Par Le National
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Desmond Tutu, la foi et l'irrévérence intactes à 70 ans

JOHANNESBURG, 5 oct (AFP) - Desmond Tutu, l'ancien archevêque anglican qui fête dimanche ses 70 ans, affiche un enthousiasme et une verve intacts, continuant dans l'Afrique du Sud post-apartheid, comme jadis, sa croisade de réconciliation et ses irrévérences contre les pouvoirs.

Desmond Mpilo Tutu, "The Arch" comme il est affectueusement surnommé, devrait passer son anniversaire en famille dans sa maison de Soweto, près de Johannesburg (il vit le plus souvent au Cap), entouré de son épouse depuis 47 ans Leah, de leurs quatre enfants et six petits-enfants, vivant pour certains à l'étranger.

L'ancien archevêque du Cap, Prix Nobel de la Paix (1984), "leader moral" -selon le mot de Nelson Mandela- de la lutte contre l'apartheid, président de la Commission vérité et Réconciliation (TRC), semble avoir gagné en vigueur, après sa bagarre apparemment gagnée- contre un cancer de la prostate en 1999-2000.

Depuis quelques mois, le vieil homme fatigué qui était revenu d'un traitement aux Etats-Unis pour "faire dodo" dans son pays, a recommencé à honorer des cérémonies, aider des oeuvres à l'étranger, ou comme en juillet à Kinshasa, prodiguer un encouragement moral à des belligérants cherchant leur paix.

Comme toujours, le petit prélat envoûte ses interlocuteurs par sa sincérité, son humilité et son humour. Et sa viscérale foi dans la non-violence, la réconciliation, le pardon. "Pas d'avenir sans pardon" est le titre de ses mémoires, publiées cette année, sur le marathon de la TRC.

En Suède en août, il fait se tordre de rire un parterre de jeunes, par sa fable favorite sur l'inanité de l'apartheid: "Imaginez qu'au lieu de la couleur de la peau, on décrète que les gens avec un gros nez (le sien est très proéminent, NDR) n'aient pas le droit de vote...".

A Johannesburg en juillet, il émeut aux larmes une foule réunie à la cathédrale pour fêter son jubilé, par un tendre hommage à son épouse présente "la meilleure chose que j'ai faite dans ma vie est de t'épouser".

Après sept ans d'Afrique du Sud démocratique, l'image de la "Nation arc-en-ciel", un terme qu'il popularisa, parait certes écornée par la réalité socio-économique. Comme parait loin la période d'espoir et d'euphorie de 1994-95 que le petit homme à la robe pourpre en était venu à incarner, au même titre que Mandela.

Mais Tutu, produit à la fois de la théologie de la libération et de l'"ubuntu" (esprit de fraternité africaine), continue. Comme il tenait tête à au régime d'apartheid dans les années 80, à la tête de marches non-violentes, tout en dénonçant les lynchages dans les townships, il n'épargne aujourd'hui rien ni personne. Un Dieu, mais pas de maître.

En 1998, quand le gouvernement ANC tentait d'interférer avec le rapport de la TRC il lança qu'"il ne serait pas surpris si les opprimés d'hier devaient être les oppresseurs de demain". Et récemment, il épingla les autorités sud-africaines sur la lutte contre le sida, se demandant "si l'on n'est pas en train de jouer de la lyre en regardant Rome brûler".

Fin 2000, lorsque six policiers blancs furent arrêtés pour avoir "exercé" leurs chiens à l'attaque sur des immigrés noirs, la petite voix de Tutu s'éleva au milieu d'une surenchère d'indignations. "Ce qu'ils ont fait est mauvais, mais eux-mêmes ne le sont pas".

La semaine dernière, le jour de la Gay Pride de Johannesburg, il présenta aux homosexuels les excuses de son église, les assurant de son soutien. "Parfois la Bible dit que ces choses ne sont pas naturelles. Mais je pose la question: pas naturel pour qui... ?"

Annonçant en 2000 sa semi-retraite, Desmond Tutu avait prévenu: "Vous m'entendrez peut-être de temps à autres..."