Par Le National |
LAnarchiste, Recueil de poésies noiresPeut-on encore allumer les masses ? Peut-on encore motiver une génération à accomplir quelque chose de concret ? Peut-on encore scandaliser un peuple et fabriquer une légende ? Même, peut-on rivaliser Émile Nelligan et Arthur Rimbaud ?
Vous serez frappé par lomniprésence (ou labsence) de Dieu. Roulez-vous avec délectation dans l'enfer de ce maudit. Abreuvez-vous de ses crachats et nourrissez-vous de son mépris, car le mépris est le début d'une pensée autre. Roland Michel Tremblay a publié certaines pages de L'Anarchiste dans Les Saisons Littéraires (Les Éditions Guérin, 8 avril 1997, numéro 10) et ces pages ont été publiées à nouveau dans un livre appelé Poètes québécois d'aujourd'hui, 1994-1997 (Guérin Éditeur, 1998, Montréal, Québec, Canada). D'autres poèmes de L'Anarchiste sont parus dans ENVOL, Revue de Poésie (Vol. VI, No 2, 1998, Les Éditions du Vermillon, Ottawa, Ontario, Canada). EN VENTE CHEZ: ISBN : 2-7479-0013-4 Prix public : 59FF/ 9 Euros. (environ 12$) En téléchargement gratuit sur : www.idlivre.com/rolandmichel.tremblay Site web de l'auteur: http://www.anarchistecouronne.com
Je ne poserai pas nu pour tes beaux yeux
Qu'as-tu à m'offrir ? Une minable Ford qui s'étouffe à tous les coins de rue (sans compter que j'ignore comment conduire à l'envers de tout le monde) Une maison tellement sale qu'un chat y chierait partout croyant y reconnaître sa litière Une vieille chambre dans un grenier plein de vieilleries sans intérêts Un matelas sur le plancher qui a fait la guerre d'avant les années 1900 Tes jeunes amis de 18 ans qui font des strip-tease dans les bars et qui se prostituent Non, je ne coucherai pas avec eux devant toi (mais en privé, alors là...) Comble de tout, tu voudrais que je pose nu pour toi Tu jouirais à placer tous mes membres, me faire bander pour une meilleure prise, puis faire de l'argent sur mon dos Il en faut du culot, je vous jure !
Môman, viens chercher ton fils
Dix-huit ans, bourré d'acné, coincé comme dans un oeuf tout frais sorti du trou de la poule Il me regardait de son air ébouriffé et timide Dans sa face on pouvait lire le calvaire de son passé Son accent du sud de la Tamise le rendait incompréhensible Que faisait-il assis dans la voiture de ce vieux professeur de biologie à la retraite ? À se faire emmener dans les bars du centre de Londres ? Au début il évitait mes regards Puis après quelques petites phrases réconfortantes, il s'est offert à moi en entier pour l'éternité Comme si je n'avais que cela à faire, régler tous ses problèmes psychologiques Au niveau où il en est, il n'y a plus d'espoir, c'est une tête brûlée par l'abus Après m'être assouvi, il ne me restait donc plus qu'une chose à lui dire : Je ne suis pas ta mère, va voir ailleurs !
L'agace-pissette
Je te vois entrer, je t'installe à une table Tu me fais de grands sourires, je te le rends bien J'attends ta commande, je flirte, je suggère la table d'hôte aux multiples entrées Je propose le vin français le plus cher, celui qui reste des décades dans nos caves Tout au long du repas, je multiplie les allusions Ramenant tout ce qui se rapporte à la cuisine au sexe De la cuisson jusqu'au lit Au dessert je m'offre en entier, je me gratte la mauvaise place en face de toi Je ramasse les assiettes tout à côté de toi, frôlant tes oreilles avec les restes Et lorsque je dépose vaguement la facture, j'attire ton attention sur ma vie sexuelle mouvementée Et lorsque je prends mon pourboire, je dis : Merci monsieur, à la prochaine Puis je disparais dans les cuisines jusqu'à ta sortie Je réapparais lorsqu'un autre entre et qu'il commence avec ses grands sourires Alors je le lui rends bien et je l'installe à une table...
À mort, les touristes !
Ils s'amoncellent comme des taupes qui n'ont jamais rien vu Ils prennent des photos et filment tout sans même apprécier avec leurs yeux Ils achètent quantité de cochonneries inutiles qu'ils peuvent trouver au coin de la rue dans leur pays Ils remplissent les métropolitains et les rues, ils débordent par les égouts Ils fourmillent sans grand intérêt là où leur petit guide touristique leur dit d'aller Ils sont tous mal habillés, sont très laids et puent à cent mille tant ils marchent nulle part toute la journée Ils sont incompréhensibles dans toutes ces langues que personne ne parle sauf eux Ils sont sans cesse mêlés et perdus, il faudrait leur montrer où aller : The Tower of London, là où on décapitait les touristes du temps Rendus à la maison, ils seront tous fiers de montrer leurs souvenirs et pire : leurs albums de photos Bref, il n'y a rien de pire dans le monde qu'un touriste tout frais débarqué de nulle part
Tu veux le faire à cinq ?
Oui, tes amis sont intéressants, mais euh, oui, bon... Déjà que demain nous le ferons à trois avec ton copain, tu sais... Oui, le repas était très bon, le vin français et le Champagne Le film aussi, il a permis de remplir les vides Les cigarettes et le hasch, euh oui, bien sûr Eh puis quoi encore, tu m'embrasses dans tous les coins Ton copain me regarde comme une vache en chaleur Tes amis sont corrects, ta BMW également Je t'admire pour ta réussite, ta maison gigantesque dans le sud de Londres Ton incroyable corps malgré tes 37 ans Et tout ce que tu représentes à mes yeux Mais le faire à cinq, c'est impossible Je suis encore jeune tu sais Ces expériences sont terribles pour mon développement personnel Parfois je me surprends même que ton copain permette que je sois ici et que je couche avec toi Il doit en faire des choses de son côté pour s'en foutre à ce point Peut-être n'aime-t-il que sa sécurité et sa stabilité avec toi ? Moi, ce ne serait pas des critères qui me garderaient avec toi Même que ça me fait fuir, j'ai un peu honte de moi en fait Bref, on se reverra peut-être un jour...
Emmène-moi voir l'Irlande
Laisse ce crétin, je suis de loin plus beau et plus gentil... et plus jeune Prends congé cette semaine, tu es assez riche pour te le permettre Je laisse mon emploi, tu pourras m'entretenir Prenons ta voiture, roulons de par les monts voir les champs verts emplirent le vieux pays Prenons le bateau pour aller visiter les vaux de l'Irlande Achetons une tente, faisons l'amour à la belle étoile Prends-moi dans tes bras, sers très fort C'est la magie de l'agir, créer les moments inoubliables Pour cela je pourrais t'être reconnaissant éternellement, t'aimer à ta juste valeur Je regarderai tes yeux se confondre avec l'espace entre les étoiles L'ombre de ton vieux corps se fondre sur la forêt C'est presque l'été, partout on peut sentir une renaissance absolue Pour toi j'oublierai mon passé, j'oublierai le futur Je passerai ma main dans tes cheveux avant de t'embrasser Nous serons les plus heureux du monde, l'instant d'un moment Nous serons les seuls à savourer la vie Mais pour cela, tu dois tout abandonner et m'emmener
Je flotte dans l'espace
Sans même que ce ne soit chimique, la musique a aussi ce pouvoir Je sors dans la rue, j'enfonce le bouton La musique me soulève de terre Je vois tout d'un oeil différent Je vois toutes ces petites maisons alignées Une énergie incroyable en sort pour me transporter au-delà de tout J'atteins la rue principale, c'est un univers que je connais à peine Le rythme et l'air de l'été me font tout oublier J'ai cette incroyable envie de vivre, d'exploser De ma main, je prendrais tout pour l'avaler, pour que tout cela devienne une partie de moi Que je m'y confonde entièrement pour former l'unité J'atteins la Northern Line, Clapham South station Et je m'envole dans l'espace souterrain de la ville Pour vivre encore une fois quelque chose d'inusité
Si je ne bande pas, est-ce de ma faute ?
On n'a pas idée d'être aussi froid D'abord très bête et sans intérêt, puis soudainement amoureux Aucune communication, arrangements pris par un tiers Toute la journée me tourmenter sans rien à dire à propos de ce qui se passerait le soir Oublier le repas aux chandelles, le romantisme et les fleurs Y avait-il un désir ? Qu'as-tu fait pour allumer la flamme ? Du cul pour du cul, sans chaleur humaine Alors il aurait fallu tout noyer dans l'alcool J'ai fait mon possible dans le contexte, trois cigarettes avant d'aller au lit, sans effet Deux personnes dans mon lit à la fois, je ne me reconnais plus Mais si la personne qui m'intéresse décide de nous laisser tous les deux... Eh puis si je ne reconnais en toi que la première image que tu m'as laissée de toi, comment veux-tu que je bande ? Ramène-moi la troisième personne, on y arrivera peut-être Tu l'as ramenée, nous y sommes arrivés, mais à quel prix ? Tu crois que tu ne m'excites pas Tu crois que seul l'amour de ta vie me fait bander J'ai créé la jalousie généralisée dans ton couple Détruire, là ma passion Tu es la seule personne avec qui je ne bande pas Ce n'est pas ma faute, ni celle des drogues !
Fuir, fuir, fuir !
Partir pour n'importe où Londres, Paris, New York, Toronto Lorsque tout va mal Lorsque le peuple ne se comprend plus Lorsque tu me regardes de travers, commence à regarder à droite et à gauche Lorsque tes parents me font croire que je me suis trompé de numéro pour que je ne puisse t'atteindre Lorsque ma vie sociale est une véritable faillite, que mes études ont pris le bord Lorsque la honte, la culpabilité et même la nostalgie me tuent Arrosons le tout de whisky, Canadian Club, faisons notre signe de croix Fuir, fuir, fuir ! Aussitôt que l'on me reproche quoi que ce soit Que l'on me considère comme un moins que rien (ce qui est tout à fait vrai) Que l'on me prend pour un con et que l'on m'exploite aller-retour Que l'on abuse de moi tant que l'on veut et peut, même dans la légalité Vous pouvez me marcher dessus, me cracher au visage, m'achever Il me restera toujours la fuite Fuir, fuir, fuir ! Dès que le cerveau ne répond plus au corps Dès que mon quotient intellectuel monte d'un degré (c'est contre-nature) Dès que je commence à faire des conneries, à parler seul, à pleurer dans le noir Ma seule solution, un oubli absolu, un renouveau complet, une renaissance Fuir, fuir, fuir !
Je vais me tirer une balle
Je voudrais le faire sans causer de torts ou de peine Je suis déjà un oublié des miens, comment pourraient-ils ressentir le coup à ma place ? Je voudrais être certain que l'on ne me retrouvera jamais M'épargner les funérailles, le feu et l'urne Sauter dans les airs, ne plus redescendre M'enfoncer dans le sol, ne plus revenir à l'air libre Couler au fond de l'eau, ne jamais revenir en surface Parcourir l'espace infini sans jamais arriver quelque part Devenir néant de façon absolue, sans aucun reste dans les réfrigérateurs ou ailleurs Tout consumer ce que j'ai touché, même les cendres de tout cela Sublimation en énergie qui ira se perdre dans les astres Il faut m'empêcher de penser, m'achever pour vrai, pas à moitié Arrêter les tourments et les délires Il faut faire sauter cette mémoire universelle Capable de garder un quelconque souvenir de mon passage sur terre Je n'ai aucune pitié pour personne, certainement pas pour moi Pardonnez-moi ! je ne voulais que vivre ! Mais vivre, c'est impossible... |