Par Le National
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Gaétan Girouard

Un journaliste victime de la société?

Gaétan Girouard, journaliste-vedette de TVA, animateur de l'émission J.E., est décédé.

Ce journaliste au style tout à fait unique n'était pas simplement qu'un journaliste. Il portait effectivement le titre de journaliste d'enquêtes, d'où le nom de son émission, et ce type de journalisme est réputé comme aux limites tolérables de la profession. Bien des personnes s'improvisent journalistes -enquêteurs mais bien peu résistent et survivent plus d'un trimestre aux conditions de travail associées au poste. Tous peuvent faire des petites enquêtes mais bien peu ont la capacité de mener à terme des dossiers qui impliquent la criminalité ou des fraudes les plus ingénieuses les unes que les autres. Les dossiers impliquant les Hells ou les Mohaks sont les plus difficiles au Québec en ce qui concerne les dangers physiques. Les dossiers traitant des affaires sociales et de la santé, quant à eux, demandent eux aussi beaucoup de travail puisqu'ils impliquent une enquête auprès de fonctionnaires (pas toujours volontaires à la critique). Rien que dans ma propre carrière, j'ai été confronté à toutes les manoeuvres possibles pour éviter de me donner l'information nécessaire à la bonne compréhension des dossiers. Il faut quelques fois se résoudre à faire du "tordage de bras", c'est souvent malheureusement le seul moyen, en information, de faire bouger les choses.

Girouard savait ce qu'était le "tordage de bras" et il maîtrisait l'art de l'interrogatoire à la perfection même si, à de rares occasions, il pouvait perdre patience et malmener un peu ses invités. Les éléments les plus difficiles à confronter dans le métier de journaliste d'enquêtes sont les poursuites en justice qui suivent quasi automatiquement la diffusion ou la publication d'un dossier. À les écouter, les personnes qui ont des comptes à rendre à la société seraient toutes victimes de "méchants journalistes abuseurs ne voulant que faire monter les cotes d'écoute de leurs médias!". Le journaliste d'enquêtes, dans son métier, est souvent confronté à la résistance des personnes impliquées dans des magouilles. Notre travail , tel qu'édicté dans le guide de déontologie de la FPJQ , est d'agir à titre de "chien de garde" de l'intérêt public. Définition: Notre vocation est de DÉNONCER ce que nous croyons contraire à l'intéret du public. Il est donc naturel, du point de vue des personnes interrogées, de se sentir quelques fois scrutées, questionnées ou enquêtées. C'est le prix à payer pour obtenir une information juste et vraie.

Le rôle officiel des journalistes, bien expliqué dans nos différents guides déontologiques, mène malheureusement trop souvent à des poursuites judiciaires très coûteuses pour les médias et les journalistes eux-mêmes surtout quand ils sont indépendants. On n'a qu'à penser au Magazine RG, qui a longtemps défendu les victimes du SIDA contre ceux qui voulaient abuser de leur vulnérabilité. RG est actuellement confronté à des poursuites qui grugent en frais d'avocat, l'équivalent de ses profits annuels. Pour faire le métier de journaliste d'enquêtes, il faut avoir les reins solides et surtout, un moral d'acier.

Un autre élément important dans les conséquences du travail des journalistes d'enquêtes est l'adversité. Tout le monde peut lire ou voir les résultats des enquêtes journalistiques mais personne n'a idée de ce que doivent endurer ces mêmes journalistes pour obtenir l'information tant souhaitée par le public. Toutes les personnes qui ont quelque chose à se reprocher savent qu'elles auront tôt ou tard des comptes à rendre au public. Elles ne collaborent donc pas facilement. Les journalistes aux enquêtes se font cracher dessus, insulter, menacer, battre et parfois tuer simplement pour représenter l'opinion du public. Personnellement j'ai souvent été victime de violence et j'ai même obtenu gain de cause contre un représentant de la Maison du Parc qui m'avait craché au visage. Ce dernier, qui était administrateur, a dû me verser plus de 600 $ en dommages, de quoi le faire réfléchir la prochaine fois qu'il souhaitera agresser un journaliste dans l'exercice de ses fonctions?

Gaétan Girouard était confronté lui aussi à des agressions physiques, verbales ou à des poursuites judiciaires très importantes et il ne faudra jamais sous-estimer l'importance de cet élément dans son choix de s'enlever la vie. Il n'est pas facile pour personne de vivre avec des poursuites totalisant des millions de dollars et encore moins, quand certains individus menacent directement la vie de ceux que vous aimez simplement pour ne pas passer à la télé!
 

Il faut tout de suite comprendre ici que la plupart des poursuites intentées contre des journalistes ou des médias ne se terminent pas toutes par un jugement en faveur du plaignant. En effet, pour pouvoir invoquer des dommages à la réputation, il faut faire la preuve de plusieurs éléments, dont la bonne réputation du requérant avant la publication du dossier. Pour pouvoir parler de diffamation, il faut faire la preuve des éléments suivants:

1- Le journaliste a publié une fausse information.

2- Le journaliste savait que l'information était fausse.

3- Le journaliste a publié cette fausse information qu'il savait fausse dans le but de détruire la réputation des personnes impliquées.

On comprendra donc la difficulté de faire une telle preuve alors que tous les journalistes au Canada bénéficient de la liberté de presse protégée par la Constitution.

Dans son choix de s'enlever la vie, Girouard a probablement pesé le pour et le contre et ce dernier aura gagné au détriment de tous les avantages pour la société d'avoir une forme aussi impliquée de journalisme. Quand les mises en demeure ne donnent pas de résultats, quand les tribunaux ne peuvent rien contre un fraudeur, quand la police ignore vos demandes et quand tout a été essayé pour régler une situation grave ou abusive, il reste le journaliste d'enquêtes qui trouvera toujours le temps de prendre connaissance des maux de notre société. Tel est son devoir!

Hommage à Gaétan Girouard qui aura donné sa vie personnelle et sa carrière à une cause qu'il croyait juste.