jeunesse, se rendant compte très vite que les relations avec une femme ne les satisfont pas : mésentente sexuelle ou désir intense d'avoir des relations sexuelles avec des hommes.
  • D'autres hommes disent n'avoir identifié leur attirance homosexuelle qu'après plusieurs années de mariage. Cette "homosexualité latente" peut s'interprêter par l'insatisfaction éprouvée dans la relation conjugale.
  • Chez les derniers, l'attirance homosexuelle est plus flagrante et prédomine dans les rapports sexuels : l'homme doit s'imaginer le corps d'un autre homme nu pour parvenir à la jouissance lors d'un rapport sexuel avec une femme.

Pour la plupart des hommes adultes, identifier en soi, un désir homosexuel, c'est beaucoup moins le découvrir que l'accepter

Conformité sociale

Si elle peut être écartée ou endormie pendant quelques temps, l'attirance pour les hommes ne peut être définitivement ignorée.

L'idéal du mariage et la paternité peuvent, pendant un temps, soutenir un homme dans sa lutte contre son désir homosexuel : beaucoup estiment que la volonté de préserver leur union et d'être un "bon père" sera assez forte pour les écarter de leur homosexualité. Mais c'est méconnaître le caractère prévalent ou même exclusif que peut avoir le désir homosexuel.

Cette tension entre l'idéal de la famille et la résurgence du désir homosexuel au cours de la vie de couple peut provoquer des ravages chez les hommes, équivalant à "tout perdre".
Pour maintenir cette fragile "couverture sociale", l'homme ne peut vivre son homosexualité que dans la clandestinité, estimant qu'une aventure homosexuelle est plus "grave" qu'une infidélité avec une femme, "je ne la trompe pas seulement avec quelqu'un d'autre, je lui mens sur ce que je suis".
Les moins scrupuleux d'entre eux, pensent au contraire qu'une infidélité homosexuelle est moins grave : l'épouse n'est pas mise en compétition avec une autre femme, situant ainsi la pratique homosexuelle du côté du sexe, et la relation avec leur femme du côté de l'amour: l'homosexualité concerne un autre désir, une autre jouissance, qui ne met pas en danger l'amour qu'un homme peut avoir pour sa femme.

Tromper sa femme ne saurait se résumer à l'infidélité; ce peut être également l'envie de rapports amicaux et sociaux avec des hommes qui partagent le même désir.
"Avoir envie de garçons, c'est avoir envie de relations avec les garçons. De vivre ensemble, de partager leur temps, leur repas, leur chambre, leurs loisirs, leurs chagrins, leur savoir, leurs confidences".

Il est évident que le désir impérieux d'avoir des contacts avec des homosexuels, même si la sexualité n'en est pas la perspective exclusive, perturbe la relation qu'un homme peut avoir avec sa femme

Bisexualité authentique

Freud a dégagé de l'étude des névroses la constitution bisexuelle de l'être humain.
Il existe en chacun une double composante psychique, masculine et féminine. Cette bisexualité se manifeste par des fantasmes homosexuels souvent refoulés. Certains hommes revendiquent une bisexualité authentique, disant qu'ils se sentent attirés par les hommes et par les femmes, et qu'ils peuvent éprouver de la jouissance avec les deux sexes.

Ainsi, Cyril Collard, bisexuel notoire déclarait dans ses carnets (l'Ange Sauvage chez Flammarion) qu'il se sentait obligé de se justifier de sa bisexualité auprès des homosexuels et des femmes.

  • "Vous, les pédés, qui m'avez reproché de coucher avec des filles. Elles vous dégoûtent, et vous ne pensez pas possible que j'aie pris du plaisir avec elles. Vous croyez que je suis exactement comme vous. Mais je ne suis pas exactement comme vous. J'aime faire l'amour à des femmes, et, au contraire de vous, je peux penser à leur sexe sans vomir".
  • "Vous voulez me convertir, me guérir, me rendre heureux, me faire oublier, me faire aimer. Me faire vous aimer. Vous ne savez pas ce que j'éprouve quand je dors contre le flanc de certain garçons, quand ils me serrent dans leurs bras".

Il apparaît selon une étude sociologique sur la bisexualité (1994) que les individus qui ont des relations sexuelles avec les deux sexes et qui se vivent comme réellement "bisexuels" représentent une très faible minorité. En outre, la plupart reconnaissent qu'ils ne trouvent, ni ne cherchent les mêmes satisfactions auprès des hommes et auprès des femmes, mais aucun ne déclare qu'ils éprouvent pour les hommes et les femmes un désir indifférencié, ni d'une intensité comparable.

Ce n'est pas parce qu'un homme fait l'expérience des deux sexes qu'il désire également l'un et l'autre et qu'il jouit de l'un comme de l'autre

Le désir secret d'un homme est parfois en décalage avec son comportement extérieur : ce comportement peut être imposé par des impératifs sociaux ou moraux.

En effet, certains hommes homosexuels affirment que le fait d'avoir eu des relations sexuelles avec une femme ne les rend pas "bisexuels" pour autant : leurs relations avec les femmes n'étaient pas l'expression de leur désir sexuel, mais la conséquence de leur éducation ou des exigences de la société.Le caractère prévalent de l'attraction homosexuelle n'entraîne chez un homme aucune incapacité auprès d'une femme : un homme homosexuel est parfaitement capable d'avoir une relation amoureuse et sexuelle avec une femme, et même d'en éprouver certaines satisfactions.

L'homosexualité, c'est d'abord une certaine forme de désir et non pas une restriction de la capacité affective ou sexuelle

En ce sens, un homme peut avoir une relation amoureuse avec une femme tout en s'identifiant lui-même comme homosexuel, parce que ses fantasmes sont essentiellement orientés vers les hommes.
Par ailleurs, le désir inconscient d'un homme est parfois contraire au choix manifeste d'un partenaire sexuel : ce choix peut être déterminé par un idéal inconscient qui peut s'opposer à son désir réel de façon souvent plus sévère et plus rigoureuse qu'une interdiction énoncée de l'extérieur. Lorsqu'il éprouve un désir homosexuel, un homme peut se convaincre qu'il aime malgré tout les femmes, parce que l'hétérosexualité représente pour lui une sorte d'obligation morale.

En fait, l'affirmation de sa bisexualité correspond souvent chez un homme à une dernière résistance à l'aveu de son homosexualité : la majorité des hommes qui se disent d'abord bisexuels évoluent progressivement vers une homosexualité exclusive. Freud observe que certaines positions homosexuelles n'excluent pas l'hétérosexualité et ne s'accompagnent d'aucune "horreur de la féminité".
Ce n'est pas le dégoût de la castration féminine qui est au fondement de leur homosexualité, mais la composante narcissique du choix d'objet sexuel. Freud en explique le mécanisme : au cours de l'enfance, le futur homosexuel éprouve des sentiments de rivalité et de jalousie particulièrement intenses envers ses frères aînés avec lesquels il doit partager l'amour de sa mère. Sous l'effet de l'éducation, ces pulsions agressives sont refoulées. L'énergie pulsionnelle ne pouvant être annulée, elle se renverse dans son contraire : la haine viscérale pour les frères se transforme en amour homosexuel. Ce dépassement précoce de l'hostilité porte l'homosexuel à voir en la personne d'un autre homme un ami ou un objet d'amour.

Beaucoup d'homosexuels se marient pour des raisons sociales : "être avec une femme, c'est être accepté; être homosexuel, c'est être rejeté"

Ce terrible regard de la société est incarné en premier lieu par la famille. Beaucoup d'hommes parviennent à vivre ouvertement leur homosexualité à condition de résider loin de chez leurs parents. Le jugement d'une société en évolution n'a pas sur eux l'effet du veto parental. Pour se conformer aux idéaux de leurs parents, les fils homosexuels ne se contentent pas toujours de faux mariages.
Mais la satisfaction d'un idéal ne remplace pas la satisfaction d'une pulsion. L'écart entre les deux donne lieu à des désirs inconscients qui sont à l'origine des névroses.
Ces conflits peuvent provoquer chez un homme des tensions très douloureuses. Dans les cas moindres, ces tensions prennent la forme d'un sentiment aigü de culpabilité. Chez certains hommes, le conflit entre le désir homosexuel et l'impératif de "l'idéal" peut donner lieu à des accès d'angoisse ou de dépression.

La peur de l'homosexualité

Certains hommes se sont mariés parce qu'ils étaient effrayés par leur propre désir homosexuel. "Vivre avec une femme, cela me rassure. Mais je sens en moi des désirs contradictoires".
La peur d'aimer les hommes repose souvent sur des représentations négatives de l'homosexualité :

"J'ai toujours su que l'homosexualité à vingt ans, c'est la fête, à quarante ans c'est la solitude et la souffrance"

Bien des hommes, passé le cap de la quarantaine, souffrent de la compétition esthétique qui règne dans l'univers homosexuel. Ils craignent de ne plus être à leur place dans ce monde où la jeunesse est souveraine.
Certains hommes considèrent que les plaisirs homosexuels n'ont qu'un temps.
Le mariage représente ainsi une tentation pour des hommes qui redoutent la solitude et qui n'ont pas réussi à établir des relations solides, d'amitié ou d'amour, dans l'univers homosexuel. Ce désir de fuir le "milieu" homosexuel touche aussi des hommes jeunes. Les nuits tardives, les rencontres anonymes et les partenaires multiples correspondent à une certaine réalité de l'univers homosexuel des grandes villes. Ce mode de vie ne convient pas à tous : certains le jugent superficiel. A long terme, il insatisfait ceux qui souhaitent vivre en couple. Mais certains hommes disent qu'ils ne parviennent pas à établir avec un autre homme une relation stable.

"La nuit, on est dans un bar, on croit être heureux, on est ouvert à tout le monde. On a un éblouissement pour un garçon. On donnerait tout pour l'avoir dans ses bras et on attend tout de lui.
On passe la nuit avec lui.
Et le lendemain il ne reste plus rien"

Le désir homosexuel serait trop fugace : les lendemains ne seraient jamais à la hauteur des nuits. Certains rejettent la faute sur le fonctionnement du "milieu" homosexuel.

Rechercher la vie de couple c'est être qualifié de petit-bourgeois hétéro, rechercher l'homme idéal, c'est être comparé à la midinette.
Dans ce milieu, il y a beaucoup de garçons qui préfèrent vivre dans le plaisir, ou dans la passion, mais qui ne supportent pas de rester fidèles.
Ces hommes reconnaissent que les relations homosexuelles comblent le désir sexuel, mais ils estiment qu'elles se révèlent toujours catastrophiques lorsqu'il s'agit d'amour. Les relations homosexuelles mettent souvent en évidence la disjonction entre la recherche de la jouissance et la quête de l'amour.

"Ce n'est pas dans ce milieu que je trouverai l'homme idéal", assure Nicolas. Pour lui, l'homosexualité est une source de tension et de douleur.
Ses relations avec un homme sont toujours de l'ordre d'un rapport de forces, entre la conquête et la possession. La plupart de ses amies sont des femmes. Il leur accorde sa confiance plus facilement qu'aux femmes : "mes relations avec les femmes ont toujours été moins tordues qu'avec les hommes", conclut-il.
Comme il ne supporte pas d'être seul, il a choisi d'habiter avec une amie. Une femme pourrait être son refuge contre l'homosexualité. Elle représente à ses yeux une forme de stabilité et la promesse d'un certain équilibre. Pour lui, l'idéal serait de vivre avec une femme et de réaliser de temps en temps ses désirs homosexuels.
Nicolas confie avec un certaine émotion : "J'aimerais même épouser une femme intelligente, qui puisse accepter ce que je suis. Partager avec elle quelque chose de vrai, de profond. Entre nous, il n'y aurait pas de mystères".

"Dans le monde homosexuel, j'ai trop souffert des mensonges et des trahisons"

L'amour avec une femme, la jouissance avec les hommes - le voeu de Nicolas - illustre de façon exemplaire la disjonction entre l'amour et le désir.

Le désir d'être père

Etre homosexuel n'interdit pas à un homme de vouloir être père. Certains veulent avoir un enfant pour laisser une trace d'eux-mêmes; d'autres souhaitent surtout élever un enfant, qu'il soit ou non de leur propre sang. Les premiers disent souvent que le plaisir avec des hommes leur laisse une impression de frustration, percevant les relations homosexuelles comme éphémères et stériles. La possibilité d'avoir un enfant et la création d'une famille leur semblent garantir la pérénnité d'une relation.
Les hommes homosexuels envisagent parfois d'avoir un enfant avec une amie proche restée célibataire. Il arrive que ces femmes réalisent leur propre désir d'avoir un enfant avec cet homme dont elles connaissent l'homosexualité.

Sans que bien sûr, cette perception de la paternité soit spécifiquement liée à l'homosexualité, le désir d'être père ne correspond pas directement chez certains hommes à l'envie de se reproduire, mais plutôt à l'envie de transmettre quelque chose à l'enfant. Ils choisissent parfois d'adopter un enfant et de l'élever avec l'aide d'une amie ou d'une parente.

Une méconnaissance volontaire chez la femme

On estime à 85% environ, la proportion de femmes fiancées à des hommes "bisexuels" qui n'ont jamais soupçonné que leurs futurs époux étaient attirés par des hommes.
Ces femmes, en majorité, ignorent son activité homosexuelle, et ne l'ont appris que le jour où leurs maris ont voulu se séparer d'elles pour vivre avec un homme : il est souvent difficile pour ces hommes qui ont été mariés d'assumer "seuls" l'homosexualité et le mode de vie qui lui est associé; souvent, ils ne quittent la sécurité de leurs familles que pour un partenaire stable, susceptible de leur offrir la sécurité d'un couple.

On peut se demander comment une femme peut réellement ignorer qu'un homme dont elle partage la vie est homosexuel

La découverte de l'homosexualité du mari n'a pas toujours lieu dans un contexte de tension : certaines femmes racontent qu'elles ont trouvé par hasard des revues gays dans les affaires de leurs époux. D'autres ont été averties par une indiscrétion, un appel téléphonique destiné au mari, certaines l'ont même été directement par un amant de celui-ci. Il est aussi arrivé à certaines femmes de surprendre leurs maris avec un homme.

Lorsqu'elles ont découvert l'homosexualité de leurs époux, les femmes tentent d'analyser la relation qu'elles ont avec eux. Elles cherchent à déceler et à interpréter des signes éventuels de leur homosexualité. Il leur est indispensable de reconstruire leur passé pour comprendre une vérité qui leur a échappé. Elles interprètent sous un nouvel angle les absences fréquentes du mari, ses voyages professionnels, des activités extérieures dont elles ignoraient la nature.

Les difficultés sexuelles qui surgissent après plusieurs années de mariage conduisent rarement une femme à conclure à l'homosexualité éventuelle de son mari. Ces difficultés sont beaucoup plus naturellement expliquées par une crise banale que la plupart des couples peuvent traverser après une longue durée de vie commune. Bien que les maris tentent de justifier leur absence de désir par un accès de fatigue ou des préoccupations extérieures, les femmes se sentent souvent responsables des difficultés rencontrées dans leur vie sexuelle. Elles invoquent leurs propres inhibitions ou leur incompétence. Les femmes qui ont connu une relation amoureuse avec un homme homosexuel ont souvent été frappées par le fait que les rapports sexuels sont restés inexistants pendant une période d'une longueur inhabituelle, six mois ou plus .

En général, les femmes apprécient d'abord cette lenteur à aborder l'aspect sexuel de la relation; elles l'interprètent comme une marque de respect. Certaines y voient même la preuve d'un amour authentique et la promesse d'une relation durable. L'absence de rapports sexuels n'interdit pas l'affection et la sensualité.
Si la situation se prolonge, l'hypothèse de l'homosexualité leur paraît souvent sans fondement, dans la mesure où l'homme semble être réellement attaché à elles.

On constate alors que certaines femmes restent dans l'ignorance parce qu'elles cherchent inconsciemment à éviter de se confronter à une vérité douloureuse.Elles conservent une attitude de déni pour ne pas mettre leur mariage en péril : pour ne pas souffrir, elles ne veulent pas savoir

Comment comprendre cette méconnaissance de l'homosexualité d'un partenaire si largement partagé par les femmes concernées ? Découvrir l'homosexualité d'un homme qu'elle aime entraîne chez une femme une interrogation sur les raisons de ce choix d'objet "Ce que j'aimais en lui, c'étaient peut-être justement les qualités d'un homme homosexuel".

Réactions d'épouses

Les types de réactions dépendent d'un certain nombre de paramètres, en particulier des "idéaux" de la femme par rapport à son mariage. Les réactions varient en fonction du degré de dépendance affective dans lequel elle se trouve vis-à-vis de son mari.

Le "contenu" de l'aveu a aussi son influence : la réaction de la femme peut être plus tempérée si son époux lui avoue qu'il a des fantasmes homosexuels ou une aventure unique plutôt que s'il fait état d'une pratique homosexuelle régulière qui a perturbé depuis longtemps les relations dans le couple.

Toute infidélité masculine suscite chez une femme le sentiment qu'elle a été trahie.
Lorsqu'elles découvrent que le mari leur a caché une longue pratique clandestine de l'homosexualité, les femmes n'éprouvent plus un sentiment d'injustice, mais bien de trahison. Le coupable n'est plus le sort ou quelque "fatalité homosexuelle", mais le mari, lui-même, tenu pour unique responsable de son propre désir.

Parfois, le fait que le rival soit un homme peut toutefois produire l'effet inverse : certaines femmes s'inquiètent de l'avoir "poussé" vers l'homosexualité en lui présentant une mauvaise image de la féminité, propre à repousser le désir. Elles incriminent en elle des traits ou des comportements relevant d'une certaine "masculinité" : par exemple, un caractère autoritaire ou une situation professionnelle supérieure à celle du mari. S'attribuer la responsabilité de l'homosexualité d'un homme, c'est aussi une façon de conserver un rôle imaginaire dans sa vie. Certaines femmes préfèrent se croire coupables plutôt qu'étrangères au désir d'un mari pour les hommes.

Si toute femme quittée ou trompée souffre d'une perte d'amour, l'amour-propre des femmes semble être parfois moins affecté par une infidélité homosexuelle que par une infidélité commise avec une autre femme.
Une rivale féminine est plus ou moins une semblable avec laquelle une femme peut se comparer. L'autre femme est aimée, désirée et finalement préférée pour un certain nombre de qualités qui manquent peut-être à la première. Lorsqu'il s'agit d'un homme, aucune comparaison n'est possible en termes de qualités. L'objet de la préférence est d'un autre sexe. La faute peut donc être entièrement imputée à l'homosexualité : la femme n'est pas responsable de la préférence sexuelle de son mari; ses qualités de femme ne sont pas mises en question. En outre, celle-ci peut considérer qu'elle garde une position privilégiée parmi les femmes en général puisqu'elle reste malgré tout la seule femme pour son mari.

Lorsqu'elles sont confrontées à une infidélité homosexuelle, certaines femmes éprouvent un sentiment d'impuissance parce qu'elles ne peuvent rivaliser avec un homme.

Un homme ne peut pas choisir entre un homme et une femme comme il pourrait éventuellement choisir entre deux femmes, car les satisfactions qu'il obtient d'un homme ne sont pas les mêmes que celles qu'il cherche auprès d'une femme. L'homosexualité d'un homme apparaît alors comme la faillite de leur féminité toute entière.

La vie de famille

Intégrité du couple

L'homosexualité d'un mari ne conduit pas toujours à la séparation. Certains couples sont parfois très unis, bien que la vie sexuelle tienne entre eux peu de place. Les femmes sont susceptibles de tolérer chez leur compagnon un désir qui diverge. La volonté de ne pas se séparer peut s'exprimer en particulier chez des hommes et des femmes qui ont longtemps vécu ensemble dans une bonne entente. L'attachement va alors au-delà de leur sexualité.
Pour rester ensemble, certains couples s'accordent sur un compromis fondé sur la liberté sexuelle. Ils gardent souvent leur secret pour ne pas être l'objet de critiques et ne pas choquer ou perturber l'entourage. Jusqu'à une époque récente, l'homosexualité restait souvent un "secret de famille", et le souci des convenances justifiait quelques "arrangements".

Un père homosexuel

Un certain nombre d'ouvrages ont été publiés sur la question, principalement aux Etats-Unis incitant les enfants et les adolescents à s'interroger sur la nature de la famille, à les protéger de l'exclusion et à les préparer aux questions relatives à l'homosexualité d'un père : les sentiments d'un père homosexuel pour leurs mères, les implications de l'homosexualité, les problèmes d'exclusion, la réalité du sida...

Pour l'enfant, c'est une leçon de tolérance lui permettant d'avoir une intelligence précoce des différences entre les hommes et des problèmes d'exclusion

La plupart des pères, en règle générale, souhaitent que leurs enfants ignorent leur homosexualité, redoutant d'être rejetés par eux. Certains craignent également que leurs enfants ne soient l'objet de moqueries ou d'insultes.
L'arrivée du sida représente pour eux une raison supplémentaire de garder le secret : l'enfant pourrait être victime d'une discrimination en raison de l'assimilation fréquente du sida à l'homosexualité par le grand public.

Les mères redoutant parfois l'influence d'un père homosexuel sur son fils, elles se demandent si un père homosexuel peut apprendre à son fils à être un homme. Si un père doit être un modèle, comment un père homosexuel peut-il apprendre à son fils à aimer les femmes ? En principe, de façon très simplifiée, un fils devrait s'identifier à son père pour assumer son propre sexe et faire un choix d'objet hétérosexuel. Avoir un père qui aime les hommes pourrait perturber le désir insconscient d'un fils, puisque "être comme" son père, c'est désirer comme son père.

Le cas échéant, la reproduction par un fils de l'homosexualité d'un père n'est pas due à l'hérédité, mais à une identification inconsciente du fils au désir de son père. Il arrive que l'homosexualité cachée d'un père soit assumée par son fils, l'aidant en celà à s'assumer. En revanche, la découverte de l'homosexualité d'un père peut se révèler parfois très perturante pour un fils hétérosexuel.

Les pères homosexuels disent en général qu'ils ne voudraient pas que leurs fils deviennent homosexuels. Ils ne souhaitent pas que leurs fils traversent les difficultés et les souffrances qu'ils ont eux-mêmes endurées parce qu'ils étaient homosexuel.