Par Le National
© Roger-Luc Chayer / Le National


Un combat de coqs entre le magazine du journalisme québécois Le 30 et Fugues! 1 à 0 pour Le 30!

Au mois de juin dernier, le journaliste Éric Barbeau publiait dans le Magazine du journalisme québécois Le 30 un article sur la situation de la presse gaie au Québec et rendait du coup une analyse assez complète de la situation.

Dans son analyse, monsieur Barbeau attaque principalement Fugues et RG pour leurs tendances à toujours associer le sexe, le cul et les mecs nus à tout traitement de la nouvelle ou de la publicité. Nous savions tous déjà dans la communauté gaie que certains médias ont tendance à toujours attacher un pénis ou un paquet de muscles à tout ce qu'on tente de nous vendre ou de nous faire lire (vérifiez votre dernier Fugues) mais le fait de valoriser un beau corps en santé devrait-t-il être dénoncé?

Barbeau pose un jugement sur nos valeurs à la lumière de ses entrevues et ici même, au National, nous recevons régulièrement des communications de lecteurs de médias gais qui souhaitent dénoncer les liens parfois exagérés entre les produits offerts et le cul omniprésent dans pratiquement toutes les pages de certaines publications gaies. Vous retrouverez plus bas le texte de monsieur Barbeau et la réponse de Fugues.

Ce qui surprend le plus dans ce débat entre les deux médias, c'est l'espèce d'arrogance habituelle à Fugues qui commet un texte qui encore une fois attaque les journalistes qui ne pensent pas comme eux. On retrouve dans le texte de monsieur Lafontaine un vieux réflexe impérialiste de domination qu'il faudra bien un jour questionner... Il existe dans notre communauté une mosaïque de philosophies et de façons de penser qui ne peuvent pas toujours coïncider avec les vues de Fugues qui n'a d'ailleurs jamais prétendu faire du journalisme mais bien de l'info-pub. Pourquoi toujours attaquer et dénigrer ce qui ne vient pas de leurs bureaux? Ceux qui aspirent à plus que la simple publication de communiqués? Est-ce que Fugues démontre par ces attaques à répétition une certaine insécurité?

Depuis un moment, le guide Fugues signe des ententes d'exclusivité avec ceux qui souhaitent organiser des événements publics (Salon d'affaires Black&Blue et le Musée du Fier-Monde par exemple) et achètent radicalement l'information comme si elle lui appartenait. En se comportant de la sorte, Fugues fait comme si l'information gaie lui appartenait, comme si la communauté gaie dans son ensemble lui appartenait. Les gais ont pourtant droit à la pluralité de l'information, comme le reste des québécois, nous ne pouvons qu'espérer que le texte de monsieur Barbeau soulèvera une prise de conscience de la part des gais et lesbiennes et que le manège de notre compétiteur, qui ne compte plus maintenant que pour 5 à 10% de la part de marché de l'information gaie au Québec, reviendra à des pratiques plus normales tant pour son traitement de l'information qu'à son habitude de nous faire voir des pénis et des culs musclés pour nous vendre des lampes.

Le 30, Juin 2000 La presse gaie vit une crise d'identité Éric Barbeau La presse gaie du Québec vit une crise d'identité. À première vue, elle est vivante et prospère. L'argent rose de Montréal fait en effet vivre trois magazines d'importance. Mais après avoir soutenu le militantisme gai pendant 20 ans, la presse gaie ne sait plus à quelle cause ‹ ni à quel marché ‹ se vouer. Fugues, RG, Orientations. Il est tentant de comparer ces revues à la presse féminine. Sexe, argent, beautéŠ publicité sont omniprésents. Le payant cocktail est à la mode dans le monde de l'édition en général. La presse gaie suit-elle l'air du temps? Souffre-t-elle de paresse intellectuelle? Les avis sont partagés dans la communauté. Le rédacteur en chef de Fugues, Yves Lafontaine, avoue que les Adonis, torse nu, qui décorent systématiquement la une de sa revue, suscitent bien des débats. «On ne les a pas éliminés de nos pages couvertures, parce que c'est là que réside notre différence. Notre sujet, C'EST l'orientation sexuelle.» De 90 à 93 % de ses lecteurs sont en effet des hommes. Les autresŠ sont des femmes hétéros curieuses, qui se rincent l'¦il! Bref, le sexe, ça rapporte. Or, plusieurs intellectuels gais disent chercher une tribune qui ne serait pas seulement commerciale. Ni exclusivement sexuelle. Pour le moment, ni la presse traditionnelle ni les médias gais n'arrivent à combler leurs besoins. C'est du moins l'opinion de Richard Desrosiers, qui donne un cours sur l'homosexualité à l'UQAM. L'historien a organisé un colloque sur les 20 ans de fondation du magazine Berdache l'an dernier. À son avis, depuis la disparition de cette revue militante en 1983 après quatre ans d'existence, aucune autre publication montréalaise n'a réussi à vraiment reprendre le flambeau du militantisme gai (lire militantisme de gauche). La mort de Berdache coïncidait avec celle de La Vie en rose et a donné naissance, depuis, à Fugues et RG. «On fait dur! s'exclame le prof de l'UQAM. Surtout si on se compare avec d'autres grandes villes où les communautés gaies sont importantes.» Luc Boulanger, chef de section à l'hebdomadaire Voir, est plus nuancé mais confirme cette impression. S'il parcourt parfois la revue Fugues de Montréal, il ne lit par contre jamais le magazine RG, son grand concurrent du village gai. Il accroche la revue Orientations quand il réussit à la trouver et s'intéresse plutôt aux revues américaines Advocate et Out. Malaise? En tout cas, la presse gaie reflète mal sa communauté montréalaise. Car, contrairement au rédacteur en chef de Fugues, Richard Desrosiers pense qu'il n'y a pas que le sexe qui compte dans la vie d'un homosexuel. «C'est une question d'identité, plus qu'une question de sexualité.» C'est là tout le débat qui déchire actuellement les communautés gaies du monde occidental. L'intégration à tout prix d'un côté, le droit à la marginalité de l'autre. Ceux qui veulent se fondre dans la société disent que la presse généraliste traite adéquatement des questions homosexuelles et que les revues gaies ne sont là que pour divertirŠ pas pour réfléchir. D'où les beaux mâles à la une de leurs revues. Par contre, ceux qui veulent continuer à lutter pour la différence et un mode de vie marginal ne jurent que par une presse gaie militante, critique et à l'avant-garde. Ce qui leur fait cruellement défaut à Montréal. Pourtant, en lançant le magazine Orientations en novembre 1996, Bernard Gadouas voulait justement créer un tel lieu de débats. Sans beaux mâles en page couverture. Il évoque à titre de référence les travaux du journaliste Didier Héribon, du Nouvel Observateur, auteur d'un ouvrage important sur la question homosexuelle. «On parle maintenant d'une culture de résistance. Fini l'utopie des années 70 au sujet de l'acceptation globale des gais, on discute maintenant d'une idéologie qui veut déjouer les normes.» Mais trois ans et demi plus tard, la stabilité financière d'Orientations est encore chambranlante, à l'image de ses parutions; 11 500 exemplaires sont distribués gratuitement, 10 fois par année. Comme quoi les idées ne rapportent pas autant que les Brummels imberbes. Ce qu'a compris RG, en kiosque depuis 17 ans. RG signifie «rencontres gaies». Une page sur trois est encore consacrée aux petites annonces. Le cartouche de la revue dit que 50 000 lecteurs la lisent tous les mois, même si, officiellement, le tirage du mensuel gratuit ne dépasse pas 12 000 exemplaires. Les publicités sont sans équivoque et la couverture journalistique gravite presque exclusivement autour de la vie des organismes communautaires gais concentrés dans le Centre-Sud. Ce qui lui vaut souvent l'épithète de journal de la vieille garde, en mal de fraîcheur et d'idées nouvelles. Yves Lafontaine, refuse, lui, de définir Fugues comme une revue exclusivement de cul, malgré ce que disent ses détracteurs. Oui, la sexualité est omniprésente dans les 50 000 exemplaires gratuits du mensuel, mais elle peut malgré tout illustrer (c'est le cas de le dire) un certain mode de vie. Il cite un reportage dans l'édition de janvier dernier, sur le nouveau phénomène du barebacking (sodomie sans protection, par défi). À son avis, un tel reportage n'aurait jamais été diffusé dans les médias grand public québécois, malgré l'impact évident qu'une telle pratique peut avoir dans la société en général à l'ère du sida. «Certains de nos pigistes se font refuser des sujets dans L¹actualité parce qu'ils sont jugés [les sujets] tropŠ gais, raconte-t-il. Pourtant, des revues américaines comme Time et Newsweek abordent un sujet d'importance pour les gais comme celui-là au moins une fois par mois.» Josée Dupuis, journaliste à l'émission Enjeux de Radio-Canada, a une vision différente des choses. Elle n'a eu aucune difficulté à faire accepter un sujet traitant de l'adoption par des couples homosexuels. «Étonnamment, certains reproches sont venus de la communauté gaie elle-même, parce qu'on a fait un reportage sur l'adoption [aspiration relativement marginale chez les homosexuels], alors que ce qui la préoccupait davantage, à cette époque, c'était la question du mariage des gais.» Elle n'estime pas, par ailleurs, que le fait d'être hétérosexuelle l'ait empêchée de traiter adéquatement un sujet «homo». Une personne sur 10? La plupart des gais s'entendent pour dire que 10 à 12 % de la population est homosexuelle, selon les conclusions du rapport Kingsley dévoilé dans les années 70. Alors est-il pertinent d'avoir des secteurs exclusivement «homos» dans les médias straight, comme on le fait déjà pour l'économie et la santé, ou encore comme Canal Vie et CKUT, qui ont des émissions consacrées exclusivement aux gais? «Moi, je suis convaincu que la presse traditionnelle au Québec sert mal la communauté gaie», affirme Yves Lafontaine, même s'il reconnaît que de plus en plus de sujets gais se retrouvent dans la presse généraliste. Parmi les exemples récents : projets de loi sur les conjoints de même sexe, suicide des jeunes hommes gais, couverture exhaustive du Défilé de la fiertéŠ Mais la récente ouverture des grands quotidiens ne rassure vraiment pas tout le monde. «Les gais et lesbiennes, on en parle, tant qu'ils veulent s'intégrer, vivre en couple ou avoir des emplois de comptables, dit un collègue de Radio-Canada qui préfère garder l'anonymat. Mais s'ils revendiquent le droit à l'originalité, à la promiscuité et à la marginalité, est-ce qu'on juge encore que leur mode de vie est d'intérêt public?» demande-t-il. Luc Boulanger, souligne plutôt que certains journaux culturels de Montréal et de Toronto ont déjà leurs spécialistes de la question. Il estime même que les médias grand public ont beaucoup progressé en trois ou quatre ans. «Maintenant que la presse traditionnelle parle de plus en plus de sujets gais, c'est tout simplement la presse gaie qui doit s'adapter.» Et Pinard? L'exemple de Daniel Pinard illustre assez bien le décalage entre les univers hétéro et homo. La sortie du célèbre cuisinier a certes reçu un accueil complaisant et de bon ton dans la presse, mais le magazine Fugues a été moins tendre à son égard. C'est que Pinard, parce qu'il méprise le ghetto du Village gai, ne peut pas être un porte-parole épanoui de Gai-Écoute, d'après le chroniqueur Denis-Daniel Boullé. Bref, si on est gai et qu'on conseille les jeunes homosexuels de surcroît, il faut être solidaire de la communauté. Faire partie de l'équipe. Est-ce là le signe du retour de la presse militante, prête à tout, pour protéger les organismes du milieu? «Souvent, les journalistes planqués qui ne veulent pas se mouiller ne permettent pas à leur public de découvrir des enjeux qu'eux connaissent pourtant très bien», dit Yves Lafontaine. En tout cas aux États-Unis, l¹outing (révélation publique de son orientation sexuelle) est très à la mode. Fugues et RG y accordent aussi beaucoup d'importance et souhaitent ouvrir leurs pages (sans grand succès) aux personnalités connues qui voudraient sortir du placard. «Comportement ridicule, juge Richard Desrosiers. C'est comme s'il suffisait que tous les gais se révèlent tout d'un coup pour créer [ou recréer] un véritable mouvement gai!» Car les heures de gloire du «véritable» mouvement gai nord-américain sont peut-être derrière lui. Les militants ont livré leurs plus grandes luttes dans les années 70. Encore une fois, c'est un peu à l'image de la presse destinée aux femmes. La Vie en rose n'est plus, mais les Clin d'¦il, Elle-Québec et Châtelaine sont plus prospères que jamais. On a vaguement l'impression que les revendications propres à leurs publics cibles sont diluées dans le grand magma commercial de notre temps. Éric Barbeau est journaliste à Radio-Canada.

 

la presse gaie vue par le
magazine du journalisme québécois
L'occasion ratée
par yves lafontaine



Le 30, le magazine du journalisme québécois, a raté, dans un article intitulé La presse gaie vit une crise d'identité de son édition de juin 2000, une belle occasion de proposer une véritable réflexion sur la presse gaie au Québec. Il y aurait eu matière à écrire plusieurs articles de fond, dont un sur la transformation qu'a connue cette presse au fil des ans. À la place, nous avons eu droit à la vision passéiste de quelques personnes qui se remémorent avec nostalgie le "bon vieux temps" de la presse militante et qui se réfèrent à une série d'erreurs factuelles, comme c'est encore trop régulièrement le cas dans la presse généraliste lorsqu'on y aborde des questions touchant spécifiquement les communautés gaie et lesbienne.

D'entrée de jeu, le journaliste Éric Barbeau pose les bases de son argumentation et soutient que Fugues ne met que des Adonis, torse nu, sur ses couvertures… Si cela était vrai au cours des premières années de l'existence de Fugues, la situation a bel et bien changé, il y a cinq ans, comme ce fut le cas pour une grande partie de la presse gaie en Occident. Au cours des 24 derniers mois, seulement 6 de nos couvertures montraient des hommes au torse nu, dont deux photos tirées d'expositions consacrées au photographe Alan B. Stone. Sur les autres se sont succédé des personnalités aussi vêtues que variées et dont le travail nous incite à parler d'elles*.

Contrairement à ce que le journaliste affirme &emdash; et qui démontre bien la vision distordue de la presse rose encore propagée par certaines personnes &emdash;, les publications gaies du Québec ne montrent pas et ne parlent pas uniquement de sexe dans leurs pages. Et tous les éditeurs gais s'entendront pour dire qu'il n'y a pas que le sexe qui compte dans la vie d'un homosexuel, que c'est une question d'identité plus qu'une question de sexualité. La question de l'identité faisait d'ailleurs l'objet d'un dossier spécial dans notre précédente édition, et nous traitons régulièrement de diverses questions allant de l'immigration au mariage gai, en passant par le désir de paternité, la revitalisation du Village, l'éducation, la force économique de la communauté, la tolérance dans la société, le tourisme rose ou, comme c'est le cas ce mois-ci, la place de la thématique homosexuelle dans le cadre de la rentrée culturelle.

Certains, dont l'historien Richard Desrosiers, semblent déplorer la disparition des quelques revues militantes de notre passé. Il omet de rappeler que, si celles-ci ont marqué leur époque &emdash; et qu'on leur doit sans doute la presse actuelle &emdash;, elles n'ont jamais connu autre chose qu'une distribution extrêmement limitée, voire confidentielle, liée évidemment au contexte de l'époque, et qu'en définitive, elles n'ont eu qu'un impact mineur sur l'ensemble de la communauté gaie et lesbienne.

Comparer une revue comme Le Berdache à Fugues, c'est un peu comme comparer le Bis de l'Alliance des professeurs au Voir. Sans vouloir diminuer le rôle que de ces premières publications jouèrent dans l'élaboration d'une pensée militante, il ne faudrait pas non plus idéaliser le passé pour autant et ne pas considérer le contexte dans lequel elles étaient produites par rapport à celui qui prévaut actuellement. Tout comme n'importe quelle autre publication gaie, on y retrouvait de l'espace publicitaire acheté par les bars, les saunas et les sex shops… (et pas une diversification de produits et de services comme c'est le cas aujourd'hui). Ce qui n'empêchait pas &emdash; tout comme c'est le cas dans la presse actuelle &emdash; qu'on y écrive des textes d'opinion et de réflexion. Il faut également cesser de croire que la presse rose est immuable, qu'elle ne change pas, qu'elle n'évolue pas. On n'a qu'à voir comment Fugues, X-tra ou Advocate, pour ne mentionner que ces titres, se sont transformés au fil des ans.

En terminant, et bien que je ne considère pas que seuls les gais puissent écrire sur des sujets les concernant, je dois avouer que de fâcheuses erreurs auraient dû être évitées dans l'article du 30. D'abord, les rapports Kinsey (et non Kingsley), qui sont pourtant très fréquemment cités, ne datent pas des années 70, comme l'aurait mentionné M. Desrosiers lors de sa rencontre avec le journaliste (aux dires de ce dernier), mais ont été publiés de 1948 à 1953. Deuxièmement, Barbeau a confondu coming out et outing, ce qui est inacceptable de la part d'un journaliste qui s'érige en critique.

Les erreurs factuelles et la déformation de la réalité, sans oublier le procès d'intentions lié à l'affaire Pinard, dans l'article du 30 &emdash; mais également dans d'autres &emdash;, démontrent que malgré de bien bonnes intentions au point de départ, certains journalistes ne font pas leur travail de recherche, de vérification et de réflexion correctement, et qu'ils donnent ainsi des communautés gaie et lesbienne et de leurs constituantes une image encore trop souvent décalée, voire faussée, de la réalité.

Le texte d'Éric Barbeau est accessible via internet à l'adresse suivante : http://www.le30.org

 

* Cela dit, nous n'avons pas l'intention d'éliminer totalement les modèles de nos couvertures, même si cela suscite encore des débats au sein et à l'extérieur du magazine quant à la valeur de représentation que peuvent tout de même constituer ces modèles.