Par Le National
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Le fléau du SIDA gagne de plus en plus la Birmanie.

Par Matthew Pennington

RANGOON, Birmanie (AP) -- A Rangoon comme en province, la prostitution semble florir en Birmanie. Dans ce pays où la répression politique et l'attrait désespéré du dollar pèse lourdement sur ce pays pauvre et résolument bouddhiste, le SIDA gagne de plus en plus de terrain. Car les rares statistiques, même minorées par la junte, sont inquiétantes.

Isolé et tentant désespérement d'attirer les touristes étrangers, le pays ne connait pas d'équivalent en matière de quartier chaud comme en Thaïlande, mais tous les ingrédients sont là pour assister à l'explosion du SIDA parmi les 48 millions d'habitants.

Pourtant, le tourisme sexuel ''n'est qu'une boule de neige au sommet de l'iceberg'' qu'est l'épidémie, confie un membre d'une ONG refusant de donner son nom par peur d'être expulsé. La Birmanie est cernée par cinq pays, le Bangladesh, l'Inde, la Chine, le Laos et la Thaïlande dont les plus forts taux d'infection se situent dans les régions frontalières avec la Birmanie...

La pauvreté chasse les hommes vers les pays voisins à la recherche de petits boulots ou vers les ports et les mines de pierres précieuses du pays, des zones notoirement connues pour le prostitution et la consommation de drogue par voie intraveineuse. La Birmanie est en effet le second producteur mondial d'opium, dont on tire l'héroïne.

Le voisin thaïlandais a bien réagi en mettant en place des mesures de prévention après l'explosion de l'épidémie au début des années 90 qui a frappé un million d'habitants sur les 60 que compte le pays. En revanche, la situation birmane -dissimulée par la junte-s'aggrave. Selon le rapport de l'ONUSIDA paru mardi, la Birmanie est le troisième pays d'Asie du Sud-Est le plus touché avec 2% de la population infectée par le VIH, derrière le Cambodge et la Thaïlande.

Selon l'agence onusienne, on estimait à 530.000 personnes, dont 14.000 enfants, le nombre de séropositifs recensés fin 1999 et à 48.000 décès la même année. Le premier cas serait apparu en 1988. Mais des experts pensent que ces chiffres sont beaucoup plus élevés.

''Nous savons que les médecins ont reçu l'ordre d'arrêter de signaler les cas, notamment dans les régions les plus touchées'', accuse le Dr Chris Beyrer de l'Ecole John Hopkins d'hygiène et de santé publique à Baltimore. Auteur de ''Guerre dans le sang'', un livre sur la pandémie du SIDA dans le Sud-Est asiatique, il évalue le nombre de séropositifs à plus de 750.000. De son côté, la junte ne parle que de 25.000 cas en dix ans.

En janvier dernier, le général Khin Nyunt, No3 du régime, avait balayé les chiffres alarmistes en les qualifiant de propagande distillée par des ''destructeurs'' cherchant à ternir l'image de la Birmanie. A Rangoon, on assure que le pays est protégé grâce à ses valeurs traditionnelles qui bannissent la promiscuité sexuelle.

Pourtant, les signes sont là. A Mandalay (centre), une ville abritant une importante communauté chinoise et le commerce de la chair, une étude officielle menée en septembre dernier a découvert que 57% des prostituées étaient infectées par le VIH.

Au niveau national, 1% des donneurs de sang et 2% des femmes enceintes sont également infectés, ce qui montre que le virus se propage en dehors des populations à risque comme les toxicomanes et les prostituées. L'ONG américaine Population Services International a bien distribué 13 millions de préservatifs ces quatre dernières années, mais on est loin des minima requis.

A Rangoon, le Dr Owen Wrigley, directeur d'un centre anti-SIDA du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), se désole que les pays donateurs n'aient fourni que deux millions de dollars par an pour la lutte contre le virus. Une goutte d'eau pour ce médecin qui pense qu'il faudrait déjà envoyer d'urgence un minimum de 20 millions de dollars et beaucoup de préservatifs.

Et l'attitude prude de la junte n'aide bien entendu pas les campagnes de prévention. Celles-ci sont inexistantes à la télévision d'Etat. De toute façon, de telles campagnes feraient froncer les sourcils dans les milieux ruraux où de solides traditions bouddhistes condamnent toute relation sexuelle avant le mariage.

En revanche, pas de froncement de sourcils dans les recoins enfumés de la discothèque ''Emperor'' à Rangoon. Les riches Birmans, les touristes sud-coréens et quelques rares voyageurs occidentaux sont immédiatement sollicités avant même de pouvoir s'asseoir.

''Bienvenue, monsieur!'', susurre un employé accompagné d'une hôtesse accorte. Et de glisser un bon conseil: ''Quoi qu'elle demande, 10.000 kyats par exemple (200FF), divisez le par deux''.